Idayam :

"La double culture peut effectivement constituer une richesse, tout dépend comment elle est intériorisée par l’individu"

    
  

   Composé de Tgh (photo de gauche) et de Sheiks (photo de droite) qui répond ici à nos questions, le groupe de rap Idayam est basé à Paris. Connu déjà sur la Toile à travers son site, où l'on peut trouver ses premières chansons, le duo s'apprête à sortir de nouveaux titres. Sheiks, ici, évoque à la fois son vécu, sa musique, sa vision des Indiens de la deuxième génération installés en France... Un regard personnel et lucide sur des réalités humaines et sociales rarement évoquées.


Interview  -  Écouter et lire  -  Site Internet


Interview

  • IR : Pouvez-vous d'abord présenter les membres du groupe ?

Sheiks (Idayam) : Avant de commencer à me présenter, il me parait essentiel de revenir sur l’histoire de ma famille et en particulier celle de mes parents. Mon père est originaire d’un petit village aux alentours de Pondichéry (situé en Inde du sud et ancien comptoir français). Il a passé toute son enfance dans un village très pauvre (Oulgaret) dans des conditions de vie particulièrement difficiles, cumulant les carences. En effet, il vivait dans une hutte, sans électricité, avec un toit à peine couvert (je te laisse imaginer la galère que ça pouvait être par temps de mousson). Il vivait avec ses cinq frères et sœurs dans la promiscuité la plus totale, il mangeait une fois par jour, il a été le seul de sa famille à suivre des études jusqu’au lycée, lequel se trouvait à plus de dix kilomètres de chez lui ; pas suffisamment d’argent pour y aller en vélo ou en transport en commun, il y allait donc à pied. Son niveau scolaire lui a permis de quitter le pays pour s’engager dans l’armée française. Avant la restitution de Pondichéry alors française à l’Inde, il était demandé aux Pondichériens, et en l’occurrence à mon père, de choisir de garder la nationalité française ou prendre la nationalité indienne. Les membres de sa famille ont choisi de devenir indiens par sentiment patriotique. Mon père, lui, étant militaire français a décidé de rester français, ce choix contesté par les membres de sa famille était vécu par eux comme une véritable trahison. Pour mon père, rester français lui a également permis (d’avoir la chance) d’épouser ma mère, jeune fille de militaire, issue d’une classe plus  aisée (classe moyenne indienne). Mes parents se sont mariés par le biais d’un mariage arrangé comme tous les mariages de l’époque en Inde. Ils quittent l’Inde en 1964 par bateau et arrivent à Marseille pour s’établir ensuite dans l’est de la France, en province.
   Je suis le petit dernier d’une fratrie de cinq enfants. Mes trois premiers grands frères ont connu le racisme primaire (au début des années '70). Des gamins les traitaient de sales noirs et leurs crachaient dessus… C’est à vomir mais je pense qu’il faut rattacher l’attitude, parfois inconsciente, de ces petits « tortionnaires » au contexte historico démographique français de l’époque.
   Quant à moi, je suis née au début des années '80. Dans un contexte moins hostile, pour un Indien d’origine, que celui de mes frères. En effet, j’ai eu « la chance » de grandir en banlieue parisienne, au sein d’une population ultra cosmopolite. Je dis chance parce que cela m’a donné par la suite, j’en suis persuadé, une ouverture d’esprit.
   L’histoire familiale de Tgh est tout aussi chargée. Il a grandi dans une cité que les politiciens qualifieraient de difficile, pas très loin de chez moi. Son grand-père était résistant pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Son père, lui, a toujours eu une vision très tranchée sur la politique française, vu qu’il faisait partie d’un mouvement « anar ». Accessoirement, c’est, aussi, un fidèle lecteur du Canard enchaîné. Avec sa mère, Tgh, alors âgé de cinq ans, déchirait les affiches du Front National. Son militantisme ne date pas d’hier.
  
C’est la combinaison de ces deux histoires familiales fortes qui a crée l’identité d’Idayam. Le groupe est donc métissé et engagé à la fois. Au sein d’Idayam, je suis le rappeur,  j’écris aussi la majorité des articles du site www.idayam.net et je me prête avec beaucoup d’intérêt à l’exercice de l’intervieweur. Dans ma vie, on va dire personnelle, je suis travailleur social en fin de formation. Quant à Tgh, il est le DJ du groupe, il pose l’ensemble des scratch d’Idayam et prend en charge le mixage des morceaux. Il s’occupe également de la partie technique du site.

  • IR : Comment Idayam s'est-il formé ? Et que signifie ce mot ?

Sheiks (Idayam) : Pour la petite anecdote, Tgh et moi, on est né à un mois d’intervalle dans le même hôpital.  On s’est connu cependant beaucoup plus tard, c’est un pote du lycée qu’on avait en commun qui  nous a mis en connexion.
   Vu qu’on était des passionnés de Hip Hop et qu’on faisait chacun de la musique de notre côté, j’étais à cette époque dans un groupe de rap appelé «  La Faction » et Tgh, de son côté,  évoluait dans cinq groupes différents, il a sorti deux compilations en auto production (Get the real hip hop, vol. 1 & 2). On s’est donc rencontré, et on a échangé pas mal sur la musique et sur nos influences. Puis Tgh a intégré mon groupe de l’époque. On a formé Idayam, après avoir quitter respectivement « La Faction » (groupe qui n’existe plus aujourd’hui).
   « Idayam » veut dire cœur en langue tamoule. Pour nous, le cœur est le dénominateur commun de beaucoup de choses, du sentiment amoureux, du sentiment de révolte, de rage, de tristesse… il y a un côté spontané dans la démarche. Et cette spontanéité, elle est au cœur de notre musique.

  •  IR : Musicalement, vous avez choisi le rap, mais y avez - naturellement, faut-il peut-être dire - associé
    quelques composantes mélodiques, instrumentales, parfois rythmiques, d'influence indienne.
    Pouvez-vous expliquer comment vous concevez et composez votre musique ?

Sheiks (Idayam) : Le métissage culturel que j’incarne (français d’origine indienne) transparaît et alimente logiquement notre rap, notre musique. Le rap m’intéresse seulement quand il s’adapte à la personnalité et à l’histoire d’un rappeur, quand c’est l’inverse, à mes yeux, le rap n’a aucun intérêt. Concernant la composition d’un morceau, généralement, on a le texte avant d’avoir l’instrumental. On travaille beaucoup avec des personnes satellitaires au groupe, à savoir, Etiket 0 qui est beatmaker et Artsun (bassiste, guitariste). Jusqu'à présent, on a soumis des samples (souvent issus de musique indienne) à Etiket 0 et Artsun qui proposent, par la suite, arrangements et accompagnements au sample de base. Toutes les transactions de sons se font via le net vu que nos deux acolytes se trouvent dans le sud de la France. La distance n’a jamais été un frein à notre collaboration. On adore bosser avec eux et en général, on est très fidèle aux personnes qui nous ont accordé leur confiance.

  •  IR : Plus largement, quelles sont vos influences musicales et ce que vous aimez écouter ?

Sheiks (Idayam) : J’aime bien la musique quand elle titille ma sensibilité ou mon intellect. Sinon j’ai été bercé aussi bien par la musique d’Illairaja (grand compositeur de musique pour films indiens) que par le funk (que mes frères écoutaient à longueur de journée). Tgh, lui, a été bercé par les grands artistes de la chanson française que sont Brel, Graeme Allwright, Brassens, Ferrat, Ferré…Il s’est mis très tôt à écouter du rap (américain comme français), d’ailleurs, il a toujours le vinyle de Benny B dans ses bacs (rire). La soul est un style musical qu’il affectionne beaucoup.
   Moi, j’écoute beaucoup de choses et pas forcément de tout comme beaucoup le prétendent. J’écoute un style de musique selon mon humeur, selon le moment de la journée (la nuit par exemple, j’adore écouter de la trip hop ou du jazz). Dans les transports en commun à Paris, ça va être plus du rap.
   Concernant les artistes qu’on apprécie, on adore particulièrement la musique de Nitin Sawhney qui est vraiment une référence absolue pour notre groupe. Asian Dub Foundation, on aime beaucoup aussi, d’ailleurs on a passé toute une après-midi avec certains membres du crew, on a pas mal de points en commun avec eux, ne serait-ce que pour l’engagement et l’indianité. Susheela Raman est une artiste qui déchire bien dans son genre.
   En rap, on salue la démarche du rappeur Kwal. « La Rumeur » me parait un groupe incontournable notamment pour la qualité de leurs textes. Pour une liste, un peu plus exhaustive de nos influences, je t’invite à te rendre sur notre my space/idayam.

  • IR : Le rap, originellement - même s'il a pu se dévoyer souvent vers des orientations commerciales - est
     aussi une forme d'engagement, socialement marqué par des origines noires américaines ou, en France,
    par les communautés immigrées d'Afrique, du Maghreb... Vous sentez-vous proches de telles
    "communautés" ? Ces racines du rap correspondent-elles parfaitement à vos aspirations ?

Sheiks (Idayam) : Comme tu le soulignes, à juste titre, le rap tend principalement vers des orientations commerciales. Cependant il  ne rencontre plus (à quelques exceptions près, Booba et Diam’s) l’énorme succès qu’il a connu pendant la période de 1998 à 2000. Le succès de certains acteurs de la scène rap tenait juste au fait qu’ils étaient massivement matraqués sur les ondes d’une certaine radio (Skyrock) que vous devez sans doute connaître à la Réunion. Aujourd’hui, cette visibilité médiatique ne suffit plus.
   Pour en revenir à la question, hormis le fait que j’ai grandi dans un quartier populaire et que la bande originale du quartier à l’époque c’était les morceaux du groupe de rap Ministère Amer. Il y a d’autres choses qui m’ont séduites dans le rap.
   Avant tout, je me suis approprié cet outil d’expression à une époque (vers '97) ou j’avais besoin d’évacuer certaines choses. Le rap a eu pour moi une vertu thérapeutique et m’a permis d’extérioriser des contenus refoulés.
   D’autre part, on a beaucoup craché sur le rap, en disant notamment qu’il était responsable des émeutes de 2005, mais pour moi, le rap m’a permis de reprendre des études. Notamment en changeant mon rapport à l’écriture, j’ai alors appris à être rigoureux et exigent vis-à-vis de l’écrit. Et bien sûr, ce sont des qualités qui sont forcément valorisées quand tu fais des études. Là, par exemple, je viens de boucler un mémoire de recherche et j’ai procédé, à peu près, de la même manière que quand je rédige un texte de rap. Dans les deux approches, on est à la recherche d’un certain esthétisme.
   Pour en revenir au format rap, il me permet de rédiger des textes concis mais très denses et percutants à la fois. C’est un style d’écriture où on va à l’essentiel qui me convient parfaitement. Idayam, c’est le primat de l’écriture sur la forme rap. L’écriture est centrale et le rap n’est qu’un texte interprété et adapté à une instru la plupart du temps hip hop.
   Je me sens naturellement très proche des communautés immigrées d’Afrique et du Maghreb. D’une part, parce que j’ai grandi avec des personnes issues de ces communautés. D’autres part, parce qu’il existe beaucoup de similitudes entre nos cultures respectives, notamment en ce qui concerne le poids des traditions.
   On est également sujet à cette problématique des enfants issus de la deuxième génération, à savoir le fait d’être partagé entre deux cultures parfois difficilement conciliables, le fait de pas être considéré comme français alors que l’on ne connaît que la France… De plus, pour le flic ou le facho de base, je suis plus assimilable à un noir qu’à un français dit de souche.

  • IR : Vos cinq premières chansons sont assez variées dans leur inspiration, mais on y retrouve
    nettement cet engagement social, voire politique, marqué d'une certaine amertume, voire de
    pessimisme : est-ce exact ?

Sheiks (Idayam) : La thématique principale du maxi, à un morceau près, concerne la contestation, et cette dernière s’inscrit rarement dans la joie et l’allégresse (ou alors, il faut vraiment être très doué à l’instar du groupe Zebda pour lequel on a beaucoup d’admiration).
   Pessimistes, ouais peut être, quand je vois que l’on donne toujours autant de crédit médiatique à des discours fascisant (cf. les propos de monsieur Sarkozy). J’estime que ça n’a rien de positif, sans parler des galères quotidiennes, souvent gratuites dont on peut faire l’objet.
   Tout ça conditionne notre façon de faire de la musique. En ce sens, il est vrai, on n'est pas loin de ressentir une certaine amertume.
   Malgré cela, si on prend notre démarche dans son ensemble, je pense qu’elle est globalement positive, en effet, les cinq morceaux du maxi ont été un support pour échanger avec des personnes qui ne pensent pas forcément comme nous. D’autres part, certains m’ont dit avoir été très touchés par les textes d’Idayam. Une personne qui avait perdu un proche par suicide m’a interpellé pour me confier que le morceau « Choix 2 vies » lui a fait beaucoup de bien.

  • IR : "Pouretchi" semble être un appel à la révolution, notamment contre un système que vous appelez
    celui de la "dictature marchande" : pouvez-vous nous en dire plus sur vos intentions dans ce morceau ?
    Que signifie le titre ?

 Sheiks (Idayam) : « Pouretchi » est un mot tiré du tamoul et voulant dire « se révolter ». Se révolter contre le néo-libéralisme obscurantiste qui a sans doute fait plus de victimes que l’intégrisme religieux.
   Concernant les intentions du morceau, je te rassure, elles restent bien entendu artistiques, il s’agit de l’expression d’un sentiment personnel. Cette chanson n’a pas pour objectif de rassembler les gens, en vue d’un changement du système. On n'a pas cette prétention-là et c’est tout simplement impossible et surtout naïf de projeter ça pour un morceau.
   De plus le terme « révolution » est tellement galvaudé qu’il est même repris par certains politiciens (qui font, par définition, partie intégrante de l’establishment). Bayrou, par exemple, parle de révolution pacifique. Ça n’a pas beaucoup de sens.

  • IR : "Dans Pouretchi" mais aussi dans "Gare du Nord", vous soulignez les dangers du ou
    des communautarisme(s), encouragé(s) selon vous par le gouvernement.

Sheiks (Idayam) : Pour nuancer ce propos, je dirais que le gouvernement est en partie responsable du communautarisme. Quand on ne favorise pas la mixité sociale dans certains quartiers populaires, on encourage de manière sournoise une forme de communautarisme, étant donné que l’immigration est intiment liée à la précarité. Pour preuve, on n'a jamais vu des migrants débarquer bourrés de tunes. Les immigrés, et je n'apprends rien à personne, pour la plupart, viennent en France pour des raisons  financières. Il n’y a rien de plus légitime à cela, surtout qu’il s’agit de personnes provenant des anciennes colonies françaises. Le traitement de l’immigration en France est scandaleux. Je pense qu’une majorité de Français n’a pas encore saisi ce que l’immigration peut induire chez une personne. C’est véritablement douloureux de quitter son pays, sa famille, tout son passé, son identité (en quelque sorte). Sans parler de l’accueil chaotique  que leur réserve la France (racisme, boulots contraignants, précarité des conditions de vie…). Dans un tel contexte, les coutumes et les traditions sont vraiment un moyen pour les migrants de résister et ne pas péter les plombs, il s’agit d’un mécanisme de survie psychique.
   Si, aux yeux du gouvernement et, par extension, des institutions, l’intégration signifie insidieusement « désintégrer sa culture d’origine », alors, oui, le communautarisme est encouragé étatiquement. La situation est encore plus dramatique pour les enfants de la deuxième génération d’immigrés qui ont toujours vécu en France. Ces derniers sont victimes de discrimination à l’embauche. Ce qui incite un certain nombre d’entre eux à monter leurs entreprises et s’enfermer dans leur communauté. Le communautarisme est le fruit du racisme. Il y a, toutefois, une différenciation à faire sur ces deux notions. L’une peut être légitimée car elle constitue un mode de survie, l’autre est tout simplement indéfendable.
   Peut être que mettre en avant le communautarisme, c’est une manière pour l’État et les médias de ne plus êtres dépositaires du monopole du racisme, vu que dans la pensée collective, le communautarisme est considéré comme un racisme à l’envers.

  • IR : Ces dangers sont-ils vraiment très présents en France selon vous ?

Sheiks (Idayam) : Mon expérience personnelle me fait penser que les dangers sont, effectivement, présents en France. En effet, je pense qu’il y a ponctuellement des tensions entre les communautés.  Moi-même, j’ai été arbitrairement agressé car faisant partie de la communauté indienne, alors en froid avec une autre communauté.
   Mais bon, ça m’est arrivé une fois dans ma vie. Je pense sincèrement qu’il y a plus de signes d’unité entre les personnes d’origines différentes qu’il n’ y a de communautarisme. Pour preuve, à part ma famille, je fréquente très peu d’Indiens.

  • IR : Comment vivez-vous cette situation ?

Sheiks (Idayam) : Moi, j’estime que j’ai pas de temps à perdre avec des personnes qui ont une vision ethnocentrique des choses, les personnes qui partagent mon quotidien, sont en majorité ouvertes d’esprit. Et nos différences ne sont jamais source de conflit. Bien au contraire.

  •  IR : "Gare du Nord" semble avoir des intentions plus sociales que politiques, et évoque un malaise
    identitaire qui repose sur un rejet à la fois de l'Inde et de la France, ainsi que sur un conflit de
    générations. Pouvez-vous nous expliquer comment, au quotidien, est vécu un tel malaise ?

Sheiks (Idayam) : Ça se traduit par des clashs quasiment systématique avec mes parents quand on aborde certains sujets qui pourraient réinterroger la culture indienne ; pour eux, cela est considéré comme un blasphème, même si certaines pratiques paraissent infondées. Je refuse le formatage et la culture indienne peut opérer une forme de conditionnement. Le conflit est finalement synonyme de résistance. Plus il y aura des désaccords, plus je resterai sur mes position et donc en phase avec moi-même.
   Ce malaise identitaire, évoqué dans « Gare du nord », a fait ses premiers pas durant l’adolescence, période pour moi confuse ; en effet, j’avais des difficultés à assumer ma position de Français d’origine indienne. Cette contradiction permanente peut être source de conflit interne. Quand tu vis en France, la culture française représente un monopole dont il est difficile de s’extraire. Parallèlement à ça, t’as beau être d’origine indienne, ta vie ne s’organise pas autour de l’Inde et encore moins autour de ses coutumes et de ses traditions. En ce qui me concerne, je me suis construit à travers le paradoxe (je suis quelqu’un de très timide mais pourtant je m’expose sur scène, je suis indien mais français, « intégré » mais à la fois rejeté…).

  • IR : Existe-t-il un moyen positif d’échapper à ce « malaise identitaire » ?

Sheiks (Idayam) : La double culture peut effectivement constituer une richesse, tout dépend comment elle est intériorisée par l’individu. Cela dépend des ressources et des potentialités de la personne, on n’est pas tous égaux devant ça. Pour d’autres, le métissage culturel peut carrément être pathogène. Ce qui est encouragé dans une culture est condamné dans l’autre culture et inversement. En analyse systémique on appelle  cela « les messages paradoxes », ce qui est particulièrement déstructurant pour un sujet et entraîne parfois la pathologie mentale.

  • IR : Cette situation est-elle, d'après vous, partagée par l'ensemble des Franco-indiens ?

 Sheiks (Idayam) : D’un point de vue individuel, ce n’est déjà pas toujours évident d’être en accord avec soi-même, alors imagine avec l’ensemble d’une communauté. Toutefois, si je devais m’exprimer à ce sujet, je dirais, sans avoir autant de pertinence et de crédit qu’une étude ethnologique (puisque que je me base sur mon expérience personnelle et celle de mes proches) qu’il y a au sein de la communauté franco-indienne une typologie de trois sous-groupes, que j’ai identifiés de la manière suivante les blédards, les bountys et les génies :

- Les blédards vivent en France cependant ils ont l’air de psychologiquement vivre en Inde (ils ont la télé câblée, ne vont qu’à la Gare du Nord (quartier indien de Paris), ont des amis uniquement indiens…). Les blédard vivent à travers ce que je qualifierai de « fantasme indien », sorte d’affirmation identitaire qui constitue, en quelque sorte, un mécanisme de défense notamment quand la France, ses institutions les renvoient à leur (supposée ou avérée) différence et font parfois preuve d’une attitude discriminatoire à leur égard.
- Les bountys quant à eux ont le sentiment qu’ils ne sont que français, ils sont souvent dans le déni et le rejet de la culture indienne. Ils optent donc pour l’assimilation et considèrent, pour les plus radicaux d’entre eux, que la colonisation de l’Inde fut une bonne chose. Ils semblent, toutefois, ignorer  que cette attitude ne les protége en rien du racisme vu qu’ils sont identifiés par autrui comme Indiens.
- Les génies. Ces derniers tirent intelligemment profit des deux systèmes culturels qui leur sont proposés et ils sélectionnent, de manière subjective, les meilleurs aspects des deux cultures. Ils font, généralement, preuve d’une impressionnante qualité d’adaptation et d’une grande ouverture d’esprit. Ils emportent l’adhésion et le respect de la communauté indienne, aussi bien que « la communauté française ».

   J’ai volontairement généralisé les aspects de ces trois sous-groupes. Cette typologie de la communauté indienne de France ne relève pas de la science exacte et peut sembler caricaturale ; elle constitue seulement un outil de compréhension.

  • IR : Toujours dans "Gare du Nord", une voix féminine dit "Je ne veux pas que vous fassiez de l'Inde un
    parc à thème". Je suppose que vous vous êtes rendus en Inde : avez-vous ressenti ce danger ? L'Inde, qui
    entre de plus en plus dans la société de consommation, est-elle en train d'y perdre son "âme" ?

Sheiks (Idayam) : « L’âme indienne » reste à définir. Les représentations que l’on peut se faire de l’Inde peuvent sensiblement différer d’un individu à l’autre, compte tenu de son parcours, de ses influences et de sa personnalité. Je ne peux pas répondre de manière tranchée à cette question. Le pragmatisme est de rigueur.
   Cependant, je pense que l’Inde pour exister (culturellement) aux yeux du monde a besoin de visibilité et cela  passe incontournablement par l’aspect mercantile.
   De plus, si l’influence de l’occident permet de combattre la domination masculine (dix millions de filles tuées par leurs parents en vingt ans), si elle permet de rompre avec le système de caste (qui maintient les inégalités)... je considère alors qu’elle n’a pas que des points négatifs. Toutefois, je reste opposé à toute forme de colonisation, y compris les plus insidieuse et non-violentes comme la colonisation culturelle (par exemple l’influence de l’Amérique sur le reste du monde).
   L'Inde, entre de plus en plus dans la société de consommation, ça profite à qui finalement ? Aux Indiens et par extension, directement à l’Inde. Faut-t-il s’en plaindre ? Je sais pas.

  • IR : "Choix 2 vies" et "Les vrais punis" sont deux chansons tout aussi sombres que les autres, mais peut-
    être plus personnelles - même si la seconde propose une critique du système judiciaire : avez-vous
    envie de nous en dire davantage sur ces deux morceaux ?

Sheiks (Idayam) : Je connais des personnes qui ont connu la prison et il est vrai qu’une personne très chère à mes yeux a tenté de mettre fin à ses jours. Ça bien sûr, je n’étais pas obligé de le dire…
   Quand j’évoque des choses très personnelles, j’essaye, autant que faire se peut, de ne pas faire un copier/coller de la réalité. Je transforme cette réalité pour, d’une part, préserver l’anonymat de ces personnes et d’autre part, rendre le propos, le message universel.

  • IR : Quels sont désormais vos projets ?

Sheiks (Idayam) : On ne va plus démarcher les labels indépendants, on l’a suffisamment fait dans le passé, on n'a jamais eu une once de retour. En même temps, je trouve ça normal, compte tenu de ce qui marche auprès du grand public. Le rap reste, pour nous, une passion. Les mecs qui arrêtent le rap parce qu’ils ne vendent pas, on trouve ça déplorable. Par ailleurs, on trouve ça ridicule d’orienter sa plume pour flatter un directeur artistique ou bien un auditoire ou devrais-je dire des consommateurs.
   Le fait d’être signé nulle part ne nous empêche pas de subsister en tant que groupe et d’avoir une actualité très dense.
   On va  continuer de privilégier l’outil Internet en continuant d’exposer quelques-uns de nos morceaux sur notre site (la V2 est en préparation).
   Le clip de « Gare du nord » a été tourné l’été dernier et devrait être mis en ligne bientôt.
   La mise en ligne de notre « my space », avec quatre morceaux inédits, devrait elle aussi avoir très prochainement lieu.
   La prochaine webtape devrait suivre dans la foulée, proposant une thématique bien précise pouvant paraître comme légère mais je vous rassure le fond n’a pas disparu (et d’ailleurs, ce n’est pas un mal de s’ouvrir à des choses plus légères).
   De plus, il est à préciser que le groupe Idayam fait partie d’une entité plus grande nommée « Anonymes citoyens », constituée des rappeurs Dark Spirit, Dockta, Shanabi et Dafefx. Avec l’arrivée d’Anonymes Citoyens (Anci) dans la vie d’Idayam, il a fallut reconsidérer les orientations du groupe Idayam. Idayam va donc devenir un espace d’expression où je vais exclusivement évoquer ma position de français d’origine indienne, où je vais également faire tout un travail sur mes racines.
   Anci, c’est une démarche groupale, on est plusieurs à réfléchir sur les concepts des morceaux, ça donne parfois lieu à des concessions mais surtout à des débats riches et stimulants. Plus on est nombreux, plus on partage et donc plus on rit. Dans Anci, j’ai alors pris le parti de ne pas faire référence à mon indianité.
   Les deux démarches sont intéressantes et complémentaire pour moi.
  
On va également se préparer à remonter sur scène, on ne sera pas seuls, on va naturellement ramener les Anonymes Citoyens avec nous.

  • IR : Avez-vous envisagé de venir en concert à la Réunion ?

Sheiks (Idayam) : On n'y a pas pensé d’emblée mais si tu organises ça, je pense que ça devrait pouvoir se faire (rire). Plus sérieusement, on n'a pas de contact particulier basé à la Réunion. Mais bon, si on nous sollicite pour un événement et si on a de l’argent pour le billet d’avion, le temps pour venir, ça ne posera vraiment aucun problème.

  • IR : Avez-vous des affinités particulières pour la population indo réunionnaise ? Connaissez-vous sa
    culture spécifique ?

Sheiks (Idayam) : Je connais très peu de choses de la Réunion hormis le fait que c’est une contrée merveilleuse aux multiples reliefs (volcan, plage, forêt tropicale…). Tgh comme moi, on est très sensibles à la beauté des paysages. J’ai un cousin et sa famille qui ont vécu deux ans là bas, je n’ai pas encore eu l’occasion de pointer le bout de mon nez. C’était pourtant prévu (rire).

 

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Site Internet

  

   Pour en savoir plus encore sur Idayam, nous vous suggérons une visite par leur site Internet. Sur la page de présentation, Idayam se décrit ainsi : "Plus proche de la poésie que du rap de rue, plus proche du pamphlet que de la complaisance à un système avarié"...
   Vous pourrez naviguer sur des pages diversifiées concernant le groupe, ses idées, ses goûts (en matière de cinéma, de musique ou de littérature...), ses activités...  Une rubrique est réservée à ceux qui

     
voudraient publier des texte personnels. Et puis - ce qui n'est pas la moindre des  choses - vous pourrez aussi télécharger gratuitement les cinq morceaux du premier opus du duo et prendre connaissance des paroles.
   L'adresse du site est la suivante : http://www.idayam.net
  

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