Daniel Minienpoullé :
"Nos priorités pour cette décennie sont la vulgarisation de l'enseignement auprès des hindous et des tamouls de l'île"
      
  

   La Fédération des Associations et Groupements Religieux Hindous et Culturels Tamouls de la Réunion œuvre depuis bien longtemps dans l'île pour un certain nombre de causes touchant de près le passé, le présent et l'avenir des Indo-réunionnais de religion hindoue. Son président, Daniel Minienpoullé, nous en donne ici un aperçu.


Interview

  • IR : Daniel Minienpoullé, pourriez-vous tout d'abord vous présenter à nos visiteurs ?

DM : Je suis Président de la Fédération Tamoule de la Réunion, plus exactement de la Fédération des Associations et Groupements Religieux Hindous et Culturels Tamouls de la Réunion : F.A.G.H.C.T.R

  • IR : Vous présidez donc cette Fédération : pouvez-vous évoquer son historique ?

DM : La Fédération a été créée en 1971 à l'initiative de présidents de kôvils ( temples) et d'associations culturelles tamoules afin de coordonner leurs actions, de porter collégialement leurs doléances et être l'interlocutrice des autorités publiques. Dès sa fondation, la fédération reposait sur deux piliers : le cultuel hindou et le culturel tamoul.
   Une contribution particulière fut portée par feu M. Vadivel Vayaboury qui durant une quinzaine d'années a impulsé la vie fédérative, l'a inscrite  dans le paysage associatif réunionnais et a défendu un certain nombre de dossiers tels que le rem
placement du bœuf à l'école et à l'armée, l'obtention de visas de longue durée pour les officiants indiens, les professeurs, les artistes indiens etc.
   Compte tenu du contexte historique de l'île après la colonisation, la départementalisation de 1946 a permis une certaine émancipation de la société réunionnaise dans son ensemble, dont celle de nos ancêtres d'origine tamoule. Celle-ci s'est faite par le biais d'une émancipation sociale et économique avec en parallèle une meilleure expression de la pratique hindoue et culturelle tamoule. Ainsi le premier journal de la communauté, Trident,  parut au début de la décennie 60 grâce au retour d'une certaine élite intellectuelle tamoule, partie étudier en France. En 1968 fut fondée la première association culturelle tamoule, le Club tamoul, totalement indépendante d'un kôvil. A partir de 1950 beaucoup de kôvils furent rénovés en béton et selon un style indianisé local.
   Mais beaucoup restait à faire, et ainsi c'est seulement en 1975 qu'un gouroukkal (officiant tamoul) a pu obtenir un visa de longue durée pour pouvoir officier dans un kôvil de l'île ! Toujours en 1975 nous avons pu bénéficier des enseignements d'un swami ou moine de l''école de théologie de la Chinmaya Mission et, depuis, d'autres ahsrams ont été implantés sur l'île.
   En 1985 démarra la rénovation des kôvils selon un style dravidien contribuant à mettre en harmonie nos pratiques religieuses avec nos lieux de culte.
   L'Hindouisme a été, est et restera la ligne conductrice de l'expression des Indo-réunionnais d'origine tamoule et de confession hindoue. Le développement des activités culturelles s'est fait dans la décennie 80 et 90, même si les bases étaient lancées depuis les années 70. 

  • IR : Quels en sont les objectifs principaux ?

DM : Nos priorités pour cette décennie sont : la vulgarisation de l'enseignement auprès des hindous et des tamouls de l'île au moyen de programmes que nos associations mettent en place ; par exemple : Dharma Bâla pour les enfants, créations d'associations culturelles mitoyennes à chaque kôvil etc. Par ailleurs il s'agit d'insérer les tamoulisants dans les structures éducatives publiques existantes : collège, lycée et université, car malheureusement les mondes associatif et scolaire sont encore trop cloisonnés.
   D'un point de vue des échanges : nous travaillons également à la mise en place d'une coopération régionale avec l'Inde digne de ce nom, en appelant notamment les deux gouvernements à la signature de l'accord  "Destination Touristique Agréée" pour faciliter les entrées et sorties des ressortissants indiens. Actuellement il nous faut 48 heures pour obtenir un visa et se rendre en Inde en tant que touriste alors que pour un Indien, on lui demande de multiples garanties : bancaire, assurance, logement etc. et la procédure dure au minimum 15 jours.
   N'en parlons pas pour les échanges économiques et autres, où là encore beaucoup de tracasseries administratives freinent toute tentative de coopération, d'échange. 
   Au niveau de la communication : nous venons de nous lancer dans la production audiovisuelle par le biais de notre boîte de production, Vanakkam Réunion, et nous allons prioriser la recherche de supports de diffusion au niveau de la TV, de la radio et du Web.

  • IR : Un de vos buts est de faire reconnaître à la Réunion trois jours fériés liés à des dates particulières du calendrier tamoul : Pongal, le Nouvel An et la Fête des Lumières... Pourquoi cette volonté ?

DM : D'abord je voudrais préciser que ce dossier comporte deux étapes.
   Premièrement nous demandons que la religion hindoue soit reconnue dans la République Française et qu'à ce titre  des autorisations d'absence légales soient délivrées pour des fêtes religieuses au même titre que les autres religions dans la fonction publique. Voir le BO N°901 du 23 septembre 1967 qui doit être manifestement actualisé et qui devrait tenir compte des réalités vécues dans ce 21ème siècle dans l'outremer.
   Deuxièmement dans le calendrier républicain nous bénéficions de onze jours fériés et chômés, sur ces onze jours six sont attribués à une seule religion : le catholicisme. Nous demandons au niveau régional une redistribution de certains jours fériés et chômés tout en restant dans la fourchette des onze jours maximum.
   Nos démarches entreprises depuis des décennies ont été retoquées sous prétexte : "mettez vous d'accord entre religions et on verra ensuite."
   Depuis 2009 dans le cadre du Groupe du Dialogue Inter Religieux dans lequel la Fédération siège, un accord de principe a été trouvé avec l'évêché de la Réunion pour remettre trois jours (lundi de Pentecôte, lundi de Pâques, jeudi l'Ascension ) dans le panier républicain. Notre demande consiste à ce que le gouvernement par décret régional puisse redistribuer ces trois jours aux confessions demandeurs, à ce jour seuls les tamouls hindous ont entrepris cette démarche officielle. Cette volonté exprime tout simplement le fait de pouvoir disposer d'un Espace temps, de pouvoir pratiquer nos rituels dignement et célébrer nos principales activités culturelles de façon sereine.
   Toutes les religions, toutes les cultures doivent avoir leur place et leur juste place sur ce bout ce terre française. 

  • IR : Où en est actuellement ce projet ?

 DM : En avril 2010, faute d'avoir eu des réponses tangibles de la part du gouvernement , nous avons interpellé tous nos parlementaires  (députés et sénateurs) pour qu'ils puissent porter nos doléances en haut lieu, mais force est de constater qu'hormis une réponse diplomatique, à ce jour rien de concret sur ces dossiers. Tous les élus et le gouvernement  étant en période électorale, je pense qu'il va nous falloir patienter jusqu'en 2012 avant d'avoir un interlocuteur !

  • IR : Votre fédération tient particulièrement à ce qu'il y ait une reconnaissance du phénomène de l'engagisme : quel genre de reconnaissance ? Par qui, et pour qui ?

DM : La connaissance des faits historiques est importante pour que chacun puisse se situer et avoir des perspectives dans son parcours de vie. L'engagisme n'a pas été ponctuel, il a été un processus réfléchi, réglementé et massif, qui s'est inscrit dans la durée afin de répondre à des besoins de main d'œuvre dans le contexte colonial et ce de par le monde.
   Sans chercher une quelconque reconnaissance ou une quelconque rédemption auprès de quiconque, nous, descendants d'engagés, voulons tout simplement que ce processus soit étudié, vulgarisé, enseigné dans l'Histoire de France au même titre que toutes les Histoires de France et, au-delà, que l'engagisme à la Réunion soit inscrit dans la Route de l'Engagisme initiée par nos voisins mauriciens avec l'Unesco.
   Toute page de l'histoire  réunionnaise  mérite qu'on s'y attache, pour que chaque génération puisse comprendre l'origine de leur migration, les déterminants, les pratiques ancestrales etc. L'idée en 2003 était de préserver certains lieux de mémoire tels que les kalbanons (ou huttes) dans lesquels vivaient nos grands parents, les vestiges des anciennes usines sucrières où ils ont travaillé ; nous avons installé des plaques commémoratives, mais ce travail va de pair avec une appropriation de ces faits historiques par le système éducatif.

  • IR :  Vous semble-t-il que l'engagisme souffre d'un déficit d'information historique, comparativement à l'esclavagisme ?

DM : Nous nous inscrivons plus dans un processus éducatif et non comparatif, même si dans les faits des similarités ont existé et, étape par étape, chaque processus doit être abordé.

  • IR : Vous ambitionnez également de donner plus de visibilité médiatique à la culture malbar, notamment sur le petit écran, avec "Vanakkam Réunion" : pouvez-vous nous en dire davantage ?

DM : Actuellement deux émissions sont diffusées sur la TNT via TV KREOL :  le dimanche à 09 heures : "Padèl sur l'Hindouisme" et le Lundi à 19 heures : "Vanakkam Réunion" sur la culture et le savoir faire des  Indo-réunionnais. Le lancement a eu lieu le 14 avril, jour de l'an tamoul, et sous forme associative nous nous attachons à sortir des sentiers battus, à aller au-delà de l'image pour faire passer des enseignements religieux et des activités culturelles méconnues, des portraits, la vie associative etc.
   "Vanakkam Réunion" a pour but de couvrir tous les champs où les Indo-réunionnais opèrent, qu'ils soient culturel, économique, social, sportif, littéraire, éducatif etc. Nous cherchons également des partenaires indiens ou autres pour avoir des news de l'Inde, des actualités nationales, des reportages... Voir la page facebook...

  • IR : Vos initiatives rejoignent-elles des actions menées ailleurs, aux Antilles par exemple ?

DM : Je n'ai pas d'information sur ce sujet.

  • IR : L'Année des Outremer vous semble-t-elle constituer une opportunité pour la diffusion de votre message ?

DM : Pourquoi pas ? Mais, pour vous dire, on ne parle pas ou très peu de cette Année des Outremer à  la Réunion, et je ne sais pas si la dimension culturelle dans son ensemble est prise en compte.

  • IR : Quel regard portez-vous sur la vitalité culturelle et artistique du milieu malbar à la Réunion ?

DM : Le boum a eu lieu dans les années 80 et, depuis, le tissu associatif culturel ne cesse de s'étoffer. Après l'effet Bollywood , il s'agit pour nous d'axer le travail sur une production de qualité alliant le côté ancestral avec les Nardégam (ou bals tamouls) et les spectacles de danse, tamouls ou autres. La formation des artistes est une priorité et des musiciens de talent ont émergé en musique carnatique, en nadhaswaram et thavil ; des danseuses sont diplômées des plus grandes écoles du Tamil Nadou...
   La vitalité est indéniable, encore faut-il polir la pierre pour qu'elle puisse briller de tout son éclat.

  • IR : Quels sont vos projets personnels, et ceux de la Fédération ?

DM : Un de mes buts est d'ancrer la Fédération dans la société moderne. Mes prédécesseurs ont apporté des réponses aux problèmes inhérents  au contexte historique de l'époque, et de réelles avancées en matière religieuse et culturelle sont à noter.
   En ce 40ème anniversaire de la Fédération, il s'agit de conforter l'existant, de l'améliorer, d'explorer de nouveaux champs tels que l'éducatif, le social, l'économique, les relations internationales, l'audiovisuel, etc.

 

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