Logambal
Souprayen-Cavéry :

Nous devons défendre et développer le Bharatanatyam à la Réunion

    
  
   La Réunion aime la danse indienne, c'est du moins ce que porte à croire le nombre de plus en plus important de cours donnés, qu'ils concernent les formes folkloriques ou les formes classiques. Logambal Souprayen-Cavéry est issue de cette formation "made in Reunion" et, après l'avoir complétée en Inde, est désormais à son tour enseignante. Elle nous parle ici de sa passion et de son île.

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Interview

  • IR : Logambal Souprayen-Cavéry, pouvez-vous, pour commencer, vous présenter aux visiteurs de ce site ?

    LSC : Je suis Logambal Souprayen-Cavéry, danseuse de Bharatanatyam (danse classique du Sud de l’Inde) et la coordinatrice artistique de l’association Kalâ Bhaaskara qui a été créée le 3 janvier 2003. Je suis née à Saint-Denis (La Réunion) le 3 Mars 1979 et je suis originaire de Saint-Paul. Je suis comme mon unique sœur Nila, la fille aînée de Gilbert et de Jasmine Souprayen-Cavéry et je suis mariée à Outtaren Rayepin Moutoussamy.

  • IR : Quelles ont été initialement vos motivations pour entreprendre une carrière de danseuse ? Quelle a été votre formation ?

    LSC : C’est dans la fréquentation assidue des temples que naît ma passion pour la musique et surtout pour la danse indienne. En 1987, dès l’âge de huit ans, je reçois la proposition de faire partie d’un groupe de « Kolattam », une danse folklorique indienne présentée pendant les processions religieuses pour accompagner les percussions. Je suivais donc les cours de Mme Monique Dally et puis ceux de l’Ecole Tamij prodigués par Lynda Sellom. En 1989, je reçois une autre proposition qui est de m’inscrire aux cours individuels de Bharatanatyam assurés par Lila Armoudom. Déjà séduite par la danse indienne folklorique, je décide de découvrir cet art. Je parle de « découverte » car je ne connaissais pas ce style de danse indienne avant mon inscription. J’apprends donc, pendant trois ans, les bases du Bharatanatyam avec Lila Armoudom tout en suivant les cours de Danse Folklorique de Lynda Sellom. C’est en 1992 que je décide d’arrêter la danse folklorique et choisis le Bharatanatyam pour sa rigueur et sa dimension spirituelle. En 1996, je suis fidèlement mon professeur au CNR (Conservatoire National de Région) où je continue non seulement mon apprentissage du Bharatanatyam mais également l’enseignement de cette danse avec Lila Armoudom, car j’obtiens un poste de répétitrice en Danse indienne au CNR en 1998. Cette année « 1998 » est très importante pour moi car c’est à ce moment là, et plus précisément en avril, que j’ai eu la chance de faire la connaissance de mes futurs professeurs, Shri V.P. Dhananjayan et son épouse, Smt Shanta, et de côtoyer certains membres de la troupe Bharata Kalanjali de Madras, ici, à la Réunion même, pour la création de l’Association Vaani de Saint-André, « Barldon ». Je participe à ce spectacle en Avril 1998 et en décembre 1998, je me rends à Madras dans l’école Bharata Kalanjali dirigée par V.P et Shanta Dhananjayan pour faire mon premier stage de deux mois. Là-bas, je découvre que le Bharatanatyam n’est pas seulement un « art de scène » mais un véritable « art de vivre ». Depuis je ne cesse de me rendre à Madras pendant les vacances de décembre-janvier pour mon perfectionnement. En 2000, j’achève mon cursus de formation en obtenant la médaille d’or au diplôme d’étude chorégraphique de danse indienne du CNR. Je continue en 2001 une année de perfectionnement toujours au CNR avec Lila Armoudom. Encouragée par mon professeur et soutenue par ma famille, je décide d’entreprendre en décembre 2001 un long séjour de neuf mois à Madras, dans la même école Bharata Kalanjali pour me perfectionner en Bharatanatyam mais également m’initier à d’autres arts qui s’associent à cette danse, tels que le chant carnatique et le yoga. Je découvre également toute la théorie du Bharatanatyam et apprends ce qu’est une « danseuse » en vivant ma danse au quotidien. Le 15 juin 2002, je présente mon arenguetram à Madras, et reçois le diplôme de l’école Bharata Kalanjali des mains du célèbre C.V. Chandrashekar. A l’occasion du Nouvel An Tamoul de cette année, j’ai présenté mon premier spectacle s’intitulant « Bouquet de couleurs et de Musique indiennes » accompagnée de cinq musiciens de l’école Bharata Kalanjali de Madras.

  • IR : Quels moments forts et quelles anecdotes retiendrez-vous de cette formation ?

    LSC : Je pense que dans un premier temps les moments forts de ma formation sont tout simplement mon apprentissage de cet art car le Bharatanatyam constitue en lui-même un point fort de ma vie. J’estime que c’est une chance et un véritable cadeau que Dieu m’a offert en me faisant connaître, pratiquer et enseigner cet art. Dans un deuxième temps, je vous dirai que le jour où j’ai présenté et reçu la médaille d’or au diplôme de danse indienne du CNR et surtout le jour le mon « arenguetram » furent des moments magiques et exceptionnels de ma formation. Je n’oublie pas également le « Gurukulam Camp », le rendez-vous et le rassemblement annuel de tous les disciples de V.P et Shanta Dhananjayan au Kérala dans le nouveau centre culturel nommé « Bhaaskara ». Nous étions quatre-vingts danseurs et danseuses du monde entier (Afrique, USA, France, Italie, Singapour, Japon, etc…), dans une campagne du Kérala, retirés de tout artifice et modernité pendant un mois pour bénéficier des enseignements exceptionnels des Gurus et vivre avec eux.

  • IR : Pouvez-vous rappeler ce que c’est qu’un arenguetram et raconter comment s’est passé le vôtre ?

    LSC : L’arenguetram est une cérémonie consacrant la fin des études d’une danseuse de Bharatanatyam. Il s’agit pour le Guru de présenter son élève tout d’abord à d’autres Gurus et à un public qu’il a très soigneusement choisi. L’arenguetram se présente sous forme d’un spectacle chorégraphique public en solo dans lequel la danseuse doit exécuter un répertoire de Bharatanatyam accompagnée de musiciens. Avant de commencer la représentation, se déroule une cérémonie au cours de laquelle la danseuse, quelques membres de sa famille et le Guru, prient le Dieu de la danse, Shiva Nataraja, et des « salangueî » (Clochettes attachées aux chevilles de la danseuse) sont remises à l’élève des mains de son professeur. L’arenguetram devrait être le premier spectacle en solo d’une danseuse.
       En ce qui me concerne j’avais participé à plusieurs spectacles avec Lila Armoudom ou même avec Shri V.P. et Smt Shanta Dhananjayan, mais mon arenguetram fut réellement mon premier spectacle en solo, accompagné de musiciens et présenté après quinze ans de pratique du Bharatanatyam. Mon arenguetram s’est déroulé le 15 juin 2002 à Madras au temple Varasidhi Vinayaka. Ambika Buch, une disciple (tout comme mes professeurs) de Smt Rukmini Devi qui créa la prestigieuse école de danse, « Kalakshetra », fut le « chief guest » de cette cérémonie, mais d’autres Gurus comme C.V et Jaya Chandrashekar, N.S.Jayalakshmi (ancien professeur de Kalakshetra et un des professeurs des Dhananjayans) furent également présents. De nombreux danseurs et musiciens de Madras, des Brahmanes ayant travaillé à la Réunion, de nombreux amis, et ma famille, sont venus me soutenir. J’avais présenté un répertoire de Bharatanatyam  constitué des propres créations de mes professeurs. A l’issue de mon arenguetram, Shri C.V. Chandrashekar et Shri V.P. Dhananjayan m’ont remis le diplôme de l’école Bharata Kalanjali. Depuis je suis officiellement une des disciples des Dhananjayans, qui ont d’ailleurs béni mon école de danse en lui donnant le nom de « Kalâ Bhaaskara » que l’on pourrait traduire par « l’art rayonnant » car « Kalâ » signifie « l’art » et « Bhaaskara » le « soleil ».

  • IR : Quelle est votre opinion sur la situation de la danse indienne à la Réunion ?

    LSC : Je vais peut être « méchante » en disant que la situation de la danse indienne à la Réunion se résume à la fête du Dipavali. Je suis consciente que j’ai participé à cette fête lorsque j’étais élève de Lila Armoudom mais, après mon séjour en Inde, je pense qu’il y a énormément de choses à faire ici à la Réunion. Je trouve qu’à la Réunion, on est en train de banaliser le Bharatanatyam et son enseignement. Il est dommage par exemple, que les nombreux professeurs n’organisent pas pour leurs élèves des arenguetrams, et ne suivent pas les étapes d’enseignement propres à cet art. Je respecte le travail de chacun car je découvre moi-même qu’il est difficile de gérer une association et des élèves. Je trouve qu’à la Réunion, on met trop tôt sur scène des élèves qui ont à peine acquis les bases et que l’on devient trop rapidement des professeurs. Je ne suis pas en train de dire que je suis « la danseuse » et « le professeur » en critiquant le travail des autres mais je demande aux autres professeurs de respecter cet art et de le pratiquer avec honnêteté. Je trouve dommage également que l’on ne puisse pas travailler en commun sans aucune concurrence. Je n’oublierai jamais le geste de l’association Vaani qui avait demandé, à toutes les associations de l’île, des élèves voulant faire partie du spectacle « Barldon ». A l’époque je travaillais avec Lila Armoudom, qui m’a d’ailleurs encouragée à participer à cette création, une participation qui a été le tremplin de ma vie de danseuse.
       Même si j’adore la danse folklorique, je trouve dommage que les gens ne puissent pas apprécier le Bharatanatyam. J’avoue qu’il y a une très nette évolution mais il y a encore du travail à faire. Nous qui sommes professeurs et danseuses de Bharatanatyam, nous devons défendre et développer cet art à la Réunion. Il est vrai que je viens juste d’arriver et que d’autres professeurs peuvent me dire que cela fait des années qu’ils travaillent pour la promotion de cet art. Mais, lorsque je vois mes professeurs qui ont la soixantaine, et qui continue leurs efforts, je me dis que l’on devrait en faire autant. Il est rare maintenant de voir des spectacles de Bharatanatyam sans que cette danse soit mélangée par exemple à de la danse contemporaine. J’estime que nous devons garder ce style dans toute sa pureté, car je me demande toujours : « comment pouvons-nous danser autre chose alors que nous n’ avons pas fini d’apprendre ce que nous pratiquons déjà ?» Il faudrait croire en notre perfection pour estimer que nous pouvons « passer à autre chose ». Pour ma part, je pense que nous n'avons jamais fini d’apprendre et que cet art nous offre trop de choses à découvrir. « Croire en un apprentissage infini » est nécessaire car de cette manière une danseuse peut rester humble. Je suis une danseuse et maintenant un professeur de Bharatanatyam mais je n’oublie pas que je suis avant tout élève de mes Gurus, et des Dieux.

  • IR : Quelles comparaisons feriez-vous entre ce que vous connaissez à la Réunion et ce que vous avez connu en Inde ?

    LSC : J’ai dans ma réponse à la précédente question, évoqué diverses comparaisons entre la situation de la danse à la Réunion et en Inde. Je veux dire également que ce qu’il existe ici, est présent en Inde. Mais en Inde, et surtout dans l’école où j’ai suivi mon enseignement, on apprend à vivre la danse au quotidien et à la respecter et à la pratiquer avec beaucoup d’humilité. Les occasions de danser sur scène sont plus nombreuses. Ici, il n’y a qu’à l’occasion du Nouvel An Tamoul ou du Dipavali que nous pouvons voir des spectacles de danse. Enfin, j’ajouterai que ce qui fait toute la différence, c’est qu’en Inde, on danse aux sources même de cet art.

  • IR : La religion, la spiritualité sont-elles importantes pour une danseuse telle que vous ?

    LSC : Je suis issue d’une famille très pieuse et c’est dans la fréquentation des temples que naît le goût pour la musique et la danse. Je rappelle très souvent à mes élèves que le Bharatanatyam est avant tout une danse religieuse car elle nous vient des Dieux. Ma danse est tout d’abord une offrande à Dieu. Je le répète mais le Bharatanatyam est pour moi un véritable art de vivre. Il m’apprend les codes de toute religion : l’humilité, le respect, l’amour, etc… Je pourrai dire que ma danse est ma religion.

  • IR : Dans le domaine de la danse et dans celui de la musique - sans frontières de styles ni de pays - quels sont vos artistes de référence ?

    LSC : Dans le domaine de la danse, mes artistes favoris restent mes professeurs, V.P. et Shanta Dhananjayan. Dans le domaine de la musique carnatique, mes chanteuses préférées sont M.S. Subbulakshmi et Aruna Sairam et mon chanteur adoré est T.M.Krishna. Sinon, j’admire très profondément tous les artistes qui sont « vrais » sur scène.

  • IR : Quel regard portez-vous sur les cultures indiennes à la Réunion : leur vitalité, leur variété, leur intégration à la vie culturelle d’ensemble, le degré d’implication des Réunionnais, en particulier des Réunionnais d’origine indienne ?

    LSC : Je trouve que de manière générale les Réunionnais d’origine indienne sont très religieux, mais qu’ils ne sont pas suffisamment impliqués dans leurs cultures indiennes. Les Indiens sont toujours étonnés de tous les sacrifices corporels que les Réunionnais peuvent faire. La foi est là. Même si ces cultures indiennes se développent de plus en plus, elles ne se vivent malheureusement pas au quotidien. Lorsque je vois le nombre important d’associations culturelles existantes dans l’île, je me dis que les Réunionnais discutent beaucoup de « cultures indiennes » mais vivent-ils ces « cultures » chez eux, dans leur foyer familial. Dans ce même sens, je pense que beaucoup n’ont pas encore trouvé de « clefs » pour apprécier ce qui est par exemple de la bonne musique carnatique ou du bon Bharatanatyam. Pour aller plus loin, je dirai dès que nous connaissons quelques mots tamouls, à jouer un petit peu d’un instrument, ou même à faire quelques pas de danse, nous sommes des professeurs. Je reproche à ces Réunionnais-là de ne pas chercher à se perfectionner et à se contenter de ce qu’ils savent déjà. En ce qui me concerne, j’ai déjà un niveau qui ne me suffit pas et je continuerai à me perfectionner. La pratique d’un art ne s’invente pas mais s’apprend.

  • IR : Quels sont, à court ou à long terme, vos projets ?

    LSC : Mon projet est de me consacrer davantage à l’enseignement du Bharatanatyam et travailler pour mes élèves. J’accorde une place importante à la formation des élèves avant de les mettre sur scène.

 

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