Vikas Harish :

"Toutes les formes d’art sont  un moyen pour les communautés d’exprimer leur vision collective."

      
  

   En cette année 2010, le musée du quai Branly, à Paris, propose une exposition originale et passionnante intitulée Autres Maîtres de l'Inde. L'objectif est de mettre en lumière tout un versant méconnu de la création artistique populaire indienne - traditionnelle ou moderne - celle des populations originelles du sous-Continent : les Adivasi. Vikas Harish, conseiller scientifique de l'exposition, nous en dit un peu plus...


Interview  -  L'expo  -  Ayyanar, figure du paysage tamoul

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Interview

  • IR : M. Vikas Harish, pouvez-vous tout d'abord vous présenter aux visiteurs de notre site ?

VH : Je suis historien d’art et muséologue. L’Art est pour moi l’expression d’un artiste ou d’une communauté qui communique avec les autres. Jai déjà travaillé sur de nombreuses expositions sur les arts indiens. Cependant,  dans le cadre d’un travail de recherche, j'ai pu contribuer  à une exposition sur Picasso en Inde. Aujourd’hui, Je suis le conseiller scientifique de l’exposition Autres Maitres de l’Inde, présentée au musée du quai Branly.

  • IR : Vous avez donc été commissaire de plusieurs expositions importantes, en Inde notamment, et vous êtes conseiller scientifique de l'exposition Autres maîtres de l'Inde : qu'est-ce que cette manifestation a de particulier à vos yeux ? Qu'est-ce qui fait l'essentiel de son intérêt ?

VH : En tant qu’historien d'art j'ai eu l'occasion de travailler dans les plus grands domaines des arts indiens, qu’ils soient traditionnels, modernes ou contemporains. Avec Autres Maîtres de l'Inde je bouscule les frontières entre les arts indiens dits classiques et le contemporain mais aussi entre le classique et le rural. Cette exposition est importante parce qu'elle présente la créativité rurale et tribale de l'Inde, leurs expressions contemporaines hors de leur contexte habituel (sanctuaires, maisons…). C'est un espace contemporain où l'art relate ici sa propre histoire. Nous réintégrons ces 'Autres Maîtres'  à un rang international alors qu’ils étaient souvent ignorés par le gouvernement et le monde universitaire.

  • IR : Pouvez-vous nous parler des Adivasi et de leur place dans la société indienne actuelle ?

VH : Le mot Adivasi signifie "les premiers habitants". C'est un mot moderne utilisé par la constitution indienne pour identifier ces tribus et leur donner une place dans la société où, historiquement, ils ont été longtemps ignorés et mis à l’écart par les autres Indiens. Aujourd’hui encore, même si leur existence est officiellement reconnue, les Adivasi sont souvent économiquement et socialement plus démunis que le reste de la population. D’où l’importance d’une telle exposition pour rendre hommage à ces grands artistes, à leurs expressions, à leurs pensées.

  • IR : Que dire des modes d'expression artistique spécifiques qui les caractérisent, en prenant quelques exemples ? Quelles sont les formes artistiques privilégiées chez ces peuples ?

VH : L'expression artistique en Inde rurale et tribale témoigne de leur relation avec la divinité. Ils créent des figures votives ou religieuses dans une relation évidente avec leur identité religieuse et culturelle. Si on prend par exemple l’image du tigre ou du cheval, on remarque qu’elles sont présentes aussi bien chez les Gond de la région Bastar que dans les expressions Warli de l’état du Maharashtra à l’ouest.  Il existe donc un lien ancestral avec la nature. Chose qu'ils expriment à travers ces animaux.
   L’exposition montre comment l’art traditionnel a changé avec le temps. D’un art statique religieux, presque contemplatif, les artistes ont su changer leur mode d’expression pour, aujourd’hui, être dans le récit et conter aux autres leur vie quotidienne. Ces communautés abordent maintenant des questions d'aujourd'hui ; l'apparition du train ou les avions entre dans leurs créations comme des rêves inaccessibles ou souvent des métaphores sur la modernité envahissante et le dépeuplement des villages.

  • IR : Quel rôle a joué dans le passé cet artisanat ou cet art vivant pour les peuples qui l'ont pratiqué ?

VH : Toutes les formes d’art sont  un moyen pour les communautés d’exprimer leur vision collective. Tous les objets créés ont une utilité, une fonction dans leur vie quotidienne, qu’ils soient  laïcs ou religieux.

  • IR : Les évolutions de la société moderne n'ont-elles pas dénaturé les fonctions traditionnelles de l'art des Adivasi ?

VH : Un Adivasi n’identifie jamais ses créations à de l’art. Cette définition de l’art est complètement extérieure à leurs aspirations et seulement utilisée par la société moderne. Je ne dirai pas que la société moderne dénature leurs créations. Le contexte contemporain de cette société globalisée les a par contre, certainement, introduits dans le domaine public urbain et a inspiré la narration, le récit que l’on peut retrouver aujourd’hui dans leurs œuvres. Ces communautés continuent donc à produire des objets utilisés dans un contexte traditionnel et les cérémonies. En même temps, ils créent des objets destinés uniquement au marché artisanal lors de commandes spécifiques. Les deux formes coexistent donc sans pour autant que l’une prenne l’ascendate sur l’autre.

  • IR : Comment ces formes artistiques ont-elles été et sont-elles perçues de l'extérieur (par les élites culturelles indiennes ou étrangères notamment)

VH : Depuis les années 1960 il y a eu un effort concerté pour reconnaître les créations rurales et tribales et pour les comprendre. Les universitaires tant indiens qu'occidentaux ont travaillé dans ce domaine. De nombreux festivals consacrés aux arts indiens ont permis à ces peuples et à leurs arts de traverser les frontières. Le Crafts Museum à New Delhi ou le Bharat Bhawan à Bhopal sont devenus des institutions importantes pour rendre hommage à  cette créativité dans l’espace urbain et offrir une place importante aux arts tribaux indiens dans le monde comme aujourd’hui au musée du quai Branly.

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L'expo

Musée du quai Branly à Paris, du 30 mars au 18 juillet.

   C’est un autre visage de l’Inde que dévoile cette exposition : l’Inde des populations autochtones et des communautés «folk», dites «Adivasi».

   Ces peuples produisent des oeuvres plastiques étonnantes, tant utilitaires que sacrées, bien différentes des standards connus de l’art indien. Pour la première fois en France, le musée du quai Branly présente, dans une démarche thématique et pluridisciplinaire, les productions matérielles, quotidiennes, artistiques et religieuses les plus représentatives de ces populations indiennes et permet ainsi au public de découvrir une part importante, et encore trop méconnue, de l’art populaire contemporain en Inde.

   Répartis sur l’ensemble du territoire et recensés en 1950, ces peuples maintiennent leurs traditions artistiques tout en étant en contact avec le peuple indien dominant. Egalement réputés pour les traditions vivantes comme la danse, la musique ou le théâtre, développées à la marge des grandes communautés hindoues, ils restent pourtant très mal connus des occidentaux. Les représentations des Adivasi ont longtemps été porteuses d’idées préconçues bien éloignées de la réalité, tant par les Indiens que par les étrangers. L’exposition montre ainsi leur vrai visage, et met en avant leurs surprenantes productions artistiques.

   Photographies, peintures murales de la tribu Rathava du Gujarat, figurines tribales en bronze de l’Orissa et du Chattisgarh, éléments architecturaux sculptés du nord est de l’Inde, sculptures en bois du Karnataka ou du Bihar ou bas-reliefs architecturaux réalisés par les femmes artistes de Chattisgarh sont exposés.

L’exposition s’achève sur les monographies d’artistes contemporains mondialement connus, et présents au plus haut niveau du marché de l’art mondial : les peintres Jivya Soma Mashe et Jangarh Singh Shyam, qui ont choisi d’élargir le champ de leur expression afin de refléter leur situation culturelle contemporaine dans leurs oeuvres.

   En provenance des collections du musée du quai Branly, de musées européens et indiens, de collections privées ainsi que de commandes spécifiques à des artistes indiens dans le cadre de l’exposition, les objets présentés témoignent de la vigueur des traditions artistiques de ces différentes communautés, de leur évolution et de leur ouverture au monde extérieur.


   Par ailleurs, du mardi 20 au vendredi 30 avril 2010, à l’occasion de l’exposition Autres Maîtres de l’Inde, le musée vous invite à une semaine de dépaysement. Venez découvrir une Inde aux multiples facettes et partager en famille une expérience riche en émotions.

  • atelier de création figurine d’argile
  • atelier de peinture Adivasi
  • visite contée Inde
  • déambulations d’un chanteur Bäul
  • cycle de cinéma indien

   A ne pas manquer également :

  • Les concerts de Pandit Hariprasad Chaurasia : les 4 et 6 juin, et avec les frères Mishra (chant Khayal) le 5 juin.

  • "Natya, danses sacrées de l'Inde, de l'Assam à l'Orissa" : les 10, 11, 12 et 13 juin.

  • Le cycle de conférences.

  • Le cycle cinéma.


   Pour toute information complémentaire : www.quaibranly.fr

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Ayyanar, figure du paysage tamoul


Région de Madurai - Photo : Ph. Pratx

FIGURES VOTIVES EN TERRE CUITE (documentation : musée du quai Branly)

   Dans l’art indien des « terracotta », rien n’est plus impressionnant que les gigantesques figures équestres dédiées à Ayyanar, le dieu puissant qui, selon les croyances de la population du Tamil Nadu, protège les villages des esprits malfaisants. Les sanctuaires à ciel ouvert qui lui sont consacrés se trouvent souvent près d’étangs, à la limite des villages, voire sur les grandes routes.
   Des images d’Ayyanar, souvent entouré de ses deux épouses Purani et Purselai, sont placées au centre du sanctuaire, entourées de chevaux, d’éléphants, de boeufs, de vaches, de chiens et de statues de gardes et de guerriers.
   Ces figures votives sont offertes par les fidèles en remerciement de la protection d’Ayyanar dans des circonstances difficiles. Le dieu mène sa chasse nocturne contre les esprits maléfiques avec son cortège de chevaux et de guerriers.
   Les anciens sanctuaires se situent dans les districts de Cuddalore, Madurai, Vellupuram et Pudukkottai. Les chars équestres des gardes et des guerriers, dont la hauteur peut atteindre cinq mètres de haut, donnent une impression d’extrême stylisation en raison de leur construction modulaire alliant tournage et modelage à la main.
   Ces figures sont l’oeuvre des potiers Kusavan et Velar du Tamil Nadu, qui sont aussi les prêtres du culte d’Ayyanar. Après la cuisson, elles sont peintes de motifs de couleurs vives. Une figure typique de cheval plus grand que nature se compose de six parties – les quatre pattes, le buste et la tête – qui ne sont assemblées qu’au tout dernier moment. Une fois sèches, ces différentes parties sont cuites dans un four semi-circulaire en brique.
   Les fidèles transportent sur leurs dos les chevaux, désormais prêts pour être offerts, jusqu’au sanctuaire où un prêtre entre en transe et consacre les figures.
   De nos jours, des figures consacrées à Ayyanar en ciment et béton, aux couleurs voyantes, imitent l’imagerie du cinéma et des calendriers.
Désormais considérées comme des objets d’art que l’on expose dans les jardins et les cours des demeures aristocratiques, dans les hôtels et les édifices publics, les figures en terre cuite du culte d’Ayyanar jouissent néanmoins d’un regain de popularité.

Une partie de ces oeuvres, spécialement commandées et conçues pour l’exposition Autres Maîtres de l’Inde, accueillera les visiteurs dès leur arrivée dans le jardin du musée du quai Branly.

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