Le
Swami ADVAYANANDA SARASVATI est digne de toute notre admiration.
Apôtre de la non-violence autant par les pensées,paroles et actions,
d'une immense érudition et en même temps d'une grande simplicité, il
nous a accordé une interview traitant de son parcours et de ses
valeurs.
1) Swamiji,
pourriez-vous tracer en quelques lignes votre cursus personnel et
philosophique avant de vous orienter sur l'Hindouisme ?
Namasté ! Comme tout enfant de Ste Anne, j'ai commencé par suivre ma
grand-mère à la messe et avoir une vie religieuse relativement
intense dès mon jeune âge, inspiré par les saintes et les saints du
catholicisme. Cela s'est estompé à l'adolescence et presque disparu
lors de mon entrée dans le monde des adultes. Etant attiré par les
langues, j'ai voulu apprendre la langue tamoule et comme les cours
étaient faits par le prêtre du temple de St Paul à l'époque, je me
suis plongé dans les rites hindous avant d'approfondir ma
connaissance de cette tradition.
2) Pourquoi ce choix de l'Hindouisme plutôt qu'une autre orientation
philosophique ? et dans l'Hindouisme, pourquoi ce choix de la
branche choisie ?
Ce n'est pas moi qui ai fait un choix délibéré mais le courant de la
vie m'a emporté vers les rives de l'océan qu'est l'hindouisme ! Le
même courant (prarabdha karma) m'a ensuite emporté vers la branche
védântique de l'hindouisme.
3) Avec quel maître spirituel avez vous commencé votre quête ? et
Pourquoi avec lui ?
J'ai commencé en 1976 avec Aya Gopal Ramsamy, prêtre mauricien à
Saint Paul, puis j'ai suivi de 1977 à 1980 l'enseignement d'un autre
mauricien, Brahmachari Pranava Chaitanya (aujourd'hui Swami
Pranavânanda de la Mission Chinmaya) à la Réunion et à Maurice. En
1980, j'ai été admis à Sandeepany Sâdhanâlaya de Mumbai pour y
suivre une formation de trois ans. J'ai eu comme enseignants
principaux Swami Harinâmânanda, Swami Chinmayânanda, Swami Dayânanda
et Brahmachari Swarûp Chaitanya (aujourd'hui Swami Viditâtmânanda).
En 1985, j'ai rejoint Swami Dayânanda qui est depuis lors mon maître
spirituel principal.
4) Comment se sont passés vos débuts de simple étudiant ? Qu'avez
vous appris ? Qu'est ce qui vous a semblé le plus important ? Les
rituels ? le symbolisme ? la Philosophie ? La pratique au quotidien
de ce que vous avez appris ?
Ma curiosité était surtout pour savoir s'il y avait des esprits et
de la sorcellerie, comme on me l'avait fait croire quand j'étais
enfant. J'ai vite réalisé que l'hindouisme est plus un océan de
connaissances où les rituels sont remplis de symbolisme enrichi de
philosophie et de sagesse spirituelle. J'ai participé activement aux
rites et sacrifices dans les temples dans différents endroits de
l'île avant de me tourner vers l'étude approfondie des textes et
vers la vie plus spirituelle. Du rituel au spirituel, en quelque
sorte !
5) Avez vous suivi les "4 ages de la vie" à l'Indienne, été marié
avec ou sans enfants avant de prendre du recul ou simplement profité
que vous étiez célibataire pour approfondir votre quête ?
Le courant de la vie m'a fait passé de l'étape de " jeune cadre
dynamique" célibataire à celle de brahmachârî (étudiant védântique)
sans passer par les responsabilités de la vie familiale – bien que
j'ai dû m'occuper de ma mère et de deux neveux orphelins ! J'ai eu
en quelque sorte le rôle de père sans avoir fait d'enfant, tout en
continuant mon chemin spirituel.
6) Qu'avez vous tiré comme enseignement de votre élévation comme
brahmachari ? Que doit faire un brahmachari ? Quel est son rôle ?
Peut-il être marié ou a t'il déjà dû faire voeu de chasteté et
d'abandon du désir de biens matériels ?
La vie de brahmachârî est une vie de contrôle de soi. Ce n'est pas
une vie de refoulement mais de sublimation. Les envies et désirs
naturels qu'ont les êtres humains doivent être sublimés en cours de
temps. C'est un épanouissement – donc à chacun son rythme.
L'hindouisme nous apprend à ne pas nous culpabiliser mais à
reconnaître que nous n'avons pas atteint le contrôle total de ses
désirs quand tel est le cas. Nous n'avons jamais fait de vœu de
chasteté ou de pauvreté car cela peut être contre-productif. La
chasteté et le manque d'intérêt pour le seul monde matériel
apparaissent naturellement en cours de temps. Le monde matériel a sa
juste place mais plus important que lui est la dimension spirituelle
de l'univers. Nous devons réaliser celle-ci comme étant la vraie
nature du Tout, donc de nous même !
7) Est ce quand vous êtes devenu Swami que l'on vous a confié la
responsabilité d'un ashram Quel est le rôle d'un ashram par rapport
à un temple ? Pourquoi s'orienter plutôt vers l'un ou plutôt vers
l'autre ? Quelles sont vos relations avec les responsables de
temples ?
Notre orientation spirituelle nous demande d'inclure le rituel dans
notre vie de tous les jours mais le rituel n'est pas forcément la
liturgie des temples. L'hindouisme nous offre des possibilités. Dans
un temple, le rituel prime alors que dans un ashram c'est le
spirituel qui domine. Dans un temple, le prêtre fait du rituel son
métier alors que dans un ashram, le rituel doit servir de tremplin
vers le spirituel. Les temples sont remplis de fidèles, les ashrams
d'aspirants spirituels, pour parler simple.
Nos tendances naturelles nous amènent vers l'un ou l'autre.
8) Que fait-on dans un ashram ? Quelles sont les activités que vous
proposez dans celui du Port ? Les activités sont elles payantes ?
Comment choisissez vous vos enseignants ? Peut-on y faire une
"retraite" ? Si OUI à quelles conditions ?
Il n'y a pas d'ashram type. Tout dépend de l'enseignement ou de la
voie spirituelle qui y est suivi. Dans certains ashrams, on est plus
porté vers la méditation ou vers la récitation des chapelets. Dans
d'autres, on étudie les textes ou on fait un subtil mélange de
toutes formes d'activités spirituelles proposées par l'hindouisme.
Les activités d'Arsha Vidya Ashram au Port sont surtout basées sur
l'enseignement et la pratique du yoga. On a, pour commencer la
journée, une session de méditation tôt le matin et, en général, des
cours de yoga ou d'Upanishad le soir. Le samedi après-midi est
réservé aux langues tamoule et sanskrite et au cours de religion. Le
samedi matin, nous faisons le bain rituel (abhishekam) des statues
du temples, et le samedi soir, le satsang (rituel, chants et prières
suivis d'enseignement).
Les cours sont payants mais les tarifs sont très modiques (30 euros
par mois pour deux séances de deux heures de yoga par semaine, et 10
euros pour les autres cours (langues et religion). Nos enseignants
sont bien souvent des anciens élèves déjà formés.
Malheureusement, nous ne proposons pas de retraites individualisées
par manque de moyen d'accommodation.
9) Est ce au swami ou à l'étudiant qu'incombe le choix de la méthode
de son évolution spirituelle ? : jnana yoga (la connaissance),
bhakti yoga (la dévotion), raja yoga (la méditation) ou karma yoga
(le yoga de l'action)
L'idéal est, bien sûr, que l'aspirant spirituel se prenne en main
tout seul, mais on a toujours "besoin d'un petit guru chez soi !" Il
est préférable de parler de son cheminement avec son enseignant qui,
souvent, peut nous apporter une aide substantielle.
10) Quelles sont les principales qualités à développer sur le chemin
spirituel ? Les principaux défauts dont il faut se débarrasser
absolument ?
Swami Chinmayananda disait souvent que "sincérité et régularité sont
les deux clés pour la réussite spirituelle." Dans le chemin
spirituel, il est indispensable de mettre son ego de côté.
11) Que pensez vous du célibat des prêtres ? un prêtre- d'église ou
de temple- exercera t'il mieux sa fonction s'il est marié ou non ?
Le célibat ou la vie de famille dépend de sa personnalité. Certains
aiment le célibat et d'autres la vie de famille. Le célibat accorde
plus de liberté dans ses actions mais la vie de famille peut aussi
nous aider à être plus attentifs aux autres. Le célibat ne doit pas
être forcé par un vœu qui, à la longue, pourrait être source de
frustration. Chacun doit vivre pleinement sa vie dans le cadre de
son dharma.
12) Alors que la non-violence en paroles, pensées et actions-
l'ahimsa- est prônée par l'Hindouisme, que pensez vous des
sacrifices d'animaux offerts à Dieu au nom de sa foi ?
Pourquoi ce rite existe t'il dans la plupart des religions ?
Le plus grand sacrifice est le sacrifice de soi en actions, en
paroles et surtout en pensées. Les autres sacrifices doivent nous
mener à évoluer. Il est très dangereux de parler de traditions
lorsqu'il s'agit d'habitudes ! Les religions sont des écoles de vie.
Il ne faut pas toujours rester au niveau du primaire.
13) On parle de 4 ou 5 éléments dans la plupart des religions et de
la nécessité de se purifier par chacun d'eux. Si on retrouve
aisément la purification par l'eau et le feu dans le Christianisme,
par l'eau (ablutions) dans l'Islam, dans quels rituels retrouve-t-on
les autres éléments dans ces 2 autres religions ?
La purification est primairement physique. Les ablutions sont aussi,
souvent, physiques. La plus grande purification est mentale. Le
pranayama utilise l'air comme moyen de purification des nâdis
subtils. La terre est source d'énergie tellurique aussi. Elle est
aussi purificatrice si on sait s'en servir. L'espace est encore plus
pur car il est le plus subtil des cinq éléments. La méditation
utilise, entre autres, l'espace aussi. Plus on s'élève mentalement
dans l'espace, plus on étend son champ de conscience.
14) Dans le temple annexe à l'ashram, il y a les statues des dieux
Ganesh et Shiva. Pourquoi le choix de ces divinités ?
Un temple d'ashram est secondaire par rapport à un temple ritualiste
qui donne plus d'importance aux formes et couleurs. Nous voulons que
les fidèles se servent des statues pour en comprendre l'essence.
Toutes les formes proposées par l'hindouisme indiquent toutes le
même but. Nous avons volontairement choisi de garder que deux
statues dans le temple d'Arsha Vidya Ashram afin de limiter les
formes, et donc les rituels répétitifs, et afin que l'enseignement
et la méditation aient une plus grande place dans notre vie
religieuse.
15) Vous avez choisi pour ce temple la plus grande sobriété en y
mettant que ces 2 divinités
et en en réduisant les représentations au maximum. Pourquoi ce choix
?
Comme nous sommes situés dans le Centre Cultuel du Port, nous nous
devions de créer un lieu de culte. Notre prarabdha karma (situation
à un certain moment donné) nous a donné la possibilité de construire
un lieu de culte important. Connaissant les différents styles
d'architectures en Inde, nous avons choisi la sobriété extérieure
pour laisser place à la richesse intérieure – pas la richesse des
formes et couleurs, mais la richesse de l'enseignement spirituel.
16) Certains hommes -sectaires- s'acharnent à chercher dans leur
religion tout ce qui les
éloigne des autres religions? ou à refuser des personnes d'autres
races dans leurs lieux de culte. En tant que membre du "dialogue
inter-religieux" Pouvez vous nous démontrer au contraire en quoi
toutes les religions sont proches et apportent même des
enseignements parallèles ? Y a t'il toutefois des incompatibilités ?
Toutes les grandes religions se veulent universelles. L'hindouisme
n'est pas une religion basée sur la race mais sur l'humain. Le
Christ, Mohamad ou Bouddha n'ont pas enseigné dans le but de diviser
les hommes mais de les rapprocher. L'hindouisme est le Sanâtana
Dharma, la recherche de l'Eternel. Nous nous retrouvons donc dans le
dialogue inter-religieux où l'on apprend à mieux connaître les
autres formes religieuses et où l'on découvre que les valeurs
prônées sont universelles, à condition de dépasser les dogmes et
traditions – tout en les respectant à leur juste valeur.
17) Quand et comment commence selon vous le phénomène sectaire ?
Le phénomène sectaire commence avec le sentiment que l'autre est
inférieur et aussi avec l'intolérance. Quand nous disons que
certains sont au niveau primaire de la religion, nous avons la même
attitude que quelqu'un dans l'enseignement secondaire ou supérieur
se comparant à quelqu'un dans le primaire –sans aucun rejet ou
affirmation exagérée. Nous voulons surtout que l'autre atteigne
notre niveau et nous dépasse aussi. Ce n'est pas l'autre qui est
inférieur mais seulement le niveau où il se trouve à l'heure actuel
par rapport au but final de la religion. Rester bloqué à un certain
niveau et vouloir que tout le monde reste à notre niveau peuvent
être aussi sources de sectarisme. Notre droit de naissance est la
liberté. Rester enfermé dans toutes sortes de croyances ou
d'adoration nous rendent prisonniers, incarcérés.
18) tout le monde- et toutes les races et âges- peut-il suivre un
enseignement d'ashram ?
A quelles conditions ? Faut-il obligatoirement être célibataire ? et
fortuné ?
L'enseignement religieux non-sectaire est ouvert à toutes et à tous.
La seule condition c'est d'être sincère et de pouvoir comprendre
l'enseignement dispensé. Un verset sanskrit déclare que le guru
donne seulement un quart de la connaissance, l'échange avec les
autres co-étudiants nous donne un deuxième quart, notre étude
personnelle un troisième quart et le quatrième quart arrive en cours
de temps ! Cela laisse la place à l'évolution personnelle.
L'enseignement que nous avons suivi à Mumbai (Bombay) de 1980 à 1983
n'était pas basé sur les critères raciaux ou familiaux, ni même
religieux. Il y avait parmi nous un chrétien qui dans sa chambre
avait son petit autel avec le Christ, et personne ne le lui a
reproché. Tenir compte de la fortune pour accepter un élève ou
disciple, c'est tout simplement du sectarisme !
19) Quelle serait la question (ou les questions) que vous auriez
aimé que je vous pose ?
Merci de les proposer et d'y répondre
Je crois que j'ai répondu à ma façon à vos questions.
Merci Swamiji de nous avoir accordé de votre temps.
© Patrice Louaisel, 2010 |