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   Longtemps maintenu dans l'ombre d'un certain mépris - car jugé purement commercial et sans créativité artistique, à quelques exceptions près - le cinéma indien change aujourd'hui d'image aux yeux de l'Occident et y élargit son public, naguère essentiellement constitué des enfants de la diaspora. Ce cinéma n'a, du reste guère eu besoin de s'exporter jusqu'à présent tant le public Indien a apporté lui-même un débouché vaste et fidèle à une production qui - le sait-on ? - est quantitativement la première de la planète.
   L'industrie cinématographique indienne se concentre dans quelques grands centres : ainsi par exemple Chennai (Madras) celui du 7ème art tamoul (auquel nous consacrerons sans doute aussi un dossier) ; mais c'est le cinéma hindi qui est probablement le plus connu, à l'étranger en particulier. Il a sa Mecque, désormais sur la voie de devenir peut-être aussi mythique que son "modèle" californien : je veux bien sûr parler de Bollywood. Encore faut-il s'entendre, Bollywood est plus une virtualité qu'un lieu géographique comparable au "quartier" de Los Angeles ; Bollywood désigne en fait l'ensemble de la production cinématographique de Mumbai (Bombay).
  

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Interview de Santosh Sivan


Historique

   Vouloir retracer l'historique de Bollywood équivaut à évoquer une galaxie, un univers entier : celui du cinéma indien de langue hindi... des milliers de films, des milliards de spectateurs, une infinité de choses à dire. Autant baisser les bras... ou se limiter à quelques grandes lignes, un aperçu ô combien incomplet, pour inciter le lecteur à d'autres recherches.

   Les premiers pas du cinéma indien remontent, comme dans bien d'autres pays, aux débuts du XXème siècle et même à la fin du siècle précédent (nos braves frères Lumière présentent des films à Bombay en 1896 !). Scènes de la vie réelle, spectacles de théâtre... marqueront les premiers mètres de pellicule tournés en Inde. Ici - comme ailleurs ne l'oublions pas - le cinéma se conçoit d'abord comme une nouveauté technologique et un produit commercial, avant d'être vu comme un art. Dès 1907, Jamjetji Framji Madan, dans le métier depuis déjà cinq ans, se lance à Calcutta dans la réalisation d'une véritable chaîne de cinémas qui comptera déjà trente salles en 1909. Les affaires tournent ! Mais il faut attendre 1913 pour que le premier long métrage de fiction soit réalisé : un film de Dhundiraj Govind Phalke intitulé Raja Harishchandra et présenté à Bombay. En cette époque "héroïque", il n'était guère facile en Inde de faire du cinéma, frappé qu'il était - comme le théâtre français de l'époque de Molière si l'on peut oser la comparaison - d'une sorte de déconsidération morale : on dit que même les prostituées refusaient de tourner ! Tous les rôles étaient donc uniquement tenus par des hommes, ce qui d'ailleurs ne changeait guère du théâtre traditionnel. Autre ressemblance avec celui-ci : la prépondérance des thèmes mythologiques.
   Du film Raja Harishchandra, Henri Micciollo évoque le fait qu'il "mette en place tout un système de représentation qui s'imposera définitivement dans le cinéma indien, et qui provient largement du théâtre populaire. Le statisme de la caméra, toujours placée frontalement face aux scènes à filmer, s'accompagne d'une caractérisation simpliste des personnages qui relève des stéréotypes populaires : le héros à la perfection presque inhumaine, la victime innocente, le serviteur comique..." (Le Cinéma indien - L'Equerre, Centre Georges Pompidou - 1983).
   Dans les années '20, le star-system indien va voir le jour à la même époque qu'en Occident : des acteurs tels que Jahan Ara Kajjan, Gohar, ou la première star féminine Devika Rani, commencent à triompher vers 1925 - année où, pour mémoire, "la Divine" suédoise Greta Garbo conquiert Hollywood. Et en 1931, le premier film de fiction parlant sort sur les écrans. Il s'intitule Alam Ara, a été réalisé par un certain Ardeshir Irani, a pour vedettes Master Vithal et une authentique princesse musulmane de Surat : Zubeida... et il est en hindi ! Des films parlants en bengali, télougou et tamoul suivront la même année.


   On le sait, un film indien ne saurait se concevoir sans chansons. Cette tradition remonte aux origines. En 1932 sort le premier film fait exclusivement de chansons : Indra Sabha. Par contre, ce n'est qu'en 1937 que l'on pourra voir le premier film entièrement dépourvu de chansons et de danses : Navjawan, des frères  Jamshed et Homi Boman Wadia. Le cas restera rare ! Au même moment, Vishnupant Damle fait voyager et remarquer son film Sant Tukaram au festival de Venise : probablement un des premiers contacts du public européen avec cette version exotique du septième art. En cette période d'avant-guerre, les scénarios basés sur le triangle mari-épouse-maîtresse triomphent... on n'est pas si loin du théâtre de boulevard qui sévit alors sur les scènes parisiennes ! Mais toute une veine d'observation et de critique sociale s'épanouit aussi, représentée notamment par Vanakudre Shantaram.
   Globalement, et malgré les effets de la crise économique mondiale, ces
années '30 font souvent figure d'âge d'or du cinéma indien. Des compagnies puissantes, basées sur le modèle hollywoodien, donnent à la production un socle stable, tant en moyens financiers qu'en ressources humaines et techniques. Ces compagnies sont assez nombreuses, mais trois d'entre elles surtout sont à retenir : la Prabhat Film Company à Poona, la New Theatres Ltd à Calcutta, et la Bombay Talkies, fondée en 1934 par Himamsu Rai et Devika Rani. Elle produit trois films par an !
   Le second conflit mondial ne semble guère avoir de répercussions sur le contenu des films. Par contre, dès le début des
années '40, certains vont se faire quelque peu militants. Tel est le cas de Door hato ae duniya walo Hindustan hamara hai (quel titre !), de Kismet. Sa cible : le Raj britannique. Nous sommes en 1943 et le film tiendra l'affiche pendant quatre ans ! L'indépendance est pour très bientôt...
   Les années '50 correspondent à une période où le cinéma hindi se sclérose : une codification contraignante et appauvrissante s'impose, faisant du film un produit stéréotypé, avec sa dose obligatoire de bons sentiments, de comique et de danses. Les foules sont fascinées par ce grand écran qui les éloigne tant d'une réalité bien peu réjouissante. Les grandes vedettes s'appellent par exemple Dilip Kumar et Nargis, dont Nasreen Munni Kabir (1) écrit : "Both are fine performers and have much personality and character. Their faces show dignity and a sense of values. Their screen personages do not need to shout, they could speak in whispers and people would pay attention". (Tous deux sont de remarquables interprètes, ils ont beaucoup de personnalité et de caractère. La dignité et le sens des valeurs se lisent sur leurs visages. Les personnages qu'ils jouent à l'écran n'ont pas besoin de crier, ils pouvaient murmurer leurs paroles, le public était attentif).
   En 1954, le film hindi dirigé et produit par Bimal Roy, Do Bigha Zamin, connaît une certaine consécration internationale avec une mention spéciale du jury au festival de Cannes sous le titre Deux hectares de terre. Une année auparavant est sorti le premier film indien en technicolor : Jhansi ki Rani, de Sohrab Modi. Le grand maître Bengali Satyajit Ray va bientôt tourner ses chefs-d'oeuvre (et sa Complainte du sentier connaîtra aussi le succès à Cannes, obtenant le prix du document humain) qui resteront largement méconnus de ses compatriotes, tandis que le cinéma hindi se trouve aussi un maître en la personne de l'acteur, producteur et réalisateur Raj Kapoor. Il triomphera - en Inde - pendant presque quatre décennies.


   Les années '60 vont voir, à côté du cinéma populaire, quelques expériences artistiques... boudées par le public. Ainsi en 1964 Sunil Dutt propose Yaadein, un long monologue avec un unique acteur. Précédemment, il avait osé mettre en scène un anti-héros, dans Mujhe Jene Do. D'autre part, l'institution cinématographique indienne s'organise de plus en plus, c'est ainsi par exemple que le Festival International du Film de New Delhi se déroule de plus en plus régulièrement. Le star-system franchit un nouveau cap avec notamment l'idole de ces dames, l'acteur Rajesh Khanna qui triomphe dans les années '70.  C'est aussi l'époque où vont être réalisés, à contre courant des habitudes, de nombreux films à petit budget, y compris de la part de Raj Kapoor avec son Bobby, qui est un succès. On parlera de Nouvelle Vague indienne et d'avant-garde. Mais les grosses productions occupent toujours les écrans, avec force histoire sirupeuses, tandis que certains connaissent les effets d'une censure qui, ne l'oublions pas, est pour beaucoup dans l'image sage et lisse que donne le cinéma indien.
   Les années '80 et '90 n'apporteront guère d'innovations, mais verront une ascension économique impressionnante de l'industrie cinématographique indienne. Des budgets de plus en plus lourds, des films à grand spectacle, les nouveautés technologiques venues des USA, des acteurs et des actrices starifiés à la pelle... et l'apparition du concept de Bollywood : le triomphe d'un certain cinéma et de ses produits dérivés, en particulier tout ce qui tourne autour de la chanson à succès. A côté de cela, certains réalisateurs s'orientent vers une esthétique plus à même se séduire des yeux occidentaux, s'éloignant du kitsch caractéristique des productions les plus prisées dans leur propre pays pour pratiquer ce que nous pouvons appeler un cinéma d'auteur. C'est ainsi par exemple qu'en 1989 une nouvelles venue, Mira Nair, remporte à Cannes la caméra d'or pour son premier film, où la misère s'expose : Salaam Bombay. Mais tel n'est pas l'esprit de l'étincelant Bollywood...


          (1) Nasreen Munni Kabir, Indienne installée depuis très longtemps en France puis en Angleterre, est actuellement considérée comme une des meilleures spécialistes mondiales du cinéma hindi. Elle a publié plusieurs ouvrages de référence, notamment Bollywood - The Indian cinema story en 2002, fait partie du British Film Institute, et dirige sa propre société de production, Hyphen Films. (Retour au texte).

 

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