(REPONSE)
Suspendue. Cest ainsi que je me décris à
ces moments-là. Suspendue entre deux eaux, deux instants, deux opacités. Ou bien
en (point de) suspension. Particules en suspension dans leau saumâtre de
labsence.
Assommée de vide. Des rêves feuillus me hantent. Je suis écartelée entre deux
présents. Un instant, je suis là, esquissant un geste précis. Le moment daprès,
je ne sais plus où je suis partie, où jai disparu, le miroir ne me renvoie plus de
reflets, le noir menveloppe, et pourtant je suis heureuse. Je me
retrouve dans ce vide. Car il est moi. Il est ma tristesse et mon rire. Tu ne me
comprendras pas sans avoir compris cela.
Lhiver est comme une peau allongée sur une chair. Rien ne la ride ; elle
brille. Un songe de cristal sallonge sur ma mémoire. Rien ne le trouble. Il
mévade et madoucit jusquà ce quil ne reste plus rien de moi que
le minuscule éclat mystérieux du cristal liquéfié qui, en seffaçant, libère
une dernière chaleur. Cette
chaleur est ma source et mon énergie. Tu retrouveras ces soleils multipliés en me
suivant à la trace. Suis-je le Petit Poucet de ton envie denfance ? Qui
ségare de plus en plus profondément dans les bois passifs de ses désirs ? Ou
bien celui qui, dans une autre histoire, revendiquait lunivers couvert par ses trois
pas ? Si cest ainsi, je revendique lespace, la chute, le sursaut et les
intimes ondulations de mes trois pas vers toi. Je toffre lécorce de ce
vertige. Je toffre la seconde fragile de lélan. Je toffre loubli
et linsolence, le mensonge et les multiples vérités de mon être. Prends-les. Ils
sont tous moi. Mais as-tu vraiment compris cela ? A perte
de vie la lune mhabite. Je
marche. Rien ne me semble tout à fait réel. Quelque chose de lisse et de souple, comme
une peau de serpent à limpensable douceur, me frôle. Une brise. Non. Un vent
glacial. Non. Louragan de mes vies. Plusieurs. Infinies. Séparables. Je me
démultiplie, très rapidement. Cest pour cela que je ne me vois plus. Là-bas je
danse avec un abandon total devant des regards qui me soupèsent et mévaluent comme
un objet. Ailleurs, je lévite dans une cave dermite pour mieux défaire les fils,
lécheveau du temps qui me lie. Et plus loin encore. Plus loin. Je suis dans les
bras dun autre, et cet autre, cest toi et ce nest pas toi, cest
lui, mais qui est-il, à qui suis-je en train de moffrir, à quelle dérive, à quel
chemin reconnu, à quel lieu de compréhension enfin atteint ? Cela se
passe-t-il vraiment ou nest-ce que le songe survenu au milieu du point de
suspension ? Tant de choses se passent, dans ce simple signe de ponctuation
Absence.
Mes pas se dirigent. Vers lui ou toi ? Je ne le saurai quau bout de mon chemin.
Je ne me reconnais pas. Des oiseaux haut envolés passent et repassent au-dessus de moi.
Je me souviens de leur trajectoire, des constellations quils dessinaient au bout du
regard et des notes de musique quils évoquaient en moi lorsque pour la première
fois, tu.
Aujourdhui, cest vers un autre que jemporte mon silence et mon chant.
Pourquoi ? Ainsi mes pas mentraînent. Je ne peux que les suivre. Il y a trop
de vide en moi pour que je puisse interrompre ma mélodie. La résonance. Les échos. Des
rêves, des nuits non vécues, des trop-pleins, des pas assez. Je ne me
suis pas arrêtée. Je ne
suis pas entrée. Je suis un fantôme. Jerre. Jai vu son visage à la fenêtre
qui me regardait tristement. Il me semble bien quil y avait des feuilles mortes sur
ses joues. Que sa pâleur avait le goût de lhiver sur mes lèvres. Çaurait
été la première fois. Je ne me suis pas arrêtée. Je retourne vers toi.
Suspendue. Je le
sais, tu te demandes vainement où je vais. Pourquoi, à linstant où je devrais
être toute entière à toi, comblée dans la nudité de nos regards, parvenue à ce
paroxysme que toi seul peux moffrir et renouveler à chaque fois comme un orfèvre
sûr de son art, je mévade ainsi dans ces lieux obscurs et hantés de barbelés,
déclats de verre, de fragments dos brisés un cimetière de désirs
inassouvis et morts dattente, dattente jamais aboutie et jamais réalisée, de
lente lente flétrissure où je vieillis et me désagrège en quelques secondes,
irrécupérable, irrachetable. Tu ne
peux pas comprendre une telle angoisse. Elle vient de ce que ce monde, avec ses pâles
lumières et ses violences, meffraie. Elle vient de ce que lhomme
mabîme. De ce que tu seras toujours en deçà de toi-même parce que tu ne veux pas
te livrer pieds et poings liés à léruption de tes sens et de tes émotions. Tu
dois, comme toujours, réfléchir, raisonner. Je ne veux pas de ta satisfaction mais de
ton insécurité. Je veux tes imperfections, non ta possession. Je veux tes failles, je
veux tes faiblesses, je veux ta fragilité, je veux ton corps donné et non prenant, je
veux une main qui hésite et vacille, et non qui savance, sûre de son fait. Je veux
ce toi que tu caches si soigneusement sous tes multiples peaux. Et je voudrais que tu ne
me demandes rien en retour, comme si le don était suffisant, et quil
nentraînait dautre promesse ni dautre attente.
Cest ainsi que tu parviendrais au bout de ton voyage, au lieu de tant
teffrayer, en me voyant partir, mévader avec ce que tu as appelé une plainte
si mélodieuse et si terrible, de ce que tu ne me possèdes pas toute. Mais
pourquoi me posséderais-tu ?
Nai-je pas droit à moi-même ?
Suspendue. Balancier, entre lui et toi. Je ne choisirai pas. Je suis à moi. Je vogue dans
cette somnolence comme un bateau en quête de son naufrage. Je flotte de réalité en
réalité. Je suis ici et ailleurs, autre et moi-même. Je ne sais pas qui je suis. Point de suspension |
FIN