Dominique Houchard :

"C’est ma rencontre avec la religion et la communauté tamoule de la Réunion qui m’a ouvert les portes de l’art sacré"

      
  

   Bien que métropolitaine - autrement dit "zorey"  - Dominique Houchard a su se faire connaître et apprécier à la Réunion pour une pratique artistique pourtant typiquement représentative d'une tradition ancestrale propre au milieu malbar : la peinture sacrée... celle des padons, statues et autres temples hindous. Elle revient ici sur son parcours et sur la pratique de son art.


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Interview

  • IR : Dominique Houchard, pouvez-vous tout d'abord vous présenter à nos visiteurs ?

DH : Artiste peintre, je travaille principalement dans le domaine de l’art sacré, pour les temples malbars à la Réunion : peintures sur statues, décorations de temples et de chars de défilé, réalisation de padons et de toiles.

  • IR : Qu'est-ce qui vous a orientée vers le type de peintures que vous pratiquez aujourd'hui, c'est-à-dire des œuvres d'inspiration religieuse hindoue ? Vous travaillez, je crois, avec un sculpteur : pouvez-vous nous en dire davantage ?

DH : Originaire de Strasbourg, j’y ai suivi des études d’architecture, ce qui m’a permis d’acquérir quelques bases en dessin. Je pratiquais aussi le yoga, et connaissais quelques rudiments de philosophie et de spiritualité hindoue.
   En 1993, fraichement débarquée à la Réunion, je me suis donc naturellement intéressée à la pratique de la religion hindoue dans les nombreux petits temples de mon quartier, l’Etang Saint Louis. J’assistais aux cérémonies et, touchée par la beauté et la force qui s’en dégageaient, je faisais des croquis au crayon et aux pastels. Un jour, le propriétaire de l’un de ces temples m’a ramené des pots de peinture et m’a demandé de faire des dessins sur les murs de sa « chapel ». Cela a été le début de ma vocation ! Petit à petit, de bouche à oreille, on m’a demandé de peindre des statues, d’autres temples, des décorations ou des fresques murales.
   Puis, une bonne étoile a voulu que mon chemin croise celui de M. Vilamand Catan et depuis une dizaine d’années nous travaillons ensemble. Vilamand est sculpteur ; il réalise des statues de divinités et des décors de temples (vimanam, goupuram,…). Je dessine les plans, il les concrétise ; il modèle les volumes, je les mets en couleur. Nos inspirations et nos créations s’enrichissent mutuellement, et un plus un font trois…
   C’est donc ma rencontre avec la religion et la communauté tamoule de la Réunion qui m’a ouvert les portes de l’art sacré, et non le contraire. Parfois des « gramounes » me rappellent : « N’oublies pas, c’est le Bon Dieu qui t’a donné ce don », et je le vis effectivement un peu comme ça. Ce n’est certainement pas un hasard si j’ai traversé les mers, pour rencontrer une religion qui me parle profondément, et qui m’a permis de développer des talents que je ne soupçonnais pas.

  • IR : Considérez-vous votre activité comme artisanale ou artistique ?

DH : Qu’est ce qui détache l’art de l’artisanat ?
   Si je suis la définition de l'art selon Petit Larousse, c’est lorsqu’il éveille chez l’homme une certaine sensibilité liée au plaisir esthétique. La décoration des temples et, plus encore, la réalisation et la peinture de statues, participent avec les autres éléments du rituel, à l’éveil de la spiritualité du fidèle. En s’inscrivant dans la tradition, l’art religieux est immédiatement lisible : les symboles et les codes sont partagés. Au sentiment du connu et du reconnu, peut alors se superposer l’émotion liée au plaisir esthétique, émotion qui ouvre les portes de l’âme.
   Art ou artisanat, j’ai l’impression que le débat est plutôt occidental, et que l’Inde ne s’encombre pas de ce type de divisions. Le Vastu Shilpa Shâstra est le traité qui régissait traditionnellement tous les aspects de la fabrication des objets et de la création de la forme. « Cela incluait tous les types de bâtiments, d’installations et de villages et de cités, de meubles, de chariots, et autres véhicules, vases et récipients, bijoux, épées et autres instruments de guerre, instruments agricoles, et sculpture religieuse et ornementale. » (Vastu, Sashikala Ananth, Trédaniel Editeur, p.15). Quand l’homme indien créait, que ce soit un bol ou un temple, il devait y apporter le même soin et suivre les mêmes principes : respecter la fonctionnalité, l’esthétique et la réaction spirituelle à la forme manifestée.

  • IR : Voulez-vous nous parler plus particulièrement de ces images importantes dans l'hindouisme réunionnais : les padons ? Quelle est justement leur importance, leur fonction, leur signification ?

DH : Dans l’hindouisme, Dieu est considéré comme un absolu inconnaissable, le Para Brahma. Mais « ceux qui sont attirés par la contemplation du manifesté se trouvent en face d’un problème, car un être emprisonné dans un corps ne peut saisir les données du non manifesté » (Bhagavad Gita 12-5). L’homme a besoin d’images concrètes (Murti) : les représentations du panthéon indien lui permettent de se rapprocher des mystères de la manifestation divine.
   Les engagés débarqués à la Réunion n’ont, en général, pas emmené de ces images avec eux ; ils vont alors matérialiser eux-mêmes des formes concrètes qui servent d’appui aux cultes. Cela peut être un simple galet ramassé au bord de la mer et planté sur un autel : le kalou. Ils ont aussi peint l’image de la divinité et de ses attributs sur une vitre : le padon (du tamoul padam, image) et réalisés des statues de celle-ci. Une seule de ces formes est suffisante pour effectuer la puja. En général, on trouve dans les temples familiaux au moins un kalou et un padon, ou un kalou et une statue, parfois les trois. Avec la brahmanisation des rituels, le kalou est parfois remplacé par une statue en pierre taillée.
   Aujourd’hui les échanges avec l’Inde se sont développés et de nombreuses images de divinités sont disponibles dans les commerces spécialisés. Les padons peints à la main sont cependant toujours recherchés. Certaines représentations sont, en effet, spécifiques à la Réunion ou typiques des villages du pays tamoul, on ne les retrouve pas dans les images du commerce qui correspondent à une vision plus brahmanisée de la religion. Il peut s’agir soit de divinités spéciales (Marsikalpou, Nargoulan, Massalin Virin,…), soit d’une manière particulière de dessiner une divinité : Mardévirin sur son cheval, par exemple. Réalisé sur commande, le padon peut ainsi être personnalisé selon les souhaits de l’acquéreur.

  • IR : Techniquement, comment réalisez-vous un padon ?

DH : Les padons sont traditionnellement peints sur une plaque de verre, mais à l’arrière de celle-ci : la face visible sera donc celle qui n’est pas peinte. Ce qui demande à l’artiste de tout peindre à l’envers : ce qui est dessiné à droite sera vu à gauche, et aussi de tracer d’abord les détails et ensuite les fonds, ce qui est contraire à la procédure habituelle en peinture.
   Pour cette partie de mon travail, j’essaie de respecter le style des padons anciens : tracé des contours en noir, représentation sans perspective et sans volumes, recherche de formes harmonieuses et expressives et non du respect des proportions, motifs décoratifs spécifiques…

  • IR : Vous peignez également des temples : cela exige-t-il de respecter certains rituels ou du moins certains principes sacrés ?

DH : Les rituels sont effectués par le prêtre qui officie dans le temple qui va être repeint. S’il faut rénover des statues qui étaient déjà bénies, par exemple, il fait une cérémonie pour transvaser l’énergie de ces statues vers un autre support. Que ce soient des statues ou un temple, quand le travail est fini, le prêtre va intégrer ou réintégrer cette énergie lors du Koumbabishegam, on dit qu’il ouvre les yeux de la statue ou du padon.
   Lorsque je travaille dans un temple, sur une statue ou un padon, je suis en carême : c’est un principe de purification et de préparation spirituelle. Avant de commencer à peindre, je me concentre sur la divinité et sur ce qu’elle représente, et ensuite je « lâche », je laisse les couleurs s’exprimer. J’ai le sentiment que la création commence avec la déconnection du mental, en communion avec le monde des intuitions et des émotions.

  • IR : Et qu'en est-il des chars de défilé ?

DH : Avec Vilamand, nous avons réalisé des chars pour le Dipavali de Saint Pierre et pour le Pongol de Saint Louis. Bien que ces chars ne fussent pas destinés à un usage religieux, ils représentaient quand même des divinités (Lakshmi et Soulien), et nous avons donc respecté un carême.

  • IR : On ne sera pas étonné, enfin, que vous pratiquiez la peinture sur toile, elle aussi de même inspiration : que vous apporte cette facette de votre activité ?

DH : C’est d’abord le plaisir de peindre avec une peinture à l’huile de qualité, qui permet plus de nuance dans les couleurs et plus de subtilité et de finesse en général. Cette peinture ne résisterait pas sur les murs, une statue ou une plaque de verre.
   La peinture sur toile, c’est aussi l’occasion pour moi de travailler sans commande et donc, de choisir mes thèmes. Je m’échappe de la représentation stricte des divinités pour évoquer une démarche spirituelle plus personnelle. En effet, lorsque je peins dans un temple, j’essaie de m’effacer pour traduire au mieux l’essence de la divinité. Dans mes toiles, au contraire, je laisse couler mes états d’âme.
   J’ai commencé, par exemple, une série de tableaux inspirés d’anciennes photos d’engagés indiens. Ils parlent d’abord de la force et de la pérennité de la religion dans l’identité des Indiens de la Réunion et de leurs descendants.
   Mais ils traduisent aussi ma quête du divin, qui s’oriente actuellement vers le « connais-toi toi-même ». Je cherche à plonger vers ce qui fait la source de mon identité. Mes dernières toiles me permettent à la fois d’exprimer et d’approfondir ce travail sur moi. Je commence, en effet, le tableau avec une intention, des idées et des intuitions ; et, comme en échange, au cours de l’élaboration ou lorsque je regarde le résultat, la toile me raconte des facettes de moi dont je n’étais pas consciente.

  • IR : Quel regard portez-vous sur le milieu indo-réunionnais, et sur sa vie culturelle ? Qu'appréciez-vous et que déplorez-vous en eux ?

DH : Je suis très émue par l’accueil que me réservent les familles et les associations gérant les temples à la Réunion. J’admire profondément la force de leur foi et de leurs convictions, qui s’épanouissent dans un esprit d’ouverture et de tolérance. Je tiens à les remercier ici pour la confiance qu’ils m’accordent en me confiant ce qu’ils ont de plus précieux.

  • IR : Quels sont actuellement vos projets ?

DH : Je souhaite finaliser la série de toile par une exposition sur le thème des engagés indiens. Comme chaque année, je prendrai aussi un stand dans le village indien du Dipavali de Saint Pierre.
  
En restant dans le domaine de l’art sacré, j’aimerais aussi m’ouvrir à d’autres religions et travailler avec les communautés chinoises et chrétiennes. L’appel est lancé, avis aux amateurs !
   Mais j’essaie d’abord de rester suffisamment souple pour vivre dans le présent et rester ouverte à toutes les belles opportunités de la vie.

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Galerie

   

  

  

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Blog

 
       

   Sous le titre Artistesmalbars, Dominique Houchard a mis en ligne un blog permettant à l'internaute de découvrir l'essentiel de son activité, en association avec Vilamand Catan.
   En visitant ce blog on sera notamment attiré, bien sûr, par la galerie d'images, donnant un bon aperçu de la production des deux artistes. Mais on aurait tort de négliger par ailleurs les textes et commentaires, apportant un éclairage intéressant sur l'imagerie hindoue à la réunion, dans la diversité de ses formes.
   Le blog se trouve à cette adresse
: http://artistesmalbars.over-blog.com

    
       

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