Histoire, Héritages & Enjeux (1)
Jalons pour la compréhension d’une indianité insulaire :
 Immigration indienne, Sacré hindou et Culture tamoule à l’île de la Réunion

Une communication de
Sully Santa Govindin
Président du Groupe d'Études et de Recherches sur la Malbarité

Cette communication vise à présenter succinctement :
- les phases de la migration des populations indiennes vers cette île de l’océan indien ;
- les courants majeurs de l’hindouisme véhiculés par les hommes ;
- les enjeux culturels espérés dans le partenariat envisagé entre hindous du Kwazulu-Natal et ceux de l’île de la Réunion.


 

S O M M A I R E

Histoire récurrente
Espace
Temps

Héritages complexes
Tradition ancestrale qui irradie la créolité
Grande tradition qui se ressource dans l’indianité

Enjeux patrimoniaux
Langue et littérature tamoules
Expérience et ancrage dans l’exil

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« Couronnement Darmèl »

 

 

Histoire récurrente

Espace

     L’immigration indienne est attestée aux Mascareignes depuis le XVIIè siècle et elle fut provoquée par la colonisation européenne. L’effet du travail sous-contrat déversa les coolies sur les espaces continentaux et insulaires : Ile Maurice, Sri Lanka, la Réunion (Océan indien), Australie, Fidji (Pacifique), Malaisie, Singapour (Asie du sud-est), Kwazulu-Natal ( Afrique du Sud), Guadeloupe, Martinique ( Antilles) et Guyana, Surinam, Trinidad ( Amérique.)

     On estime à plusieurs millions de personnes la diaspora indienne dans le monde.

Temps

     A l’île de la Réunion, La présence indienne résulte du transfert massif de travailleurs indiens pour pallier les conséquences de l’abolition de l’esclavage dans la colonie en 1848. En prélude à cette immigration, au début du peuplement, des indiennes de l’enclave portugaise de Goa, des esclaves du Kerala et artisans du Coromandel y furent transférés. L’île reçut en majeure partie des populations dravidiennes : recrutements indo-anglais à Madras, à Pondichéry et à Karikal qui drainèrent des Tamouls en majorité. La dénonciation de la convention franco-britannique de 1861 suivie de l’arrêt de l’émigration indienne en 1882, l’acquisition de la nationalité française dès 1889, puis la départementalisation en 1946 furent les étapes décisives de l’insertion des Indiens dans la société créole. Une insertion au sein de la République Française dont le processus permanent exige l’épanouissement du citoyen au niveau culturel, social et économique. Les Indiens ont fortement modelé la société réunionnaise et ont ancré leur présence dans une île française  maintenant européenne. Les descendants d’engagés constituent une forte minorité à savoir un quart de la population générale, soit près de cent vingt-cinq mille Réunionnais d’origine indienne, hindouiste et de culture à dominante tamoule.

Héritages complexes

     Négociée dans les contrats d’engagement auprès des sociétés d’émigration en Inde, la pratique religieuse hindouiste constituait un droit inaliénable du travailleur indien dans les colonies. Issus d’une société hautement structurée, d’aucuns plongés dans l’anomie insulaire s’exposèrent aux fléaux coloniaux : alcoolisme, prostitution et métissage. Une des stratégies de survie des Indiens fut la symbiose insulaire où télinga, maléalon, kalkutta et tamoul opérèrent une fusion indo-indienne. La pratique religieuse demeura un bastion identitaire et elle consolida l’indianité qui se diffuse continuellement au sein de la société globale. Plusieurs strates caractérisent l’hindouisme réunionnais et nous retiendrons particulièrement deux aspects.

Tradition ancestrale qui irradie la créolité

     La tradition ancestrale et villageoise s’enracine au sein des chapelles d’établissements. Les sanctuaires hindous furent construits sur les aires concédées par  les sucreries qui leur imposèrent le rythme agricole de la canne. Les travailleurs issus des castes inférieurs de l’Inde tamoule voire des groupes tribaux du Bihâr perpétuèrent des cultes de village caractérisés par les sacrifices sanglants dédiés aux divinités mineures (Mini/Pavadérayen) et aux déesses(Pétiay/Karli). Les cultes de ces temples de plantation s’appuient sur une tradition littéraire mixte. Les Pousaris et le public ignorent la littérature sanskrite et les textes classiques tamouls. Seule l’épopée du Mahabharata, le Barldon, et plus particulièrement le PandjapandavarVanavarson une version populaire, est encore utilisée à l’occasion des marches sur le feu pour la déesse Pandjalé. Les épisodes chantés et mimés sont transmis oralement aux pénitents qui possèdent une connaissance résiduelle du tamoul. Le récit des Pandjépandévèls constitue un mythe populaire qui transcende les frontières des koïlous et qui irrigue la créolité. En provenance de l’Inde et transitant par l’île Maurice, le Mariamen talattu  est aussi un livre de prière populaire. La littérature des kadaï est aussi répandue à travers la légende de Maduraï viran ou encore le récit mimé de Manmadan et Iradi dans les festivités du karmon. Les pousaris utilisent aussi des livres de magie et le Pandjangon, une sorte d’éphéméride pour déterminer les dates auspicieuses.

Grande tradition qui se ressource dans l’indianité

     Financés et entretenus par des commerçants tamouls et des anciens engagés parvenus, les koïls des centres urbains véhiculent une image normative de l’hindouisme. On y vénère les Dieux majeurs : Sivèn, Sakti et Visnu. Les brahmanes du pays tamoul magnifient les Dieux dans la langue védique et n’hésitent point à utiliser outre la littérature classique tamoule, le sanskrit des Agama. Les pénitents chantent les bhajans et on peut entendre la musique carnatique. Le rituel brahmanique dédié aux dieux végétariens caractérise ces temples de la grande tradition hindouiste. Cependant la fête de kavadi ou encore le culte à Mourouguèn est la célébration la plus populaire. 

Enjeux patrimoniaux

Langue et littérature tamoules

     Les textes fondateurs de l’identité tamoule à la Réunion sont constitués par les grandes épopées du Mahabharata, du Ramayana dans leur forme vernaculaire ;  la littérature des kadaïs et des nardégons ; et des livrets de colportages dédiés aux divinités mineures. Les genres sont variés ;  vartials et pousaris utilisent des versions narratives, poétiques et théâtrales. Néanmoins la tradition littéraire tamoule s’appuie aussi sur une oralité exclusive qui touche autant le domaine du sacré que du profane. Ainsi on ne dispose guère de texte pour moult figures surnaturelles telles que Nargoulan, et autres héros du Barldon à l’instar d’Alvan. Mais les engagés n’ont pas que transféré et prolongé le corpus folklorique de la tradition écrite et orale en louant l’héroïsme des protecteurs mâles et en sollicitant la protection des déesses de terroir. Ils ont aussi formulé leurs angoisses, leurs plaintes, leurs mauvaises conditions de travail et de vie mais aussi leurs espoirs, luttes et devenir en pays "Birboon" à travers les chants des cabanons (sinnappattus). L’imaginaire insulaire s’est approprié ce corpus et il nous est impératif de prospecter, d’inventorier et de le reformuler en édition bilingue créole/tamoule.

Expérience et ancrage dans l’exil

     Après plus de cent-cinquante ans de présence aux Mascareignes les descendants d’Indiens se sont insularisés et à l’instar de leur langue maternelle ils ont substitué la langue créole au tamoul : une langue ancestrale fossilisée à la seule fonction de communication des pousaris avec les Dieux et les vartials avec un public exsangue à l’occasion des narlégons. Et pourtant, les festivités adressées à la déesse Mariamen et à Mourouguèn connaissent un développement extraordinaire et présentent un visage moderne de l’hindouisme réunionnais. Elles font l’objet d’un consensus novateur entre les deux niveaux de l’hindouisme ; mais les marches sur le feu de par leur engouement et ampleur contribuent à arrimer les hommes à la société d’accueil en articulant les pratiques hindoues à la société créole. A l’instar du temple hindou du Portail à Saint-leu, l’hindouisme réunionnais a su concilier la contradiction apparente entre les cultes villageois et l’hindouisme épuré des villes et des ashrams. Des synthèses inédites s’opèrent ici entre Occident, Afrique et Asie, et qui préfigurent des sociétés plurielles tolérantes bâties pourtant sur les vestiges coloniaux de l’esclavage et de l’engagisme. Plutôt que retomber dans les pièges d’une nouvelle aliénation et de dépossession de notre patrimoine ancestral, nous refusons de substituer une nouvelle culture et croyance mais œuvrons davantage pour un véritable partenariat. Nous glorifions l’expérience des indianités cent-cinquantenaires au sein des espaces continentaux africains et insulaires réunionnais. Nous nous engagerons vers un consortium économique et culturel initié autant par la fédération des temples que les mouvements associatifs et ambitionnons de rapprocher les Tamouls et hindous voire les descendants d’engagés indiens de part et d’autre des océans en établissant des échanges sincères et fructueux.


1 - Dans, Réussir la Coopération. Mémento remis à la délégation tamoule du KwazuluNatal. Dix-huit projets culturels et économiques, juin 2004. Éditions le Germ. Retour au texte.


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