IR : La littérature tamoule, ancienne ou contemporaine, populaire ou savante, est très peu accessible au public francophone : cette situation vous semble-t-elle susceptible d’évoluer ? Comment ? Existe-t-il une volonté de responsables et de décideurs dans ce sens ?

SM : Demandons-nous d’abord : pourquoi  la littérature tamoule, ancienne ou contemporaine, populaire ou savante, est-elle très peu accessible au public francophone ?

   1 - Une maison d’Editions avait demandé la traduction d’un  livre d’un auteur mondialement connu à plusieurs personnes. Ma traduction a été choisie comme étant la meilleure. Mais, on avait dit qu’il fallait revoir certaines parties. Donc on a fait une relecture en ma présence comme cela se passe souvent. Et je reçois une lettre annonçant que la personne  qui l’a relue a participé à cette traduction, par conséquent il aurait son nom dans la traduction. Le livre a été imprimé avec son nom comme co-traducteur. Un jour, dans une réunion, j’ai été présentée comme traductrice du Petit Prince.
   « Ah ! n’est-ce pas "l’autre" qui l’a faite ! »
   Cette réponse m’a beaucoup surprise car cela montre que ceux qui l’ont dit n’ont pas lu le livre : Mon nom y était au-dessus du co-traducteur.

   2 - Une autre fois, une écrivaine tamij célèbre a cité  quelques  phrases de notre livre à la télé en disant qu’elle a eu l’occasion de le trouver dans une bibliothèque sans donner aucune  référence sur ce dernier.  

   Le premier événement montre que les gens pourtant lettrés n’ont pas daigné prendre connaissance du livre traduit. Et l’écrivaine célèbre a ignoré cette pensée : « La joie que j’ai ressentie que le monde la ressente ! »  n’ayant pas indiqué  la moindre référence  aux téléspectateurs.
   Si on fait un commentaire composé de ce passage, on y trouverait la tendance de "je m’en fichisme" – je m’excuse de cette expression, elle figure dans le dictionnaire – de certains lettrés qui ont un devoir de publicité indirecte en vue du public lettré, ici "francophone"…

   Pourtant, sans être pessimiste, la situation semble susceptible d’évoluer, mais l’allure est très lente. Les solutions se trouvent dans le pourquoi de mon exposé. Il y faudrait ajouter une autre information. Le public francophone, j’en trouve trois genres :

   1 -  Ceux qui sont originaires de la langue tamij (je ne dis pas du pays tamij, ni du territoire de Pondichéry) qui ont abandonné la langue parce qu’ils ne la pratiquent pas, négligent la valeur littéraire en se disant « à quoi ça sert », ne sont pas intellectuels pour chercher le profit de cette littérature ; par conséquent, ils se soustraient à celle-ci car elle n’entre pas dans le langage scientifique dominé par les langues occidentales. Autrement dit, elle ne nourrit pas le ventre.
   Pour justifier et mettre au clair cet aspect du problème, voici une copie de la circulaire envoyée aux parents d’élèves par le Proviseur du Lycée Français de Pondichéry :

"Lycée Français de Pondichéry                                               Année scolaire  1996-1997

ENSEIGNEMENT DU TAMOUL

  A compter du BAC 97, le Tamoul ne peut plus être pris comme 2ème langue ou 3ème langue vivante et ne peut faire l’objet que d’une épreuve facultative écrite.
  A partir de la rentrée 97, le Tamoul continuera à être enseigné pour les élèves qui le désirent, du CM1 à la Terminale, mais uniquement en enseignement optionnel.
  Les élèves entrant en 4ème devront choisir une deuxième langue : Allemand ou Espagnol.
  Ceux entrant en 3ème ou en 2nde Généraleou Professionnelle Métiers du Secrétariat qui avaient le Tamoul comme 2ème langue devront choisir une autre 2ème langue : Allemand ou Espagnol, pour laquelle ils suivront un enseignement renforcé de grands commençants.
   Le choix devra se faire avant la fin de l’année scolaire, l’inscription éventuelle en cours de Tamoul entraîne l’obligation de suivre les cours toute l’année.
   Je suis à votre disposition pour toutes information complémentaire.

                                                           Pondichéry, le 30 Janvier 1997

                                                              Signé

                                                           Le Proviseur"
(je ne mets pas le nom du Proviseur).

   A partir de l’année scolaire 2005-2006, dans les classes primaires de CM1 et de CM2, les élèves qui choisissent le tamij doivent payer un supplément à la rétribution scolaire.

   Cette mentalité de pénaliser directement ou indirectement l’enseignement d’une langue classique ancienne et encore parlée dans le monde n’est pas saine, il faudrait au contraire encourager le tamoul. Le gouvernement indien a aussi promulgué que la langue tamij est une langue classique. On devrait introduire l’enseignement de la langue comme une langue d’option dans les écoles et dans les universités (il y en a des universités françaises – Montpellier, Sorbonne, Les Longues Orientales). Donc, des postes d’enseignement tamij certifiés et des expatriés seront disponibles, c’est déjà un avenir pour les étudiants. Je sais qu’ un de mes élèves est un chercheur tamij dans CNRS.

   Dans les îles colonisées, les Français hindous et les Indiens tamijs français de Pondichéry ont gardé leur patrimoine et leur tradition sans garder leur langue. Maintenant, on voudrait comprendre les rites qui sont dans les mains des brahmanes en sanskrit. Presque toutes les prières sont traduites en tamij et on a promulgué qu’on pourrait faire les pujas dans les temples par le gouvernement du Tamil Nad, en cette langue. Une association de l’île de la Réunion  m’a demandé de les traduire en français. Si cette dernière est offerte au public des Français indiens, ce serait un moyen d’éveiller l’intérêt.

   Quand je suis arrivée à la Réunion, j’ai senti ce désir ardent. Il y a ce même désir dans les îles de Martinique, de Guadeloupe… Donc, il y a une  évolution, mais elle est lente, car il y a un éveil et il y a de multiples associations qui sont créées.  Je pense que ces associations doivent se donner la main sans être sporadiques, pour que la langue tamij devienne une langue d’option obligatoire et qu’elle prenne part à la francophonie plus activement.

   Les touristes qui viennent ici quand ils se lancent dans les vêtements, les objets d’art etc… doivent aussi se lancer dans les livres francophones qui sont dans les librairies. Ceux qui ont la chance d’emporter ces derniers, doivent aussi faire l’étalage ou la propagande auprès de leurs parents, de leurs amis et des associations. Pourquoi pas des cadeaux !

   En réponse à la dernière question : je ne peux ni dire oui ni dire non. D’abord, ils sont une poignée. Ensuite, ils sont isolés.  Ils ne sont pas encouragés : tout d’abord,  la jalousie professionnelle des autres qui ne les présente pas aux nécessiteux. La reconnaissance par un public lettré et intellectuel n’est pas déployée.  Et la publicité leur manque même s'il y a des volontaires qui voudraient offrir leur savoir gratuitement. Il y a certaines volontés qui sont dupées par des gens prestigieux et ils n’ont pas les moyens de continuer leur œuvre : en voici, un exemple pour mes contes tamouls :

LES CONTES TAMOULS DE PONDICHERY (INDE DU SUD) ont été publiés en 2003 par Karthala

   "D’ici à quelques jours, je vous adresserai le contrat d’auteur pour régulariser la situation". Lettre datée du 14/02/03, par M. Robert AGENEAU, le DIRECTEUR de la maison d’Editions KARTHALA.
   Cette situation n’a pas été régularisée jusqu’à ce jour.
   Après plusieurs lettres que j’ai écrites, je reçois une lettre de ce Directeur  me proposant un contrat antidaté, où je trouve ce qui suit :
   "Les comptes de l’ensemble des droits dus à l’auteur seront arrêtés le 30 septembre de chaque année. Ils lui seront remis sur sa demande et le solde créditeur lui sera payable à partir du 3e mois suivant l’arrêté des comptes."
   Si je signe ce contrat, cela voudrait dire que j’ai déjà touché mon contrat d’auteurs.
   Si on n’est pas payé, comment une volonté de responsables et de décideurs peut-elle exister, car l’argent est aussi un agent important, il ne faut pas l’oublier.

   Il faudrait qu’on reconnaisse ces volontaires et en tirer profit car la langue tamij est une langue riche en chefs-d’œuvre littéraires et les Tamijs sont d’excellents ingénieurs informaticiens (car la langue et la culture tamijs forment l’esprit mathématique. C’est une vérité : l’apprentissage des kolams aux jeunes enfants est la base de l’enseignement de l’arithmétique). Il faudrait des clients pour acheter leurs publications. Ceux qui ont la chance d’avoir accès à ces dernières, il faut qu’ils en parlent aux autres. Les Tamijs eux-mêmes doivent s’apprêter à le faire : les gens des autres pays qui ont l’occasion de vivre à l’étranger enseignent leur langue natale, mais rares sont les  parents tamijs qui le font. J’ai enseigné le tamij au Lycée Français pendant quarante et un ans, presque tous mes élèves sont en France. Quatre-vingt dix pour cent de ces derniers ont complètement négligé d’enseigner cette langue à leurs enfants... Pourtant, il y  a des associations qui sont créées pour distribuer la langue, la culture… ils doivent savoir en profiter.


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