Shantala
Shivalingappa :

la danse Kuchipudi : "un style d’une force, d’une précision et d’une grâce extrêmes"

    
  
   Parmi les différents styles de danse classique indienne, le plus connu, notamment à la Réunion, est le Bharata Natyam. D'autres formes existent et méritent d'être découverts : la danseuse Shantala Shivalingappa - qui a d'ailleurs eu déjà l'occasion de se produire dans l'île à deux reprises - nous parlera ici du style Kuchipudi, originaire de l'Etat indien d'Andhra Pradesh, au nord du Tamil Nadu.

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Interview

  • IR : Shantala Shivalingappa, le public réunionnais a eu l'occasion de vous voir ou de vous revoir lors du Festival Art Métis 2001, mais pouvez-vous nous en dire davantage sur votre personne et vos activités ?

    ShSh : Je suis danseuse indienne dans le style classique de Kuchipudi, du sud de l’Inde. Je suis née à Madras, et j’ai été élevée à Paris, qui est ma résidence principale.  Je partage mon temps entre l’Inde (répétitions, entraînements, création avec mes musiciens qui vivent à Madras) et l’Europe , où je donne des spectacles de danse indienne, et où je travaille avec différentes compagnies.
     

  • IR : A la Réunion, la danse classique indienne la plus couramment enseignée et pratiquée est la forme Bharata Natyam. Pouvez-vous dire quelles sont les caractéristiques du Kuchipudi, ses différences et ses points communs avec le Bharata Natyam ?

    ShSh : Le Kuchipudi est un des styles classiques de danse indienne. Originaire du sud de l’Inde, le Kuchipudi s’est développé dans l’Etat d’Andhra Pradesh, dans un village du nom de Kuchipudi.
       Comme le Bharata Natyam et tous les autres styles classiques de l’Inde, il prend racine dans le Natya Shastra, traité de dramaturgie vieux de 2000 ans, qui donne une codification précise de la danse, et de l’art théâtral. Comme le Bharata Natyam, il allie danse pure et danse narrative, mais le Kuchipudi est plus vif, plus rapide, plus rythmique, et aussi très ondulant, très courbe, et très gracieux, alors que le Bharata Natyam est plus géométrique. Le Kuchipudi puise de préférence ses chants dans la tradition poétique et lyrique de la langue Telougoue, la langue de l’Andhra Pradesh. Mon Maître, le Gourou Vempati Chinna Satyam, issu d’une famille d'artistes du village de Kuchipudi, a établi à Madras son école il y a plus de trente ans : la “Kuchipudi Art Academy”. Il a revitalisé le style Kuchipudi, en épurant la codification des pas de base, en y ajoutant sa touche personnelle empreinte d’un talent et d’une grâce inouis, d’une imagination et d’une créativité rares. Le résultat est un style d’une force, d’une précision et d’une grâce extrêmes. J’ai le grand privilège davoir appris avec lui et de pouvoir aujourd’hui faire connaitre ce style dans le monde.

  • IR : Comment votre apprentissage du Kuchipudi s'est-il effectué ?

    ShSh : J’ai commencé à apprendre la danse très petite, vers l’âge de six ou sept ans, avec ma mère, la danseuse Savitry Nair, qui a enseigné à Paris pendant près de vingt ans. C’est elle qui m’a initiée et formée pendant dix ans dans le style Bharata Natyam. Puis au cours d’un séjour à Madras, elle m’a envoyée apprendre une variation de Kuchipudi dans l’école du maître VCS, qui était son maître de Kuchipudi (ma mère a étudié le Bharata Natyam et le Kuchipudi). Ce fut pour moi une révélation. J’ai tout de suite senti une passion pour ce style si précis, fluide et gracieux. Je décidai donc de l’étudier, et c’est aussi à ce moment que je décidai de devenir danseuse professionnelle. J’avais dix-sept ans. Depuis lors, j’ai fait des séjours de plusieurs mois d’entraînements rigoureux, pour apprendre et perfectionner mon Kuchipudi.

  • IR : Une danseuse telle que vous doit-elle avoir aussi une maîtrise ou au moins des notions précises de musique ? De quelle musique ?

    ShSh : Tout apprentissage de la danse indienne est inséparable d’un apprentissege de la musique et du système rythmique, ainsi que des textes littéraires de l’hindouisme.
       Danse et musique sont très étroitement liées. Il ne s’agit pas seulement de danser au son de la musique, mais véritablement de faire danser la musique par son corps. La notion de “musicalité” est très importante pour donner vie à un récital de danse. Une danseuse doit connaître les différents ragas ou modes musicaux. Elle doit aussi connaître les histoires mythologiques que racontent les danses. Finalement elle doit avoir une bonne maîtrise du “Tala”, système rythmique qui est la toile de fond de toute chorégraphie.

  • IR : Quel est le déroulement d'une journée ordinaire de la vie d'une danseuse telle que vous ?

    ShSh : Quand je suis en Inde, la journée est normalement remplie de cours et d’entraînements. On commence tôt le matin pour éviter la chaleur. D’habitude une classe/entraînement de deux ou trois heures le matin, puis en fin d’après-midi, nous faisons les répétitions si nous sommes en préparation d’un spectacle. J’essaie aussi de prendre un cours de chant trois fois par semaine.
       A Paris, je fais toute seule un échauffement/entraînement le matin, et je continue à pratiquer le chant aussi.

  • IR : Quels conseils donneriez-vous à un jeune garçon ou une jeune fille qui voudraient s'adonner à la danse Kuchipudi ? Quelles qualités devrait-il avoir ? Quels défauts devrait-il éviter ?

    ShSh : Comme toute pratique physique, sportive, la danse demande une grande discipline corporelle et mentale. Ma mère dit toujours que c’est “95% de transpiration et 5% d’inspiration “! Mais je pense que si l’on a assez de respect et d’amour pour ce que l’on veut apprendre, la discipline vient facilement. Il est aussi très important de bien choisir son enseignant, ou plutôt, d’avoir la chance de trouver un bon enseignant. Je pense que comme dans toute chose, si on y met tout son coeur et toute sa conviction et sa sincérité, on ne peut que réussir.
       Une qualité très importante aussi est celle de l’observation : pouvoir observer avec intelligence et précision, et pouvoir assimiler et reproduire à partir de l’observation .

  • IR : Vous connaissez un petit peu l'île de la Réunion, quelle impression vous a-t-elle donné, sur le plan culturel notamment ? Qu'avez-vous vu des cultures indiennes dans l'île, et qu'en pensez-vous ?

    ShSh : La Reunion est une île que je trouve vraiment magnifique, autant par sa beauté physique, que par l’énergie, l’incandescence (volcanique, mais aussi humaine) qu’on y ressent. J’ai dansé deux fois au Festival d’Art Metis, en 1998 et en 2001. Chaque occasion a été un moment intense, de rencontre, de partage, et d’émotion. J’en garde des souvenirs très chers.
       Malheureusement, pendant ces courts séjours, je n’ai pas eu l’occasion de visiter les temples ou de faire connaissance avec la communauté hindoue et ses activités.

  • IR : Le spectacle que vous avez présenté dans le cadre du Festival Art Métis en 2001 associait Kuchipudi et Hip-hop... une étrange rencontre à première vue. Pouvez-vous expliquer ce qui a justifié cette rencontre et comment elle a pu se réaliser ? Quel était le but recherché ? Cette expérience vous a-t-elle satisfaite ?

    ShSh : Le spectacle que nous avons presente en 2001, “TAKITA”, a été conçu par ma mère pour répondre au thème du festival, le métissage. Le spectacle est né d’une rencontre avec un jeune danseur originaire du Sri Lanka, Premagopal. Prema, qui s’est formé dans le Bharata Natyam et aussi le Hip-Hop.  Il crée son propre style de Hip-Hop Indien. Il a été l’élève de ma mère dans le Bharata Natyam. “TAKITA” a été conçu et travaillé autour de l’idée d’une rencontre semi-improvisée, une rencontre en rythme et mouvement de deux danseurs et trois musiciens. Ca a été une très belle expérience, autant de recherche et de création artistique, que de partage humain au sein de la troupe.

  • IR : Pensez-vous que l'avenir de la danse indienne donnera de plus en plus de place à de telles expériences de fusion ? Imagineriez-vous la rencontre du Kuchipudi avec d'autres formes, traditionnelles ou contemporaines ? La dimension spirituelle et sacrée de la danse classique indienne ne risque-t-elle pas d'en souffrir ?

    ShSh : Inévitablement, de par le phénomène de “mondialisation”, de par la rencontre d’artistes d’horizons différents, la “fusion” des styles et des techniques est de plus en plus repandue. C’est une démarche aussi intéressante et alléchante qu’elle est difficile. Je pense que de créer quelque chose d’une vraie qualité dans ce domaine, est extrêmement difficile et délicat. Mais bien sûr, c’est en essayant qu’on arrive. Personnellement, je suis pour un travail de recherche dans cette direction, tout en gardant d’un autre côté et avec une grande rigueur, le style dans toute sa pureté.
       Quant à la question de la dimension spirituelle et sacrée de la danse indienne, je pense que cette dimension est vivante de par la manière d’aborder, de vivre la danse. En Inde, la danse n’est pas seulement un art de scène, c’est le prolongement d’une manière de vivre, d’une foi, d’une pratique spirituelle. La danse, non pas seulement la danse indienne mais toute danse, est sacrée, si on la vit comme telle dans notre quotidien.

  • IR : Quels sont vos projets à court ou long terme ? Vous reverra-t-on à la Réunion, ou sur des scènes françaises ?

    ShSh : En ce moment je travaille en tant que “guest” avec la compagnie de danse de Pina Bausch en Allemagne, pour une nouvelle pièce dont la première aura lieu en mars.  Je prépare aussi des spectacles de Kuchipudi pour la fin du mois d’Avril à Anvers en Belgique.
       Je n’ai pas de projets à la Réunion pour l’instant, mais j’espère revenir très bientôt sur l’île.

       Un grand bonjour à vous tous de l’autre côté de l’Océan Indien !

 

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Site Internet

      Vous pourrez retrouver Shantala sur son propre site, à l'adresse suivante : http://www.shantalashivalingappa.com
   En parcourant ces pages, en anglais, vous pourrez découvrir sept rubriques : l'une consacrée à la danseuse elle-même, la deuxième à son maître, la troisième à la danse Kuchipudi, la quatrième aux spectacles donnés, la suivante à une revue de presse, la sixième au programme à venir et la dernière à une galerie d'images.
   L'ensemble est sobre et la navigation facile. Une visite s'impose si vous souhaitez en savoir plus sur la danseuse et son art... et si vous pratiquez la langue de Shakespeare !
     
  

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