Sully Santa Govindin :
"Par-delà l'aspect idéologique exposé en préambule du livre, l'intérêt de recueil reste incontestablement pédagogique"
    
  

   Sully Santa Govindin fait partie de ces inlassables artisans de la culture réunionnaise, qui oeuvrent avec passion pour que soit reconnue la désormais incontournable malbarité, tout en restant toujours soucieux du respect des autres composantes de la société réunionnaise. Nous l'avions déjà interviewé en 2001... Il y a quelques mois paraissait ainsi son ouvrage anthologique Grand Manicon et autres textes. C'est d'abord de ce livre qu'il nous parle ici.


Interview   -   Grand Manicon : quatrième de couverture


Interview

  • IR : Sully Santa Govindin, six ans sont passés depuis notre précédente interview, et votre livre Grand Manicon vous ramène au premier plan de la scène culturelle (indo-)réunionnaise. Pouvez-vous tout d'abord nous présenter précisément le contenu de cet ouvrage ?

    SSG : Une stratégie médiatique m'a propulsé sur la scène culturelle en ce second semestre 2007. J'ai saisi l’opportunité des festivités du Dipavali pour lancer la publication de Grand Manicon et autres textes dès la mi-août en concertation avec mon co-éditeur Azalées. Je suis intervenu dans le journal télévisé créole de RFO et je fis l'objet d'un dossier de trois pages dans le JIR magazine intitulé "Itinéraires malbar entre histoire et littérature", mis en ligne sur Clicanoo : http://www.clicanoo.com/index.php?id_article=166556&page=article 
       L'ouvrage en l’occurrence met en exergue la littérature indo-aryenne et dravidienne à travers un florilège de textes. J'ai aussi associé un essai sur la malbarité dans une seconde partie agrémentée de surcroît d'un appareil critique adéquat à l’enjeu visé.


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  • IR : La publication de Grand Manicon est l'aboutissement d'un travail de longue haleine : voulez-vous nous expliquer la genèse de l'ouvrage, les principes qui ont été les vôtres pour le choix de textes et les autres étapes de la réalisation ?



  • SSG : Pour réaliser ce florilège, j'ai dû rassembler un ensemble de textes étudiés sous le regard avisé d’indologues. J'ai conjugué des critères linguistiques, formels et thématiques pour constituer une chrestomathie. Il en résulte un  recueil comprenant une douzaine de textes en édition bilingue qui privilégie plusieurs modes d'expressions. L'hymne, Vinaryéguèl, et la poésie en prose, Opparli, appartiennent au genre poétique. L'essai littéraire, Histoire antique, et la relation de voyage, Grand-Manicon, illustrent le répertoire discursif. Enfin le récit excelle dans les cinq nouvelles réalistes : l'infortuné poulléal, le Malaise de Jyoti, la Fenêtre ouverte, le Réverbère, les Chaînes ; et l'imaginaire s'exalte à travers un conte merveilleux, le Cheval quémandeur de grâce, une prose narrative, l'Ultime désir, et un texte épique, le Prologue des contes du vampires.
      
    La profusion du champ littéraire s'articule dans cette anthologie thématique autour de trois parties intitulées : Sacré et profane ; Hiérarchies et tentions ; Fiction et Humanisme. Deux linguistes préfaciers, G.Staudacher-Valliamée et A.Murugaiyan agrémentent l’essai de leur discours.  Mais je dédie surtout ce livre au Professeur Jean Benoist, un ami auquel je témoigne toute mon admiration pour sa présence "lumineuse" au sein de nos sociétés créoles.  Cette anthologie bénéficie ainsi du label Centre National du Livre, il s'agit d'une aide financière accordée par le ministère de la culture à des auteurs "méritants". Cette estampille cautionne de manière institutionnelle mon activité éditoriale entreprise depuis déjà plusieurs années.
     
  • IR : Avez-vous une préférence pour un des textes du recueil ?

    SSG : J'ai choisi Grand Manicon comme personnage éponyme de ce recueil. Le texte présenté restitue le langage de nos patriarches et présente un témoignage exceptionnel du patrimoine ethnolinguistique des anciens pousaris. Par ailleurs, des éléments explicatifs formulés par les intéressés eux-mêmes nous permettent de mieux cerner les traditions et les croyances ancestrales en regard du monde indien et de la société créole contemporaine. L'enjeu discursif de ce texte s’inscrit dans l'entrecroisement des regards, et il nous est loisible de démasquer les visées néocolonialistes d'un journaliste tamoul qui effectue un périple sur le continent africain et dans les îles Mascareignes à la fin du siècle dernier.
     

  • IR : A quel public, selon vous, s'adresse ce livre ? Pourquoi une édition bilingue ?

    SSG : Par-delà l'aspect idéologique exposé en préambule du livre, l'intérêt de recueil reste incontestablement pédagogique. De manière privilégiée, ce livre en édition  bilingue est destiné aux apprenants en langue tamoule. Cet ouvrage propose un support textuel suffisamment attrayant pour son exploitation dans le cadre des apprentissages précoces et avancés. Sa pertinence s'exerce dans le domaine langagier et culturel, et ses supports permettent d'appréhender la civilisation indienne voire indo-créole en se ressourçant sur des documents originels.

  •  IR : Grand Manicon est un ouvrage réalisé dans le cadre des activités du GERM : où en est cette structure ? Quel rôle le GERM joue-t-il actuellement à la Réunion et au-delà ?

    SSG : Le Groupe d'Etudes et de Recherches sur la Malbarité exerce toujours ses activités dans le domaine éditorial. Il a néanmoins étendu ses compétences depuis cinq années dans la conceptualisation et la réalisation des projets intellectuels et artistiques liés aux festivités du Dipavali à La Réunion. Nous organisons des cycles de conférences, des animations artistiques tant pour le grand public que pour les établissements scolaires : maternelle, collège, LEP et lycée. La programmation de 2007 en ligne sur le site du GERM durait sur plus d'une semaine.
      
    Nous établissons aussi des ouvertures sur le monde indien et elles sont perceptibles aux travers de nos interventions auprès des associations et des services d'animations culturelles. Elles se traduisent par des conventions culturelles et économiques et concrétisent ainsi notre intention de densifier nos liens avec des acteurs privilégiés. Nous travaillons sur des publications francophones et bilingues avec des universitaires indiens. Deux ouvrages paraîtront en 2008 sous l'égide des éditions le GERM dont le catalogue des ouvrages est consultable à cette adresse :  http://monsite.orange.fr/germ/page8.html
     

  • IR : En six ans, quelles ont été selon vous les évolutions majeures dans le milieu malbar, sur le plan culturel (au sens large) d'abord ? Et sur les autres plans : religieux en particulier, mais peut-être aussi social... ?

    SSG : L'engouement des jeunes pour les phénomènes de mode tel le Bollywood et les attirances des couches sociales aisées vers la culture brahmanique n'est en aucun cas un signe de mutation irréversible aux dépens des traditions ancestrales. Pour preuve, l'importance des fêtes privées des « sambrani » et la mobilisation de la population malbar pour le maintien des sacrifices caprins au sein des « sapèl ». Grâce à l'éducation nationale et aux publications universitaires, les consciences s’éveillent et la complexité de la société créole interpelle nos jeunes. Pour preuve, les débats animés autour des festivités du Dipavali dans l’île, et la « une » polémique d’un journal : « Un nouveau goyave de l'Inde ? »
       Des réajustements permanents voire des restructurations s'opèrent entre la mouvance de l'indianité et des valeurs dominantes et patrimoniales liées à la malbarité
     

  • IR : Vous avez donc pris part aux manifestations culturelles du Dipavali cette année encore : que diriez-vous de l'importance prise à la Réunion par cette fête ?

    SSG : D'aucuns décrient les tendances larvées de communalisme, et dénoncent le gaspillage des fonds publics pour magnifier cette fête indienne ! Il me semble opportun de se l'approprier et d'améliorer ce ferment culturel. A vrai dire ce n'est pas une fête authentique et hindoue, car sans subvention communale elle serait moribonde. D’ailleurs les Malbars n'ont jamais attendu l'avènement du Dipavali en l’an 1990. Mais il ont toujours magnifié la lumière avec leur lampe à l'huile à l'occasion des rituels domestiques qui jalonnent le calendrier religieux. Au sein du GERM nous nous investissons dans la confrontation des idées et des regards, et c'est ainsi que depuis plusieurs années, nous nous efforçons d'exploiter des compétences intellectuelles et artistiques afin de les confronter à nos pratiques et nos croyances. Les initiatives n'ont d'autre but que de valoriser la culture malbar en pays créole. Ainsi cette année nous avons programmé une pièce théâtrale sur des textes écrits à l'origine en créole réunionnais, et mise en scène par Madavane, un metteur en scène indien. Nous avons effectué des démonstrations du « bal tamoul » à travers le Terukkuttu auprès des Vartials et des familles réunionnaises. Nous espérons ainsi ramener le public vers les répertoires des anciens et par là même revisiter et questionner nos mythes fondateurs en opérant à partir des concepts de dynamique et de modulation en milieu créolophone.
     

  • IR : Quels sont les projets du GERM, et les vôtres ?

    SSG : J'ai personnellement effectué une communication en 2006 à l'Université de Pondichéry où je conteste le concept de Diaspora indienne, mais néanmoins j'ai rencontré à Delhi en 2007, Monsieur Chakravarty, le secrétaire général de L'Indira Gandhi National Center for the Arts. Pour lui témoigner la nécessité d’une esthétisation de la mémoire de l’engagisme qui concerne des milliers de descendants d'Indiens francophones, j'ai fait un legs de l'ensemble de mes ouvrages au « Muséum de l’engagisme ».
       Des négociations ont lieu pour qu'il y ait une exposition itinérante entre Delhi, Pondichéry et la Réunion, et j'ai accepté d'assumer le rôle de correspondant réunionnais pour ce projet. J'insisterais davantage pour que les Réunionnais puissent bénéficier de l'exposition. En concertation avec un cinéaste maléalon, des projets de court-métrage pourraient se réaliser sur les descendants d'Indiens d'outre-mer en océan Indien. J'ai été invité à la rencontre internationale de L'IGNAC qui aura lieu du 4 au 14 de janvier 2008 à Delhi, et je conseille à toutes les personnes porteuses de projets culturels, sociaux et économiques à venir confronter leurs problématiques et à exposer leurs visions des mondes indo-créoles à ce symposium international.

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