Interview
MB : J’ai quarante ans
tout juste et je suis originaire de Lorraine, où j’ai fais mes études et
où je vis. J’ai étudié l’Art dramatique aux Conservatoires de Nancy et
Metz. Je suis également spécialisée en littérature générale et comparée.
On pourrait dire que je suis une comédienne et « femme de lettres » !
Depuis une dizaine d’années, cependant, je me passionne pour la mise en
scène et pour l’écriture.
MB : J’ai étudié les
différentes formes de théâtre, de l’antiquité, à nos jours. Traverser
les techniques et découvrir les spécificités nationales, m’a permis
d’avoir une vision large de cet art. La tragédie était mon domaine de
prédilection mais elle est destinée à un public trop rare. Je suis donc
passée au drame classique, romantique puis contemporain, mais j’avais
l’impression de ne rien apporter de nouveau au théâtre. Je cherchais en
fait à me rendre utile, à travers lui. J’’ai alors pensé faire sortir le
jeu de son cadre. Je voulais l’amener vers les gens en créant, en 1996,
une structure de théâtre « à la carte » : Les Tréteaux de Feu.
Cette compagnie devait répondre aux besoins spécifiques des
individus ou des structures dans lesquelles ils évoluent…
Nous sommes « au service des cultures » et travaillons le théâtre
d’entreprise, créons des événementiels sur l’Inde, l’Afrique, le
Tibet…ou mettons en œuvre des concepts nouveaux joués en appartement, en
voiture, dans des colloques, des musées… etc. Travailler ainsi a plus de
sens pour moi. Il me serait en effet moins intéressant de monter la 4589ème
mise en scène d’un texte de Molière, qui reste un merveilleux auteur et
qui plus est, l’un de mes préférés.
MB : Elle est née du
voyage… de mon premier voyage en Inde, en 1997. Nous faisions une
tournée théâtrale dans l’Etat du Tamil Nadu et dans les échanges avec
les comédiens tamouls qui nous accueillaient, j’ai appris que le théâtre
n’était guère accessible au plus grand nombre. La seule distraction des
Indiens était ce cinéma dont on parlait déjà, à l’époque, mais dont je
n’avais vu aucun film. Je suis donc allée voir un film tamoul.
La folie qui régnait dans les salles, les images nouvelles et la
façon de jouer des acteurs, m’ont interpellée et plu. J’ai eu envie de
voir d’autres films…
Au fil des ans et des voyages, dans le Nord du pays ou dans le Sud,
j’ai commencé à comprendre la valeur sociale, comme artistique, de ce
cinéma, de ces cinémas… car le cinéma indien c’est une multitude de
formes d’expressions cinématographiques !
MB : J’ai peu
d’expérience dans le cinéma tamoul, en revanche j’en « connais » la
majorité des acteurs, des réalisateurs et certains compositeurs. J’ai vu
évoluer ce cinéma. J’ai vu comment il est passé d’une forme d’expression
régionale à une forme d’expression reconnue au niveau national. J’ai
également de nombreux contacts et des amis travaillant dans l’industrie
cinématographique. Le cinéma tamoul a plus de soixante-quinze ans,
maintenant, et il est en passe de devenir l’un des plus prometteurs en
Inde, et j’espère, au niveau international.
MB : Il y a deux types de
cinémas, dans le Tamil-Nadu (comme un peu partout dans le monde) : le
cinéma commercial, qui peut paraître « léger, naïf, maladroit,
excessif » et le cinéma « artistique », plus confidentiel. L’un et
l’autre ont une valeur différente et ne sont pas vus par le même public.
Le cinéma
commercial est certainement simpliste aux yeux des occidentaux mais
c’est oublier qu’il est destiné, avant tout, à une partie de la
population, la plus grande, qui vit parfois pauvrement, qui manque aussi
d’instruction et qui a besoin de s’échapper du réel par le rêve,
l’inhabituel, l’exceptionnel, par l’action, aussi. Le cinéma commercial
offre tout cela à cette catégorie de spectateurs. Il repose sur des
codes très précis.
Le cinéma « artistique »
quant à lui, est plus subtil et parfois moins présent sur les écrans.
Ses personnages sont plus construits, psychologiquement, et ses
intrigues mettent en avant des problématiques plus complexes car plus
recherchées.
Il a cependant toute sa place dans la production cinématographique,
et certains artistes n’hésitent pas à aller de l’un à l’autre,
conscients de leur intérêt à se renouveler, à toucher tous les publics.
Ce type de cinéma va certainement prendre de plus en plus de place
dans les productions à venir, car certains de ses films sont devenus des
succès commerciaux et ont donc attiré à eux, un nouveau type de public.
Je pense, par exemple, au cinéma du réalisateur Cheran ou dernièrement,
à la réussite surprise d’un film comme Achamundu, Achamundu
d’Arun Vaidyanathan… Il y aurait encore d’autres exemples à citer.
MB : Il y a du bon comme
du moins bon, dans toutes les professions. Même si les très grosses
productions ne sont pas vraiment ma tasse de thé et que les grandes
stars ne sont pas parmi mes références artistiques, je respecte le
travail de chacun et le public auquel ils s’adressent. Je déplore
cependant que certains producteurs (ou acteurs) fassent un travail
« d’usine » dans un seul but commercial et, de ce fait, continuent à
donner cette image simpliste que vous évoquiez auparavant. Mais la crise
de 2009 est passée par là et tous savent, maintenant, qu’ils doivent
faire évoluer leur cinéma, s’ils veulent encore être parmi des premiers.
MB : Ces cinémas se
ressemblent, mais ils ont évolué différemment, pour des questions de
langue, d’influences ou de moyens. Ils utilisent les mêmes procédés dans
l’élaboration d’un film et mettent en exergue des chansons et des
chorégraphies, souvent tournées dans des pays peu accessibles à la
majorité des Indiens, ou véhiculant une part de rêve.
Cependant je dirai que le cinéma tamoul est encore un cinéma
« vrai » dans lequel on n’hésite pas à rappeler les valeurs et les
traditions qui rassemblent les Tamouls. La vie des villages y tient une
belle place et on n’hésite pas à montrer la façon de vivre des gens,
avec son lot de malheurs, d’aspirations, de revanches ou de succès.
Le cinéma hindi est quant à lui un cinéma « propre », lisse, beau,
aux histoires ou intrigues souvent répétitives, parfois sans
originalité.
Seuls quelques réalisateurs m’intéressent. Ameer Khan en fait
partie.
Bollywood doit souvent sa survie aux noms prestigieux de ses
acteurs comme de ses réalisateurs. J’attends avec impatience les œuvres
des jeunes réalisateurs, qui commencent aussi à s’intéresser aux courts
métrages.
MB : Je crée des
événementiels sur le cinéma tamoul en France, et bientôt au Luxembourg.
Je visionne et sélectionne des films qui peuvent intéresser le public
français, que je projette à la fois dans des multiplexes comme dans des
salles plus intimes. Je propose au public de découvrir un autre cinéma
indien, pour élargir ses horizons culturels.
MB : « Mahé productions »
sera une structure privée, qui devrait naître à la fin de l’année, et
qui aura deux objectifs :
- celui de valoriser le cinéma tamoul, en France,
- celui de rapprocher les deux pays, culturellement.
Il s’agit de créer une interface entre nos deux sociétés,
radicalement différentes, pour permettre aux artistes de créer et de
travailler ensemble, sur des projets cinématographiques avant tout, et
pourquoi pas au niveau théâtral !
MB : Il s’agit plutôt
d’un travail en coproduction, au niveau cinématographique. J’ai en effet
écrit un scénario que j’ai soumis à un grand réalisateur, Ameer, qui l’a
aimé et qui a décidé de le mettre en images ! L’histoire de ce film se
situe à la fois en France et en Inde, et repose sur le thème de
l’immigration. Le producteur est indien, le casting des acteurs
principaux est presque terminé et nous cherchons à l’heure actuelle un
coproducteur français nous permettant de finaliser ce film.
MB : Qu’il permette au
public tamoul de découvrir la France et sa culture…
Qu’il permette au public français de découvrir Ameer, et
l’excellence de son cinéma tout en apprenant à connaître la vie des
Indiens modestes. Nous sommes loin, ici de Bollywood, et Ameer, de par
la qualité de ses films et de son travail exigeant, sans compromis, sur
la forme et sur le jeu des acteurs, est l’un des rares réalisateurs
tamouls, à pouvoir relever ce défi.
J’attends aussi que ce film permette aux professionnels français,
comme tamouls, de se pencher un peu plus sur le cinéma de l’Autre… et
peut-être de faire un pas dans sa direction !
MB : Dans l’immédiat, je
compte présenter un ou deux films tamouls au public luxembourgeois,
grâce à une société partenaire (les cinémas Utopolis), en octobre. J’ai
un énorme trac, mais j’espère de tout cœur que « Kollywood », l'un des
cinémas de demain, saura s’imposer et attirer l’intérêt de ce public
exigeant.
J’ai été contactée par une association tamoule de La Réunion pour
aider à l’organisation d’un festival du film tamoul qui aurait lieu en
avril 2011, sur votre île. Je suis particulièrement intéressée par ce
projet qui permettra aux Tamouls réunionnais de découvrir ou de
redécouvrir ce cinéma, qui est celui de leur culture d’origine, et qui
permettra aux français de « voyager » en images.
Je suis également en contact avec une association tamoule de Paris.
Nous en sommes aux balbutiements, mais j’espère que nous allons mettre
en place, pour 2011, une action, en région parisienne.
Enfin, je donne rendez-vous aux Français, pour la sortie du film
franco-tamoul que nous préparons avec Ameer, et qui devrait sortir sur
les écrans en 2012 !
Les échanges « cinématographiques » entre nos deux pays en sont à
leurs débuts mais s’annoncent déjà… passionnants !
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