Brigitte Menon :

"Je suis particulièrement émue par les alaps, si profonds qu’ils donnent le vertige"

      
  

   Brigitte Menon est sitariste, profondément, viscéralement... Immergée dans l'Inde des années 70, la jeune Française y a trouvé sa voie et est devenue une musicienne des plus brillantes, sous la houlette de maîtres indiens prestigieux. Lauréate de la Fondation Yehudi Menuhin en 1992, elle enseigne aussi son art et s'apprête à ouvrir la "Imdadkhani School of Sitar France" en septembre 2009. La "princesse française du sitar" (pour reprendre Rock & Folk) nous parle ici de musique indienne avec toute la sensibilité et la passion qui la caractérisent.


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Interview

  • IR : Brigitte Menon, comment s'est passée votre rencontre avec l'Inde ? Sur votre site Internet, votre page de biographie débute par cette phrase : "J'ai commencé l'étude du sitar en 1976 à Bénarès, sans me douter que j'y engageais ma vie entière." Que pouvez-vous nous dire de cet "engagement" ?

BM : J'avais les rêves, les incertitudes et l’âme vagabonde de mes dix-neuf ans … depuis toujours une intense émotion m’étreignait le cœur mais je n’arrivais pas à l’exprimer dans la vie ordinaire.
   Rimbaud, Kerouac, Pink Floyd, Dylan, Hendrix, Janis, tous ces gens exceptionnels me poussaient à sortir d’une voie toute tracée… J’ai pris la route jusqu’en Inde.
   Étrangement, arriver en Inde a été comme rentrer à la maison après un long voyage ! …et elle m’a avalée tout entière !

  • IR : Pourquoi le sitar ? Que vous apporte le fait de jouer de cet instrument ?

BM : J’ai naturellement été fascinée par le sitar. Il m’a attirée comme l’attraction de la lune attire les océans, une puissance à laquelle je n’ai pu résister.
   J’ai toujours préféré les cordes. Enfant, j’ai joué du violon, puis plus tard de la guitare. Quand j’ai eu la chance de voir Pt Nikhil Banerjee en concert à Delhi, j’ai vécu ma première expérience du nectar de l’esthétique indienne, j’en étais submergée… Premier et immense choc musical en Inde. Sa musique m’a bouleversée à un point incroyable... Un an plus tard j’étais à Bénarès, totalement investie dans des cours quotidiens, de nombreux concerts, des heures de pratique et ainsi le sitar est devenu mon compagnon d’âme, le médiateur entre mes émotions les plus profondes et le quotidien le plus « ordinaire ».
   Je suis particulièrement émue par les alaps, si profonds qu’ils donnent le vertige, par les mélodies lentement élaborées qui parfois jouent avec les nerfs des auditeurs tant l’imagination peut en retarder la résolution …Le culte de la lenteur, le calme infini qui graduellement nous mène à une tempête déchaînée, à la plus folle des vélocités … Quelle musique géniale qui maîtrise l’infinie complexité des sentiments humains !
   Et puis le coté improvisation est si passionnant. Il permet une incroyable diversité dans cette musique. Le même raga peut être joué par dix sitaristes, il ne sera jamais le même. Chaque musicien projette ses sentiments et sa propre intimité.  Joué par des instruments différents le même raga assume encore un autre visage. Pourtant il sera toujours le même mais comme paré d’autres atours…

  • IR : Comment s'est déroulé votre apprentissage ? Vous êtes-vous intéressée aussi à d'autres instruments ?

BM : J’ai fait le choix de ne pas étudier dans une institution, université ou école de musique dont le cursus purement quantitatif est une aberration. Bien loin de ça, ce  qui est transmis de maître à disciple n’est que subtilité, finesse du détail et profondeur des concepts. J’ai appris de 6  maîtres : à Bénarès de Sri Raj Bhan Singh et Pt Amarnath Misra, à Calcutta de Us. Imrat Khan et Us Mustaq Ali Khan, à Bhilai de Pt Bimalendu Mukherjee et finalement à Delhi de Us. Shujaat Khan mon Guru avec qui j’ai noué le fil du disciple.
   Ce que chacun d’eux m’a apporté est inestimable et chacun a mon respect le plus grand mais j’ai le privilège et le grand bonheur d’appartenir à la Imdadkhani Gharana. Tous les sitaristes de cette Gharana ont du génie, et le plus grand de tous qui laisse derrière lui un extraordinaire héritage est sans conteste Ustad Vilayat Khan. Il a non seulement influencé l’univers du sitar mais aussi toute la musique indienne instrumentale et vocale.
   Lorsque je l’ai entendu pour la première fois, j’ai été immédiatement envoûtée ! Il produisait des sons inouïs que je n’avais jamais entendus, d’une puissance d’émotion renversante ! Sa virtuosité invraisemblable, quasi surhumaine était au service d’une formidable esthétique…
   Le chant est la base de la musique et comme je me suis orientée vers le style que l’on nomme le « gayaki » : l’instrument qui chante comme la voix, le chant fait partie de mon apprentissage depuis longtemps. A Calcutta j’ai étudié avec le merveilleux Bimala Prasad Chatterjee ou Bimal Da, à Delhi avec LK Pandit et récemment j’ai vécu une expérience extrêmement revivifiante avec le Dhrupad des Gundecha Brothers à Bhopal. J’ai aussi appris un peu de tabla, de la danse Kathak et du Bharata Natyam mais plus en touriste…
   A une certaine période de ma vie j’ai fait des expériences intéressantes en fusion mais malgré le succès relatif de cette aventure je ne m’y sentais pas chez moi comme en musique classique indienne pure, et finalement j’ai préféré arrêter le mélange avec le jazz pour me consacrer à la musique de raga…

  • IR :  Les Indiens acceptent-ils facilement qu'une occidentale comme vous entreprenne une telle aventure artistique indienne ?

BM : Je me suis très bien intégrée à la société indienne en apprenant l’hindi, les usages, les interdits etc. Une fois imprégnée de tout ça, quand ma sincérité n’était pas en doute j’ai été très bien acceptée. Après cinq années passées à Bénarès j’ai rencontré et  épousé un Indien du Kérala, d’où mon nom « Menon ».  Nous vivons maintenant dans le sud de la France.

  • IR : Quels sont les grands sitaristes que vous admirez et, au-delà, les musiciens qui ont vos préférences ? pourquoi ces choix ?

BM : J’admire tous les sitaristes de la Imdadkhani Gharana. Bien sûr le fils aîné de Vilayat Khan qui est mon Guru, mai aussi son frère Ustad Imrat Khan avec lequel j’ai étudié durant deux ans à Calcutta, Ust Rais Khan, Ust Shahid Parvez, Pt Budhaditya Mukherjee… Ils sont de merveilleux sitaristes… Toutes les gharanas ont leur propre richesse et leur beauté unique. Même si leur sensibilité ne correspond pas exactement à la mienne leur écoute est enrichissante. Par exemple à l’inverse de Ust. Vilayat Khan, Ust. Mustaq Ali Khan avait exploré et approfondi une musique dénuée de sensualité, totalement dépouillée et austère, qui fait appel à d’autres émotions non moins profondes. J’aurais aussi aimé entendre plus de Annapurna Devi, recluse qui a renoncé trop tôt à sa carrière d’artiste. Fille d’Ust. Allauddin Khan le peu que le net donne à entendre est à vous couper le souffle ! Nikil Banerjee est à l’origine de ma première passion pour le sitar…
   J’avoue qu’à part les sitaristes peu de musiciens m’ont laissé une impression aussi intense. L’un d’eux était Gopal Misra, un extraordinaire  joueur de sarangi de Bénarès que j’ai eu la chance de voir en concert. Il était l’oncle des frères Rajan et Sajan Misra. Malheureusement on ne trouve pas ses enregistrements, et ils sont sûrement en train de moisir dans les locaux de All India Radio ! C’est une immense perte…

  • IR : Considérez-vous que vous suivez la trace de vos maîtres et des musiciens que vous admirez ? Si vous deviez expliquer ce que vous apportez de personnel dans l'art du sitar, que diriez-vous ? Y a-t-il quelque chose de "français" dans votre façon de jouer ? Quelle place occupe l'influence du jazz dans votre musique ?

BM : Je suis les pas de mes Gurus et mon approche de cette musique n’a rien de français ou de jazzy… C’est une musique réellement universelle, elle n’est pas limitée par des considérations de géographie ou de nationalité… Quelle que soit la culture de naissance, si cette musique nous pénètre, si on déborde d’une fervente passion, on peut la jouer d’une manière authentique. Il y a des limites techniques puisqu’on ne commence pas à quatre ans si on est né en dehors de l’Inde, mais c’est aussi vrai pour un Indien qui commence tard.

  • IR : Vous donnez également des cours et animez des stages : pouvez-vous nous en dire davantage ?

BM : J’aime beaucoup enseigner. Je viens de créer une école : la « Imdadkhani School of Sitar France » qui va démarrer en septembre 2009. C’est une petite structure, je ne prends que six élèves par niveau sur l’année. Je ne demande qu’à transmettre ce que j’ai reçu et ceux qui sont prêts à consacrer du temps et du travail au sitar sont les bienvenus, jeunes ou moins jeunes.
   L’important, c’est la motivation. Comme il faut aussi trouver des bons sitars en France, j’ai créé une entreprise d’importation de sitars.
   J’anime également deux stages dans l’année en automne et au printemps pour les amoureux du sitar qui ne peuvent pas suivre les cours réguliers de l’école.

  • IR : Que conseilleriez-vous à un jeune qui voudrait se lancer dans l'apprentissage du sitar ? 

BM : Ce que je conseillerais à un jeune qui voudrait se lancer dans l'apprentissage du sitar c’est de ne pas hésiter mais d’être conscient que c’est un instrument qui demande beaucoup de discipline, une attitude quasi dévotionnelle et il est essentiel de trouver un bon guide.

  • IR : Pouvez-vous nous dire quels sont vos projets ? Avez-vous pensé à vous produire à la Réunion ?

BM : Je ne suis jamais allée à la Réunion, c’est un rêve qui se réalisera peut-être un jour !

 

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Site Internet

  

   Le site de Brigitte Menon, sur fond musical de Raga Bhairavi, nous emmène dans l'univers enchanteur du sitar et nous propose nombre d'informations intéressantes. On retiendra, ente autres rubriques, celle qui présente un historique de l'instrument ou celle qui donne les bases techniques sur la manière d'accorder et d'amplifier le sitar. On trouvera également des renseignements sur les cours et stages dispensés par l'artiste, un hommage vibrant au grand Ustad Vilayat Khan, une page où l'on pourra acheter les disques de Brigitte Menon, des vidéos, etc. Le site se trouve à cette adresse : www.sitar-music.com

     

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