Jean-Régis RAMSAMY

Journal d'un Réunionnais en Inde

    
  
   Après Histoire des bijoutiers indiens en 1999, le journaliste Jean-Régis Ramsamy a repris la plume pour nous proposer à présent le récit, haut en couleurs, de deux périples complémentaires en Inde, terre de ses ancêtres. Indes réunionnaises vous propose, en avant-première exclusive, de découvrir ce nouvel ouvrage. En cette occasion, l'auteur a eu la gentillesse de répondre encore une fois à quelques questions, nées au fil de la lecture du livre...

Interview        Présentation du livre


Interview

  • IR : Vous évoquez la présence envahissante en Inde du libéralisme américain conquérant (arrogant, impérialiste ?), la "World Company" des Guignols. Est-elle visible et sensible dans tous les coins de l'Inde. Qu'en pensez-vous ?

    JRR : On n’attrape pas des mouches avec du vinaigre, la fin justifie-t-elle les moyens ? Ce n’est sûrement pas à nous d’en juger. Je ne dirais pas que la WC est aux quatre coins des rues, néanmoins quand on vous livre du Pepsi « bleu » (mais oui !) on se demande si on est dans le pays du lassi et autre alouda...Tout pays qui souhaite prétendre aux bénéfices d’une économie mondiale (je pense à des systèmes comme l’OMC) doit sans doute accepter un certain nombre de valeurs nouvelles, dont certaines lui sont étrangères. C’est un marché dans tous les sens du terme.

  • IR : Plus généralement, quel regard portez-vous sur "l'occidentalisation" du pays ? Info, intox ?

    JRRSi je voulais provoquer, je dirais les Occidentaux créent l’Inde à leur manière. Pour une grande part, l’Inde que nous connaissions jusqu’ici provenait des savoirs livresques des Occidentaux. Une fois que l’on a dit cela, on ne saurait pour autant dénoncer ‘l’occidentalisation’, les pays qui vivent en « autarcie » n’ont jamais été des modèles de ‘démocratie’ - le moindre mal, disait un personage célèbre - ni même de développement ; les derniers bastions des pays totalitaires, comme l’Albanie, voire la Corée du Nord, sont des exemples que tout le monde connaît. C’est très réducteur, disons que l’Inde figure parmi les territoires les moins occidentalisés du monde. De quelle manière lutte-t-elle contre ce phénomène ? En envoyant sa matière grise en Amérique, en Allemagne, ses tissus dans le Vieux continent, et ses religions se transmettent de plus en plus dans ces mêmes régions. Donc il y a aussi un phénomène qui agit à contre-courant, l’équilibre.
  • IR : Vous avez eu l'occasion de découvrir au cours de vos périples diverses formes d'art : architecture bien sûr, peinture, musique et danse, cinéma peut-être, création de tapis, art culinaire... Vous êtes-vous surpris à rêver que les Indo-réunionnais puissent un jour devenir aussi créatifs ? Ne le sont-ils pas d'ailleurs déjà, selon vous, mais dans un nombre limité de domaines ?

    JRR : Faute de temps, mais je crois plus encore en raison de mon ignorance des langues indiennes, je ne me suis pas aventuré dans les salles obscures, imaginant aisémment le symbole qu’elles possèdent en Inde, que je décline dans l’ouvrage et qui est d’ailleurs connu de tous.
       Des Réunionnais experts en création de tapis d’Orient ? Pourquoi pas, mais je ne vois pas où ils pourraient vendre leurs produits, encore qu’ils puissent aussi créer le besoin à La Réunion... tout cela est bien maîtrisé par les spécialistes du marketing.
       Je crois que les Indo-réunionnais possèdent une part de l’héritage de nos chers « engagés », qu’ils perpétuent. Et il est vrai qu'avec la Nouvelle Europe et la consituttion de VGE, ils pourraient devenir les nouveaux Indo-européens !


  • IR : Quelles rencontres vous ont le plus marqué, sachant que vous avez croisé la route de personnages aussi singuliers, imposants ou touchants qu'une authentique rani, un chauffeur d'autocar trompe-la-mort, des prêtres hindous et de jeunes cadres dynamiques, un petit vendeur fredonnant "Frère Jacques", des cousins tamouls oubliés...

    JRR :
    Dans ce genre d’exercice, je veux parler de cette interview, je suis pris entre le souci de journaliste d’être limpide, et l’auteur qui souhaite qu’on lise aussi le bouquin. Bon ! Je parlerais du Gange bien évidemment comme expérience marquante, nul ne sera surpris. De même dans le Sud, au temple Sridambarom, j’avoue avoir connu là le moment le plus intense de mon périple. Egalement au temple Sikh de Delhi. Ces prières, allées-venues des pénitents, en boucle, c’est impressionnant.
       Vous parlez des personnes que j’ai rencontrées, je crois qu’on les rencontre en fait dans tous les voyages, je reviens toujours au jeu des acteurs, de Michel Crozier, mais dans cette organisation, il y a les gens qui vont vous arnaquer, fort heureusement il n’y a pas qu’eux, l’immense majorité des Indiens sont des gens honnêtes. Un peu simpliste bon . Dans notre esprit de voyageur, ces personnes au fur et à mesure vont correspondre à mon avis à des types, de stéréotypes qu’on a construits.

  • IR : Ce voyage - ce séjour - vous a-t-il apporté un éclairage nouveau sur l'engagisme, sur vos ancêtres et les motivations ou circonstances de leur expatriation ?


    JRR : Le premier voyage en l’an 2000 m’a immédiatement dissuadé de mener quelques recherches que ce soit au niveau des ancêtres. Auprès de qui se renseigner dans un pays de plus d'un milliard d’habitants. De même, l’organisation administrative sous le mandat anglais ne correspond pas à nos critères de recherches. L’aiguille dans une botte de foin. Néanmoins, j’atténue ces propos, puisque quelques éléments - malgré mon pessimisme - sont sortis de ces voyages. J’ai rencontré des cousins éloignés. Je n’avais aucune excuse, puisqu’une vieille cousine de père, avait conservé les adresses à Pondy....
       Les raisons qui les ont poussés à sortir de l’Inde sont notoires je pense. Elles nous sont délivrées dans les livres. Que voulez-vous que les Indiens nous disent sur une minorité qui est partie il y a un ou deux siècles. Ils ne s’appelaient pas tous Gandhijî, n’est-ce pas ?

  • IR : Vous écrivez, au sujet d'Indiens rencontrés à Bénarès : "Pourtant comme eux, nous partageons la même source, celle de l’Inde", comment, à travers quoi, avez-vous ressenti cette communauté de source, cette fraternité (?) lors de votre séjour ?

    JRR : Un paradoxe, c’est vrai. Quand nous sommes sur place, nous représentons pour eux de potentiels clients, pour un petit nombre d’entre eux des pigeons, appelons un chat... Je le dis dans l’ouvrage, nous aurions tort de croire que ce phénomène est seulement visible en Inde. En même temps, nos racines nous ramènent sur les berges du Gange, de la Yamuna, pour certains, à Tanjore, pour d’autres à Kanyakumari... Le regard froid des douaniers ou des hôtesses de Delhi, à votre arrivée en terre indienne, a de quoi dérouter tout esprit non sensibilisé sur le sujet.
     

  • IR : La rencontre avec les réalités musulmanes - historiques et contemporaines - de l'Inde, à Ajmer et ailleurs, vous a-t-elle amené à une réflexion sur les Indo-musulmans réunionnais ?

    JRR : J’y attache une grande importance, c’est vrai. L’Inde d’aujourd’hui trouve ses origines dans ces invasions mogholes, turco-persannes. Le souffle du soufisme a bercé la contruction de ce pays hindou. Dans l’histoire de l’Inde, hélas, les éléments les plus spectaculaires sont les crises, les émeutes sanglantes qui opposent hindous et musulmans. En ce sens, nous ne pouvons que nous enorgueillir de l’entente entre les descendants musulmans ou hindous à la Réunion. Cela ne m’empêche nullement d’être un fan des gazhal ou kawal, admirer Amir Kushrau ou d'avoir apprécié le film Kuli...

  • IR : Dans la seconde partie, vous écrivez : "A partir des fragments de l’héritage ancestral nous avons façonné en quelque sorte notre Inde... Cette recomposition était purement le fruit de nos représentations." que ressort-il finalement de la confrontation entre ces "représentations" et la "réalité" observée ? 

    JRR : Je ne vous surprendrai pas en parlant de fossés qui existent entre ces deux pôles. Rapidement : parce que l’Inde ne nous a pas attendus pour évoluer. L’Inde de nos Tattas n’existe plus. Je vous cite un extrait du livre « ... les propos de Gilles un ami de Pondichéry me viennent subitement à l’esprit. « Si on estime que La Réunion est restée à l’écart de l’évolution qui s’est produite en Inde au niveau culturo-religieux pendant un siècle ou plus, vous possédez encore les traits des croyances et rites que nous avons oubliés. De fait cet aspect de l’Inde perdu se trouve dans votre île. »

  • IR : Vous avez dédié un véritable petit poème à l'obscur et émouvant port de Tranquebar : quelle est l'importance symbolique et sentimentale de ce lieu à vos yeux ?

    JRR : Au lieu d’un grand discours je vous livre une petite réflexion sur Tranquebar : "le site est tellement désertique, qu’on a du mal à croire qu’un port se tenait en place et lieu de ce désert. Peut-être qu’il ne fut pas une plaque tournante de l’engagisme à l’instar de Karaikkal mais  nombre d’engagés ont transité ici avant d’être orientés vers les colonies. Une nature morte, voilà ce que nous découvrons sur place. L’environnement   même est hostile, chaud et sec. De la poussière à perte de vue en guise de plage."

  • IR : Quelle impression gardez-vous du rapport des Pondichériens actuels à la France (et à la Réunion) ?

    JRR : Je ne suis pas un spécialiste de cette question. Comme tout le monde, je sais qu’ils ont fait un choix à un moment donné, c’est tout. Nos ancêtres également ont fait le leur, plutôt en choisissant de ne plus être des sujets de Sa Majesté la Reine.

  • IR : Et laquelle gardez-vous de votre rencontre avec les dieux hindous, singulièrement les dieux "tamouls" tels que Mourouga ?

    JRR : Cette question renvoie à ce que j’ai dit plus haut sur Sridambarom. Au moment de l’apparition de la statue en or, les cloches développent deux fois plus de décibels. L’assemblée est un ensemble homogène, tous ses membres semblent exceptionnellement égaux face au redoutable mais en même temps généreux Shiva. Tout au long de mon périple indien il ne m’a jamais été donné d’être aussi ému. Je quittais Sridambarom partagé par le sentiment d’avoir vécu un moment d’émotion sans trop en saisir les origines ?

 

Haut de page


Présentation du livre

   Si le livre de Jean-Régis Ramsamy affiche en couverture la mention "nouvelles", que l'on ne s'y trompe pas, il ne s'agit en aucun cas ici de récits fictifs, mais bien d'un ensemble de textes pétris indubitablement de la matière même du réel : un véritable carnet de voyage construit au fil des lieux et des rencontres. La première partie est consacrée à un périple dans l'Inde du nord. Récent. On y entend le tonnerre assourdi du canon américain sur Bagdad... La seconde partie renvoie à l'an 2000 et à une découverte de l'Inde du sud, de la terre tamoule et de ses effluves riches de souvenirs ancestraux.
   Car le premier intérêt du Journal d'un Réunionnais en Inde est bien ici : J.-R. Ramsamy est bel et bien un Indo-réunionnais, et cette identité ne peut être sans conséquence sur le regard, sur le coeur, sur les mots du voyageur parcourant le Sous-Continent. On appréciera donc aussi bien le pittoresque frappant l'oeil sans cesse étonné de celui qui reste un étranger, que la profondeur de telle ou telle remarque, civilisationnelle ou émotionnelle, que seul un lointain enfant du pays a pu formuler.
   Un livre à conseiller, donc, à tous ceux que des racines indiennes, génétiques ou spirituelles, appellent au fond d'eux-mêmes...
   


En vente dans les librairies,
grandes surfaces de l'île...

   Extrait : « Boire un lassi dans un verre en terre cuite, le nec plus ultra lorsque l'on se trouve à Jaïpur baptisée la ville rose. Dans cette ville les mariages se célèbrent en grandes pompes. Les nouveaux mariés dansent dans la rue. Les cortèges se frôlent mais ne se touchent pas car là-bas plusieurs mariages sont célébrés à la fois. Terrifiante expérience au Gange à 5 h du matin.
   D’une région à l’autre nous sommes de plus en plus fascinés par les différentes cartes postales. À Madras et Pondichéry séquences retrouvailles avec des cousins éloignés ravis de retrouver des insulaires. À Tranquebar on met les pieds dans un petit port abandonné aujourd’hui qui fut pourtant la plaque tournante de l’engagisme, l’autre version de l’esclavage.
   Il est vrai qu’en France nous connaissons l’Inde par le biais des récits de voyageurs, des études scientifiques menées par des experts. La vision d’un Réunionnais d’origine indienne est une expérience à ne pas bouder : elle contient une part d’indianité. Au fil des pages on y ajoute quelques marquages personnels, ce qui rend la lecture attractive. On s’apercevra une fois de plus qu’il existe beaucoup de similitudes entre ce pays et La Réunion. Dans un certain sens, l’île a protégé pendant longtemps une part du patrimoine culturel indien dans la mesure où cet héritage n’a cessé d’évoluer en Inde. Encore une fois on ne décrit pas une Inde idyllique mais un pays marqué par l’estampe du 21ème siècle, mais soutenu par un socle puissant à l’image du banian (ou ficus) célèbre par ses racines aériennes. »

 

Haut de page


   

Retour à la page précédente

SOMMAIRE