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B. DES FONCTIONNALITES ET DES
SIGNIFICATIONS DES CHANSONS
DANS LE FILM (SUITE)
iii. La chanson comme raccourci dans la narration :
On constate que,
très souvent, la chanson sert comme raccourci dans la narration, constituant un outil qui
permet de traverser de longues distances dans les dimensions spatiale et temporelle.
Compte tenu des « règles » du théâtre classique qui prévalent toujours sur les
conventions du cinéma hindi, le film moyen retrace souvent la vie entière des
personnages principaux (car souvent, les forces qui façonnent leurs caractères et
destins se trouvent dans leur enfance ou leur adolescence). Même dans les films qui ne
touchent que la vie adulte, il y a quand même des références aux moments fatidiques
antérieurs et aux personnages clés dans leurs vies, car lhomme indien
nest presque jamais une unité autonome et autosuffisante, il est un nud dans
un réseau gigantesque et les films soulignent toujours cette vérité primordiale. La
chanson, alors, est bien souvent utilisée pour faire les « sauts » dans le temps : de
lenfance ou de ladolescence à la vie adulte (ou bien en ordre inverse, avec
les flash-backs), mettant en lumière les faits significatifs de la vie. Elle peut
également être le fil dAriane qui regroupe des événements apparemment sans
rapport et qui se déroulent dans des lieux différents, mais qui ont, bien entendu, un
lien fort avec lhistoire.
Les strophes présentent lune après lautre les personnages principaux, leurs préoccupations et leur situation précédente. Ainsi le jeune capitaine retrouve son bonheur dans la lettre de sa fiancée, il décrit les images qui lui viennent à lesprit et le spectateur les voit dans le plan suivant, à la fois avec le personnage (le passé) et seul dans son univers (le présent) :
Pour un autre soldat, cest le village qui lance un appel :
Le commandant rappelle sa mère, son adjoint sa femme, et les dix minutes de la chanson servent ainsi à récréer leurs divers univers, éparpillés sur le territoire indien. La dernière strophe, encore en chur, nous rappelle quils sont - malgré leur diversité dorigines, d'expériences et de souhaits - liés non seulement par le devoir de défendre le pays, mais le désir de retourner à ces univers précieux.
Si dans Border, la séquence a un but plutôt de rapprochement spatial avec quelques incursions dans le passé pour constituer un cadre, dans Umrao Jaan (1981, réalisateur et producteur : Muzaffar Ali ; compositeur : Khayyam ; parolier : Shahryar), le spectateur suit lhéroïne de lenfance à lâge adulte dès la première chanson. Ce film, représentatif du courant « médian », retrace la vie dune des poétesses et tawaifs (courtisanes) les plus célèbres du XIXe siècle, Umrao Jaan Ada, qui a été enlevée enfant, et vendue à un kotha (maison close) où elle a appris la musique, la danse et la poésie. Le film possède une bande musicale qui comprend des ghazals parmi les plus remarquables de lhistoire du cinéma de lInde. La première chanson, pratham dhar dhyan - raagmala (interprétée par Ustad Ghulam Mustafa Khan, Shahida Khan et Runa Prasad) commence avec une séance de riyaz (répétition) où la petite Umrao Jaan apprend - contre son gré - la musique classique, la danse kathak. Les plans successifs indiquent le passage du temps et les progrès faits par lélève. Vers la fin de la séquence, nous découvrons lactrice Rekha (qui interprète le rôle de ladulte Umrao Jaan) .... encore à une séance de riyaz : il y a eu, donc, un saut dune dizaine dannées à travers le seul symbole de permanence dans sa vie : la musique. Cet usage de la chanson pour marquer la course du temps est très fréquent, même si souvent il est fait dune manière beaucoup moins subtile : dans plusieurs films (surtout des années 70 et 80 et surtout des films dAmitabh Bacchan), la transition entre le héros enfant et l'adulte se fait à travers une chanson, souvent en compagnie de sa famille, son meilleur ami ou son amour denfance (Amar Akbar Anthony, Meri Jung, Mukaddar ka Sikandar, Yaarana etc.)Dans dautres cas, la chanson représente un mouvement temporel, certes, mais ne correspondant pas à des décennies ou des années : il sagit de la mise en place dune période, dune habitude ou dune relation. Par exemple, dans le film Ghar (Maison, 1978 ; réalisateur : Sippy ; producteur : N.N. Sippy ; compositeur : R.D. Burman ; parolier : Gulzar), la mise en image de la chanson Aaj kal paav zamin par nahin rahte mere (Mes pieds ne touchent pas terre ces jours-ci) dépeint lépoque où le héros fait la cour à lhéroïne : le passage du temps est visible à travers le changement dhabits et de saisons, ou bien les lieux de rencontre. Tandis que, dans Dilwale Dulhaniya Lejayange, le réalisateur exploite la chanson dans un but assez novateur pour le cinéma hindi : il fait une projection dans le futur des personnages principaux avec la chanson Tujhe dekha to jana sanam (Il ma fallu te voir pour savoir...) qui sinsère à mi-chemin de lhistoire, au moment où le héros et lhéroïne se retrouvent en Inde après une séparation forcée et reconnaissent leur amour. Le public entrevoit à travers cette séquence des moments de la vie de Raaj et Simran après leur mariage ; or le film se termine quand le père de Simran donne son accord pour leur mariage après maintes péripéties et du suspense jusquau dernier moment (car elle est promise à un autre, et le père se présente avant tout comme un homme de parole). Le dernier plan du film reprend une scène de ladite chanson, soit un aperçu de la suite du happy-end.
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