Un patrimoine
sélectif Influencées par les mass média, les objets de consommation et le contact ou le voisinage avec les " produits humains " de la société française (les métropolitains, dont la différence est radicale, et avec qui la relation est souvent un mélange ambigu de rivalité et didentification), les stratégies identitaires et les formulations patrimoniales ont véritablement émergé dans les années quatre-vingt à La Réunion, au moment ou lîle commençait a souvrir au tourisme. Si le communalisme ny est pas aussi exacerbé quà lîle Maurice, lethnicisation fait incontestablement lobjet denjeux politiques à La Réunion. Avec lexemple du renouveau tamoul, on observe une résistance ou un renforcement identitaire face à des formulations locales homogénéisantes qui sinscrit lui-même dans une mouvance générale des cultures et des sociétés face à luniformisation. La même dynamique peut être observée dans les milieux gujaratis et chinois. De façon significative, les populations malgaches et comoriennes récemment arrivées, dont la terre dorigine nest pas rangée dans la catégorie des " grandes civilisations " et qui occupent les périphéries économiques et symboliques de la société réunionnaise, ne sont pas engagées dans cette production identitaire ostentatoire. Il en va de même pour les Petits-Blancs des hauts de lîle et les métropolitains, qui malgré leur petite proportion sont porteurs des modèles dominants. Il reste les populations dorigine africaine et métisse, proportionnellement les plus importantes dans lîle, pour qui les stratégies sont plus globalisantes. Si un certain " africanisme " tend peu à peu à voir le jour, cest malgré tout la notion de " métissage " - un métissage désormais vecteur de beauté et de singularité - qui est le plus à lordre du jour et qui permet aux laissés-pour-compte-de-lidentité-stable de se reconnaître une spécificité (15). Le projet académique consistant à considérer la spécificité la société réunionnaise dans son ensemble ou à mettre en évidence des micro-cultures distinctes au sein de celle-ci participe quant à lui dune même démarche générale qui est celle de la valorisation des particularismes culturels. Les aspects essentialisants et foncièrement simplificateurs des discours " culturalisants " sinscrivent dans des processus globaux de validation et de légitimation des différences. Ces discours sont par ailleurs porteurs de contradictions internes, notamment celles entre le dire et le vivre, qui passent sous silence de nombreuses questions pratiques. Est-on par exemple Malbar, " Tamoul ", " Réunionnais " ou " Français " de façon contextuelle, alternative ou simultané? Dans ce " département français de lOcéan indien ", l" identité française " - si elle existe - se réduit-elle à une simple citoyenneté (administrative) plus ou moins pertinente selon chacun? Au moment où se développe une petite bourgeoisie urbaine qui sassimile de plus en plus par ses modes de vie à cet autre métropolitain, dont elle cherche dans le même temps à se démarquer par le discours identitaire, qui se reconnaît vraiment dans les notions d" identité créole ", de " créolité " ou de " réunionité ", récemment développées par des universitaires et intellectuels locaux? Les modalités de la constitution du patrimoine (quel patrimoine? décidé par qui?) et les affirmations identitaires sont animés par des logiques individuelles et globales complexes. Dans le contexte réunionnais, la valorisation ethnique et régionale participe dune dynamique générale qui implique largement la France. La création récente dun musée de la canne à sucre, dans le sud de lîle, offre un exemple de collaboration active dacteurs sociaux locaux et non-locaux mais également tributaires du soutien ministériel pour produire une mémoire institutionnelle réunionnaise. Si les chercheurs métropolitains sont tout autant engagés que bon nombre dintellectuels et/ou de politiciens locaux dans la production des particularismes culturels, des processus dialogiques constants permettent toutefois aux acteurs sociaux de sapproprier, de négocier et de réinventer les conceptions de l" identité ", émergeant à lextérieur et à lintérieur de lîle, en fonction de leur propre background ethnique, culturel et social. 15. Le modèle du métissage apparaît notamment dans la composition des groupes folkloriques de maloya, les brochures touristiques, les cartes postales, etc. |
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