Poèmes pour Aimé
19/4/08

Mon cœur, préservez-moi de toute haine
ne faites point de moi cet homme de haine pour qui je n’ai que haine
car pour me cantonner en cette unique race
vous savez pourtant mon amour tyrannique
vous savez que ce n’est point par haine des autres races
que je m’exige bêcheur de cette unique race

(Césaire, Cahier d’un retour au pays natal).

 

Tu sais le cœur
Sans rime
Sans césure
Jamais
sans Césaire
Ces rythmes
Que le temps supprime
Que la mémoire rumine

Aimé
Ce dur pigment
Aux muqueuses des damnés
Il est temps
Dis-tu
De comprendre l’importance
De la poussière des négriers
Quand la maladie du sang maudit
Parle en nous
Des organes
Des viscères

 Il s’est arrêté ce cœur aimé
Avec autant de temps à faire
Qu’à défaire,
Césaire sur césure.

Il est temps de regagner
Cette Terre natale
Et supplique suppute suppôt
Supplique supplie ces temps morbides
Comme le gros dogue bagué
Qui aboya sur le nègre
Sensé le mordre
Pour saborder son noir sort

D’où vient la vie
Te demandes-tu
De là
Que tu ne saurais nommer sans dommage

Penses-tu
A ces Afriques
Que tu nommas
En mes Indes ?

D’où te vient la poésie nègre ?,
Te demande-je,
Sinon du même lieu que l’apatride
Puisqu’elle est chant de la vie
Jetée en pâture
A ce dogue qui aboie
Devant la gale de Gorée.

Il est une seule direction
Face à ce rythme césuré
En Césarien
Pas de prosodie qui soit de l’ordre de l’impair
Non que le seul rythme noir
Soit celui qui bondit de coup de poing
En coup de pied.

Et encore
Il faudra demander au Congo
Ce qu’il connut du Brahmapoutra
Et Césaire
Qui nous mena à l’écoute du poème
En ce qu’il se pense,
D’énergie
De solitude pétrie
De joies flétries.
Hein Césaire né encore de l’impair
De l’impertinence du verbe

Du verbe chicane
Maître à paroles enchaînées.

Sombres comme l’orage contenu
Sur la lourde étuve des mélasses.

Et pourtant,
C’est souvent ici
Que la source ne se tarit
Point.

Glouton le cerbère
Couillon ce dogue

son artère
encrassé en cales pisseuses
le même foc tous les paresseux
ou les souillons encalminés

Mais il fut Aimé
un instant où le sang
se coagula
et remonta au cœur
l’air contrit
l’air marri
l’air nègre que l’on déchaîne

et ta vie
est en sursis
car la mort marronne
de boucan en bouquet

Le cœur a ses prisons
que la raison
ne rime pas
dis-tu,
il fut fou cet homme
qui osa cracher leur verbe en pétard,
de prétoire en poème
il hurla sa déférence
sur les fesses des purs suants

et dire qu’ici
la poésie négresse
devint attentive Pénélope
au souffle pourri
des capitaines interlopes

au murmure long
de longs sanglots
des couillons en automne
violant leurs violons
viole sur viols
violences sur violences

Comme aux intimes
frémissements des mots
tu pus percer l’abcès
tu pus
par le seul rythme
des images tuméfiées
et des coups de pieds du méprisé
briser le mépris des scrofules

mais tout semble
se contenir
dans un mot

vie

vidée
de son sens
ou emplie de ton sang

Césaire aimé
comme un caillot livide
accroché entre le sang fluide
et la mort annoncée
de l’artère césurée

mais l’attente du cœur
nécessite une pensée
pour le bonheur Aimé

De n’avoir jamais pensé à lui
jusqu’à cet instant
c’est cela qui damne
le bourreau au siège de son libido
aboyant comme le dogue
mordant l’étoile cannibale

Mais le nègre stellaire
Possède un paletot en fer blanc
Qui frôle la casserole des constellations

Ainsi la lumière
répond
à ton rythme
courant alternatif
en ton cœur
diastole systole
le même arrêt
programmé
une faille dans la continuité
cette prosodie qui fut l’arme
fatale du verbe renonçant
au crime de lèse-majesté

Mais qu’est le cœur du poète ?
A-t-il plus d’âme
que celui du mortel
dont les mots quotidiens
suffisent à peine
à cajoler la mort ?

Et-il plus sensible à la lumière
ou à l’ombre déchirée
quand les mots s’éclipsent en ses yeux ?

Son cœur arrêté
sent-il mieux les pensées
non dites ?

Noirs desseins
noires Antilles
tout marronne entre le blanc et le noir,
Noirs ces oracles vidés de leurs entrailles
Peules sérères ou masaïs

Mots victuailles
Comme gangrène des canailles
Roussailles sur coussecailles
Voilà que la racaille
Se mêle de briser le vernis
Des mots susurrés de porcelaine bleue
en matité noire

Césaire rythme enfin
les brises éclatées
dans la mangue pourrie
éclaboussée de sa maturité

Sait-il mieux sentir
cette vie qui est prêtée
à tous et à toutes ?
Surtout celle qui est arrachée
Aux fronts d’impurs pigments ?

Ou bien en fait-il une immortelle
Temporalité, une logorrhée carniphage
où le poème s’érige en épitaphe
sans fin en désir de vie ?

Qu’a-t-il ce cœur
qui se penche trop sur l’abîme
ou la faille du continent noir ?

Aimé, es-tu ce nègre insulaire
que la lune évite
en se montrant à demi ?

Qu’a-t-il ce cœur
qui se retire trop vite
de la solitude du poète,
se pensant aimé de l’univers
alors que chaque étoile naine
s’embrase de son énergie indomptable ?

Là,
Une négresse berce la voie lactée
Au son d’une plainte brûlée
De naine rouge,
Là ta da tamoule
Te livre syllabe au lait des jaspes.

Mais c’est bien l’amour
Qui te guetta
Aimé
Surpris comme tout homme
Sur l’ombre de son poing fermé
Non par renoncement
Mais par désir de rendre
La lumière aux yeux des bannis

Après tout
le cœur n’est qu’un muscle autonome
qui raisonne contre les marées
des exils colossaux.

Il n’est pas cet organe
où l’âme siège seule
en face de l’éclaboussement
de l’oxygène
et des bouts de planètes.
Poète,
Tu mènes l’oraison
sur la plante de tes pieds
qui foulent pleinement
ce pays natal entre détroits et péninsules.

Ce sont ces limbes
qui ont tressé
le cordon ombilical
du poète :
ton poème utérin,
qui nous rendit césairien.

Port-Louis, 19/04/08

© Khal Torabully, 2008


Hommage à Césaire (K. Torabully)

Petit cahier sanglant (U. Timol)


Retour à la page précédente

    

SOMMAIRE