Murielle Beck :

"je dirai que le cinéma tamoul est encore un cinéma « vrai »"

      
  

   Loin des paillettes et des lumières factices du show-biz, Murielle Beck est femme de lettres et de théâtre aux idées personnelles qu'elle entend bien faire valoir. Ce qui nous a conduit vers cette Lorraine pleine d'initiatives est sa passion pour le cinéma tamoul, qu'elle a découvert depuis de longues années et qu'elle s'applique à promouvoir en France. Elle nous parle notamment d'un projet ambitieux et original dont nous ne pouvons être qu'impatients de voir la réalisation...


Interview  -  Site Internet


Interview

  • IR : Murielle Beck, pouvez-vous commencer par vous présenter à nos visiteurs ?

MB : J’ai quarante ans tout juste et je suis originaire de Lorraine, où j’ai fais mes études et où je vis. J’ai étudié l’Art dramatique aux Conservatoires de Nancy et Metz. Je suis également spécialisée en littérature générale et comparée. On pourrait dire que je suis une comédienne et « femme de lettres » ! Depuis une dizaine d’années, cependant, je me passionne pour la mise en scène et pour l’écriture.

  • IR : Vous êtes avant tout une femme de théâtre : quelle est votre conception ou votre approche de cette si ancienne forme d'expression ? Que sont les Tréteaux de Feu ?

MB : J’ai étudié les différentes formes de théâtre, de l’antiquité, à nos jours. Traverser les techniques et découvrir les spécificités nationales, m’a permis d’avoir une vision large de cet art. La tragédie était mon domaine de prédilection mais elle est destinée à un public trop rare. Je suis donc passée au drame classique, romantique puis contemporain, mais j’avais l’impression de ne rien apporter de nouveau au théâtre. Je cherchais en fait à me rendre utile, à travers lui. J’’ai alors pensé faire sortir le jeu de son cadre. Je voulais l’amener vers les gens en créant, en 1996, une structure de théâtre « à la carte » : Les Tréteaux de Feu.
   Cette compagnie devait répondre aux besoins spécifiques des individus ou des structures dans lesquelles ils évoluent…
   Nous sommes « au service des cultures » et travaillons le théâtre d’entreprise, créons des événementiels sur l’Inde, l’Afrique, le Tibet…ou mettons en œuvre des concepts nouveaux joués en appartement, en voiture, dans des colloques, des musées… etc. Travailler ainsi a plus de sens pour moi. Il me serait en effet moins intéressant de monter la 4589ème mise en scène d’un texte de Molière, qui reste un merveilleux auteur et qui plus est, l’un de mes préférés.

  • IR : Vous êtes par ailleurs devenue passionnée de cinéma indien, et plus particulièrement tamoul : comment cette passion est-elle née ?

MB : Elle est née du voyage… de mon premier voyage en Inde, en 1997.  Nous faisions une tournée théâtrale dans l’Etat du Tamil Nadu et dans les échanges avec les comédiens tamouls qui nous accueillaient, j’ai appris que le théâtre n’était guère accessible au plus grand nombre. La seule distraction des Indiens était ce cinéma dont on parlait déjà, à l’époque, mais dont je n’avais vu aucun film. Je suis donc allée voir un film tamoul.
   La folie qui régnait dans les salles, les images nouvelles et la façon de jouer des acteurs, m’ont interpellée et plu. J’ai eu envie de voir d’autres films…
   Au fil des ans et des voyages, dans le Nord du pays ou dans le Sud, j’ai commencé à comprendre la valeur sociale, comme artistique, de ce cinéma, de ces cinémas… car le cinéma indien c’est une multitude de formes d’expressions cinématographiques !

  • IR : Quelle expérience et quelle connaissance avez-vous du cinéma tamoul ?

MB : J’ai peu d’expérience dans le cinéma tamoul, en revanche j’en « connais » la majorité des acteurs, des réalisateurs et certains compositeurs. J’ai vu évoluer ce cinéma. J’ai vu comment il est passé d’une forme d’expression régionale à une forme d’expression reconnue au niveau national. J’ai également de nombreux contacts et des amis travaillant dans l’industrie cinématographique. Le cinéma tamoul a plus de soixante-quinze ans, maintenant, et il est en passe de devenir l’un des plus prometteurs en Inde, et j’espère, au niveau international.

  • IR : C'est un cinéma souvent considéré comme un peu simpliste et commercial : pouvez-vous nous aider à comprendre cette représentation préconçue ?

MB : Il y a deux types de cinémas, dans le Tamil-Nadu  (comme un peu partout dans le monde) : le cinéma commercial, qui peut paraître « léger, naïf, maladroit, excessif » et le cinéma « artistique », plus confidentiel.  L’un et l’autre ont une valeur différente et ne sont pas vus par le même public.
  
Le cinéma commercial est certainement simpliste aux yeux des occidentaux mais c’est oublier qu’il est destiné, avant tout, à une partie de la population, la plus grande, qui vit parfois pauvrement, qui manque aussi d’instruction et qui a besoin de s’échapper du réel par le rêve, l’inhabituel, l’exceptionnel, par l’action, aussi. Le cinéma commercial offre tout cela à cette catégorie de spectateurs. Il repose sur des codes très précis.
  
Le cinéma « artistique » quant à lui, est plus subtil et parfois moins présent sur les écrans. Ses personnages sont plus construits, psychologiquement, et ses intrigues mettent en avant des problématiques plus complexes car plus recherchées.
   Il a cependant toute sa place dans la production cinématographique, et certains artistes n’hésitent pas à aller de l’un à l’autre, conscients de leur intérêt à se renouveler, à toucher tous les publics.
   Ce type de cinéma va certainement prendre de plus en plus de place dans les productions à venir, car certains de ses films sont devenus des succès commerciaux et ont donc attiré à eux, un nouveau type de public. Je pense, par exemple, au cinéma du réalisateur Cheran ou dernièrement, à la réussite surprise d’un film comme Achamundu, Achamundu d’Arun Vaidyanathan… Il y aurait encore d’autres exemples à citer.

  • IR : Que pensez-vous des grosses productions de Kollywood (par exemple Sivaji, The Boss) et des grandes stars actuelles, masculines et féminines ?

MB : Il y a du bon comme du moins bon, dans toutes les professions. Même si  les très grosses productions ne sont pas vraiment ma tasse de thé et que les grandes stars ne sont pas parmi mes références artistiques, je respecte le travail de chacun et le public auquel ils s’adressent. Je déplore cependant que certains producteurs (ou acteurs) fassent un travail « d’usine » dans un seul but commercial et, de ce fait, continuent à donner cette image simpliste que vous évoquiez auparavant. Mais la crise de 2009 est passée par là et tous savent, maintenant, qu’ils doivent faire évoluer leur cinéma, s’ils veulent encore être parmi des premiers.

  • IR : Si vous comparez les productions de Kollywood à celles de Bollywood, quelles ressemblances et différences mettrez-vous en lumière ?

MB : Ces cinémas se ressemblent, mais ils ont évolué différemment, pour des questions de langue, d’influences ou de moyens. Ils utilisent les mêmes procédés dans l’élaboration d’un film et mettent en exergue des chansons et des chorégraphies, souvent tournées dans des pays peu accessibles à la majorité des Indiens, ou véhiculant une part de rêve.
   Cependant je dirai que le cinéma tamoul est encore un cinéma « vrai » dans lequel on n’hésite pas à rappeler les valeurs et les traditions qui rassemblent les Tamouls. La vie des villages y tient une belle place et on n’hésite pas à montrer la façon de vivre  des gens, avec son lot de malheurs, d’aspirations, de revanches ou de succès.
   Le cinéma hindi est quant à lui un cinéma « propre », lisse, beau, aux histoires ou intrigues souvent répétitives, parfois sans originalité.
   Seuls quelques réalisateurs m’intéressent. Ameer Khan en fait partie.
   Bollywood doit souvent sa survie aux noms prestigieux de ses acteurs comme de ses réalisateurs. J’attends avec impatience les œuvres des jeunes réalisateurs, qui commencent aussi à s’intéresser aux courts métrages.

  • IR : Quelle a été et quelle est votre action pour la promotion du cinéma tamoul en France ?

MB : Je crée des événementiels sur le cinéma tamoul en France, et bientôt au Luxembourg. Je visionne et sélectionne des films qui peuvent intéresser le public français, que je projette à la fois dans des multiplexes comme dans des salles plus intimes. Je propose au public de découvrir un autre cinéma indien, pour élargir ses horizons culturels.

  • IR : Pouvez-vous nous en dire plus sur votre projet : "Mahé productions" ?

MB : « Mahé productions » sera une structure privée, qui devrait naître à la fin de l’année, et qui aura deux objectifs :
- celui  de valoriser le cinéma tamoul, en France,
- celui de rapprocher les deux pays, culturellement.
   Il s’agit de créer une interface entre nos deux sociétés, radicalement différentes, pour permettre aux artistes de créer et de travailler ensemble, sur des projets cinématographiques avant tout, et pourquoi pas au niveau théâtral !

  • IR : Un autre projet particulièrement intéressant mérite aussi que nous nous y attardions : une coréalisation avec un metteur en scène tamoul... de quoi s'agit-il ?

MB : Il s’agit plutôt d’un travail en coproduction, au niveau cinématographique. J’ai en effet écrit un scénario que j’ai soumis à un grand réalisateur, Ameer, qui l’a aimé et qui a décidé de le mettre en images ! L’histoire de ce film se situe à la fois en France et en Inde, et repose sur le thème de l’immigration. Le producteur est indien, le casting des acteurs principaux est presque terminé et nous cherchons à l’heure actuelle un coproducteur français nous permettant de finaliser ce film.

  • IR : Qu'attendez-vous précisément de la réalisation de ce projet ?

MB : Qu’il permette au public tamoul de découvrir la France et sa culture…
   Qu’il permette au public français de découvrir Ameer, et l’excellence de son cinéma tout en apprenant à connaître la vie des Indiens modestes. Nous sommes loin, ici de Bollywood, et Ameer, de par la qualité de ses films et de son travail exigeant, sans compromis, sur la forme et sur le jeu des acteurs, est l’un des rares réalisateurs tamouls, à pouvoir relever ce défi.
   J’attends aussi que ce film permette aux professionnels français, comme tamouls, de se pencher un peu plus sur le cinéma de l’Autre… et peut-être de faire un pas dans sa direction !

  • IR : Enfin, quels rendez-vous donnez-vous au public français qui s'intéresse au cinéma tamoul ?

MB : Dans l’immédiat, je compte présenter un ou deux films tamouls au public luxembourgeois, grâce à une société partenaire (les cinémas Utopolis), en octobre. J’ai un énorme trac, mais j’espère de tout cœur que « Kollywood », l'un des cinémas de demain, saura s’imposer et attirer l’intérêt de ce public exigeant.
   J’ai été contactée par une association tamoule de La Réunion pour aider à l’organisation d’un festival du film tamoul qui aurait lieu en avril 2011, sur votre île. Je suis particulièrement intéressée par ce projet qui permettra aux Tamouls réunionnais de découvrir ou de redécouvrir ce cinéma, qui est celui de leur culture d’origine, et qui permettra aux français de « voyager » en images.
   Je suis également en contact avec une association tamoule de Paris. Nous en sommes aux balbutiements, mais j’espère que nous allons mettre en place, pour 2011, une action, en région parisienne.
   Enfin, je donne rendez-vous aux Français, pour la sortie du film franco-tamoul que nous préparons avec Ameer, et qui devrait sortir sur les écrans en 2012 !
   Les échanges « cinématographiques » entre nos deux pays en sont à leurs débuts mais s’annoncent déjà… passionnants !

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Site Internet

 
       

   Murielle Beck propose un site Internet qui vous permettra de découvrir les diverses facettes de ses activités, en particulier en tant que comédienne et metteur en scène. La rubrique "Formations" vous renseignera, à la manière d'un CV, sur le parcours d'études suivi par Murielle. A ne pas manquer : les rubriques "Tréteaux de Feu", consacrée à la compagnie évoquée dans notre interview, et surtout "Actualités", pour rester au courant des dernières activités de l'artiste.
   Le site se trouve à cette adresse : http://www.murielle-beck.fr

    
       

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