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Indes réunionnaises
    

     TOLSTOÏ ET GANDHI - LES CHANTRES DE LA NON-VIOLENCE

   Dêva KOUMARANE


     A travers le monde, Tolstoï et Gandhi, ces deux noms résonnent dans le cœur des chercheurs de la Vérité comme un silence chantant les mélodies de la Vie qui trouve sa force vitale dans l'Amour. Pour ces deux Géants du monde de la Sagesse, la Vie se ressource dans l'Amour, dans l'Abnégation.
   L'Abnégation et l'Amour sont les rames qui permettent à l'être humain de voguer fraternellement dans la liberté vers ce rivage mystérieux pour s'unir à Dieu. Le Non-violent se détache du monde matériel pour marcher avec confiance vers le monde spirituel. La spiritualité est le miroir de la Foi.
   Tolstoï et Gandhi continuent toujours de nous dire à travers leurs écrits et surtout à travers leur vie exceptionnellement remarquable que la foi appartient au monde sensible qui ignore ce qu'est la raison. Pascal répond à l'éternelle question sur la foi : « Voilà ce que c'est que la foi : Dieu sensible au cœur, non à la raison. »
   Le Russe et l'Indien croyaient en Dieu dans la liberté la plus expressive. Ils n'avaient jamais voulu s'enfermer dans une cage philosophique, religieuse, politico-religieuse, scientifico-religieuse. Ils ont mis de l'Amour universel dans leur Religion. Cet Amour ne peut être réalisé que dans la force intérieure de l'âme humaine qui attend d'être divinisée. « Toute âme est en puissance divine. Le but est de manifester cette divinité » (Swami Vivékananda).
   La Religion universelle est un vaste océan où se jettent les religions comme les fleuves dont les flots ondulants se perdent dans les vagues.
   Pour Gandhi la Vérité est Dieu et non le contraire. Romain Rolland, frère spirituel de Tolstoï et de Gandhi, fut heureux de constater que Tolstoï « saluait dans ses jeunes récits de Sébastopol, comme son héroïne principale, la Vérité ».
   C'est en cherchant la Vérité que l’être humain découvre en lui les forces de l'âme qui lui permettent d'acquérir la beauté de la Sagesse : « La sagesse humaine... consiste à savoir ranger ses connaissances d'après leur importance » Tolstoï  (Romain Rolland Compagnons de route, Ed. A. Michel, 1972 – page 238).
   L'important dans la vie c'est de chercher à réunir dans la fraternité tous les êtres humains aujourd'hui et demain tous les cœurs humains, dans l'Amour universel.
   La réunion de toutes les femmes et de tous les hommes ouvrira les portes de la Paix, c'est-à-dire celles de la Non-violence, celles de la divine humanité.
   La vie divine consiste à détruire dans le cœur humain tout ce qui touche de près ou de loin à l'animalité. Dieu n'est pas une équation mathématique. Dieu ressemble à un poète pour certains, à un enfant ou à un artiste pour d'autres. Shri Aurobindo (1872-1950), le philosophe-mystique de Pondichéry (chef-lieu des anciennes Indes françaises de 1674 à 1954) répond à cette question : « Après tout, qu'est Dieu ? Un enfant éternel jouant à un jeu éternel dans un éternel jardin » (Shri Aurobindo, Aperçus et Pensées, 1938).
   Pour le jeune avocat installé en Afrique du Sud, Gandhi, Tolstoï fut l'indispensable, l'inespéré frère spirituel qui lui avait indiqué le lieu où rayonne le Royaume des cieux :  « Le Royaume de Dieu est en vous de Tolstoï m'enthousiasma. J'en gardai une impression inoubliable... »
   « … Je me livrai aussi à une étude très attentive des livres de Tolstoï. Le résumé des Évangiles, ce qu'il faut faire, d'autres œuvres de lui firent sur moi une profonde impression. Je me rendais, au fur et à mesure, de plus en plus compte des possibilités infinies de l'amour universel ». (Gandhi, Autobiographie ou Mes Expériences de Vérité, P.U.F. 1964).
   Sur le sol sud-africain, victime de préjugés raciaux, le futur Mahatma (grande âme) fonda un « Ashram » appelé La Ferme Tolstoï. L'Amour universel a toujours besoin d'une maison où cohabitent des êtres humains comme des frères et sœurs d'une même famille, d'un même idéal.
   C'est dans l'amour universel que peuvent croître les racines de la Non-violence. La violence est hideuse, haineuse, calomnieuse, rancunière, lâche. La Non-violence est belle, affectueuse, élogieuse, indulgente, brave. Entre la violence et la lâcheté, Gandhi, sans l'ombre d'un doute, préfère choisir la violence. Le chrétien Tolstoï et l'hindou Gandhi éprouvèrent une même et sincère admiration pour le Non-violent Jésus de Nazareth et pour les béatitudes du Sermon sur la Montagne. « … l'établissement d'une religion nouvelle correspondant au développement de l'humanité, la religion du Christ, mais dépouillée de la foi et de ses mystères, une religion pratique, ne permettant pas la béatitude à venir, mais donnant la béatitude ici-bas » (Journal intime – mars 1855, Tolstoï).
   Mohandas Gandhi (1869-1948), Léon Tolstoï (1883-1945) pourraient ou devraient pouvoir être considérés, à notre époque où l'on tente en vain de résoudre tous les problèmes cruciaux par les moyens de la très haute technologie, de la politique clé en main, comme des guides, ou plus exactement des lumières pour éclairer les chemins caillouteux de notre existence.
   « Prends les autres en toi-même, mais donne-leur en retour la pleine divinité de leur nature. Celui qui peut le faire est le guide et le gourou » (Shri Aurobindo, Aperçus et Pensées, 1938).
   Dans l'âme de Tolstoï et dans celle de Gandhi, la Non-violence est l'unique clé qui pourra ouvrir un jour, les portes de l'Amour. Les bons livres, les authentiques conférenciers, les véritables philosophes, les lumineux artistes, les serviables Penseurs sont des lanternes, des phares pour éclairer sans éblouir la voie de l'humanité.
   Tolstoï est affirmatif quand il écrit que « l'Art doit détruire la violence. Et c'est lui seul qui peut le faire ». Il y a un art de se faire beau dans la Non-violence, l'Art de prier. Gandhi aimait prier avec les fidèles des différentes religions. Les religions ne devraient pas diviser l'humanité. Apparemment elles divisent et la spiritualité rassemble.
   Tolstoï et Gandhi connaissaient les écrits, les paroles de Sri Ramakrishna (1834-1886) et de son disciple Swami Vivékananda (1862-1902) Deux éminents mystiques du Bengale du XIXe siècle qui ont propagé l'amour universel. Un centre védantique Ramakrishna dispense également cet enseignement en France, à Gretz.
   Tout au long de sa vie, Tolstoï avait eu soif de connaître les spiritualités des autres civilisations, des autres cultures que celles de l'Europe, c'est-à-dire de l'Occident.
   Il envoya le 14 mai 1909 à son ami très proche J.J. Gorbunov-Posadov deux livres : The Gospel of Ramakrishna de Swami Abhedananda et Essai sur le baha'isme d'Hippolyte Dreyfus. Vers la fin de sa vie, l'auteur de Guerre et Paix tourna son regard hautement spiritualisé vers une « nouvelle religion », née en Perse dans la première moitié du XIXe siècle, appelée la Foi baha'ie. Dans son pays natal (maintenant l'Iran), cette Foi, malheureusement, ne peut pas vivre librement. Baha'u'llah (1817-1892) est le fondateur de cette Foi qui, aujourd'hui, est présente à travers le monde, y compris en France.
   Les gares ont une mystérieuse importance dans la vie de ces deux chercheurs de Vérité. Tolstoï quitta ce monde dans la petite gare d'Astapovo le 7 novembre 1910. Le timide avocat Mohandas Gandhi vécut une certaine mort et en même temps une certaine naissance sur le quai de la gare de Maritzburg, en Afrique du Sud. C'était en 1893. Gandhi devenait le Mahatma (grande âme) qu'il n'a cessé d'être par la suite. Écoutons le :
   « Mais j'ai un billet de première classe !
- N'importe, répliqua l'homme. Je vous dis que votre place est dans le fourgon.
- Eh bien, appelez la police. Je refuse de sortir de mon plein gré.
   Survint l'agent de police. Il me prit par la main et m'expulsa.
[…] Je restais donc assis, à grelotter. La salle d'attente n'était pas éclairée.
   Où était le devoir pour moi ? Songeais-je. Fallait-il lutter pour défendre mes droits ? Repartir précipitamment pour l'Inde sans m'acquitter de mes obligations, ce serait lâcheté !
[…]
   Je décidais donc de prendre le premier train qui se présentait pour Pretoria. » (Autobiographie ou mes Expériences de Vérité, pages 142 et 143)

   Tolstoï et Gandhi n'aimaient pas gémir, pleurer, supplier, quémander comme des personnes qui se trouvent sur le bord de la lâcheté.
   La Non-violence est née et a vécu dans l'élévation de l'âme de Tolstoï et de l'âme de Gandhi. L'Amour ne peut être cultivé dans une âme et dans un corps qui sont au stade de la faim et la soif de l'héritage spirituel. Donc, « Il importe de sauver l'héritage spirituel » (Saint-Exupéry) pour que cet Amour vive en Vérité.
   Pour Tolstoï et Gandhi, Amour est le véritable monde « Seigneur, donne-moi l'amour, toi qui as voulu être nommé Amour ! » (Guillaume de Saint Thierry). Pour eux la Non-violence est une maîtrise de soi, un renforcement de son for intérieur par une bonne nourriture spirituelle.
   Gandhi ne fut qu'en relations épistolaires avec Tolstoï. Pourtant l'âme du premier fut fraternellement en communion avec celle du second. Aujourd'hui leurs écrits, leurs souvenirs nous attendent pour commencer à bâtir un monde nouveau, de Non-violence, pour faire évoluer l'humanité, qui, elle aussi, est en puissance divine.
   La Non-violence vit dans l'Amour et l'Amour rayonne dans la Paix.

© Dêva Koumarane, 2012

 

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