Professeur T. WIGNESAN

interview exclusive
de l'écrivain et
chercheur au CNRS

    
  
   Le Professeur Wignesan n'est probablement pas connu de nos visiteurs, et pourtant sa carte de visite est impressionnante : titulaire d'un Doctorat d’Etat ès lettres et sciences humaines à la Sorbonne, il a enseigné dans divers pays, des Etats-Unis à la Malaisie, en passant par l'Espagne... mais s'est aussi fait un nom dans les domaines de la recherche (CNRS),  du journalisme et de la littérature. Il aborde ici des thèmes aussi variés que ceux de la littérature tamoule, du dieu Muruga ou de la situation au Sri Lanka.

Interview

  • IR : First of all, Dr. Wignesan, could you introduce yourself to our visitors and tell us about your works ?
    Tout d'abord, Professeur Wignesan, pouvez-vous vous présenter et nous parler de vos travaux ?

    TW : Some five years ago, I had already been enticed by my alma mater : Victoria Institution webmasters in
    Kuala Lumpur, who ferreted me out of the infernal depths of the Net, into doing precisely this, and I find the task of having to re-introduce myself an act of self-violation, even of self-betrayal. The result you can see for yourself in the following site: http://www.writerfind.com/twignesan.htm  and I am verily embarrassed.
    If at all an excuse were to be thought necessary, I’d gladly put it down to duty towards my heirs and/or forebears.


       Il y a quelque cinq ans de cela, j'ai déjà été attiré par les sirènes du lycée où j'ai effectué mes études : les webmestres de la Victoria Institution à Kuala Lumpur, qui m'ont déniché dans les profondeurs infernales de la Toile, et m'ont justement amené à faire ce que vous me demandez, et je trouve l'obligation de me présenter de nouveau est un acte d'auto-violation, et même d'auto-trahison. Vous pouvez lire le résultat sur ce site :
    http://www.writerfind.com/twignesan.htm  et, sincèrement, je me trouve embarrassé. S'il fallait nécessairement trouver une excuse, je serais heureux de la mettre sur le compte du devoir envers mes héritiers et/ou mes aïeux.

  • IR : You know well Sri Lankan Tamil culture and situation. What would you say about Tamil culture in Sri Lanka nowadays (literature, arts…) ?
    Vous connaissez bien la culture et la situation des Tamouls au Sri Lanka. Que pourriez-vous dire au sujet de la culture tamoule au Sri Lanka de nos jours (littérature, arts...) ?


    TW : Quite frankly, I know only as much about Sri Lankan arts and culture as I do of, say, French culture. By which I mean I’m no authority on the subject, and as such what I have to say can only be misleading. The fact that I had researched and published articles on several Sri Lankan literary figures: Ananda K.Coomaraswamy, Tambimuttu, S.Agastiyar, Kasi Ananthan, etc. (see URL : http://www.stateless.freehosting.net/AsianistsAsiaSupplement.htm ) in no way contradicts the fact that I’m quite ignorant of what is going on over there. If anything, it only goes to show that one can conduct research on almost any subject anywhere in the humanities these days if one feels sufficiently motivated. As a Tamil of course, given the necessary opportunities, I tried to fill in some gaps.

       Tout à fait franchement, je n'en sais pas davantage sur l'art et la culture sri lankais que, disons par exemple, sur la culture française. Ce que je veux dire par là, c'est que je ne fais pas autorité sur le sujet, et en conséquence ce que j'ai à dire ne peut qu'être trompeur. Le fait que j'ai effectué des recherches et publié des articles sur plusieurs figures littéraires sri lankaises : Ananda K.Coomaraswamy, Tambimuttu, S.Agastiyar, Kasi Ananthan, etc. (voir sur cette page Internet : http://www.stateless.freehosting.net/AsianistsAsiaSupplement.htm ) n'est aucunement contradictoire avec le fait que je suis dans une ignorance complète de ce qui peut se passer là-bas. Cela ne montre qu'une chose, c'est qu'on peut mener des recherches sur à peu près n'importe quel sujet, dans n'importe quel domaine des humanités, pourvu que l'on se sente suffisamment motivé. En tant que tamoul, bien sûr, diverses opportunités m'ayant été données, j'ai essayé de combler quelques lacunes.


  • IR : What are the books and who are the authors somebody willing to know Tamil literature (ancient and contemporary) should read ?
    Quels sont les livres et les auteurs
    que devrait lire une personne désireuse de connaître la littérature tamoule (ancienne et contemporaine) ?

    TW : If you’ll have the kindness to excuse me, for precisely the same reasons I gave in the foregoing response, I do not consider myself an expert in Tamil literature. Yes, I have read some of the more important works either in the original or in translation, but the corpus is so staggeringly vast, it would be presumptuous on my part to provide guidelines for anyone interested in the subject. Having said this, nothing I suppose prevents me from mentioning my own preferences: Tolkâppiyam, all the Cankam anthologies, and the great epics: Silappatikâram and Manimekalai. I find little that is noteworthy in the works of modern authors, such as, Subramania Bharathiyar, Bharathidasan or Kasi Ananthan. Tirukkural had its day in times of widespread illiteracy and general mass ignorance, and apart from paying reverence to the obvious genius who composed it, its relevance to our times is an anachronism (see my poem: “Master Valluvan, the long misunderstood Tamil mentor” in http://stateless.freehosting.net/Collection of Poems.htm ) I might add that the Tamil epics had already heralded by over a thousand years the “magical realism” in vogue in South American and Indian English novels today.

       Si vous avez l'amabilité de m'excuser, précisément pour les mêmes raisons données dans la réponse précédente, je ne me considère vraiment pas comme un expert en littérature tamoule. Bien sûr, j'ai lu nombre d'ouvrages parmi les plus importants, dans le texte ou en traduction, mais le corpus concerné est tellement vaste - à un point stupéfiant - qu'il serait présomptueux de ma part de donner des lignes directrices à quiconque s'intéresse à ce sujet. Ceci dit, je suppose que rien ne m'interdit d'indiquer mes préférences personnelles : Tolkâppiyam, tous les recueils des Sangam(s), ainsi que les grandes épopées : le Silappatikâram et le Manimekalai. Je trouve peu de choses à retenir dans les travaux des auteurs modernes tels que Subramania Bharathiyar, Bharathidasan ou Kasi Ananthan. Le Tirukkural a connu son heure de gloire en des époques d'analphabétisme généralisé, lorsque l'ignorance régnait sur des populations entières ; je reconnais que, de toute évidence, le génie qui l'a composé est admirable, mais l'ouvrage est aujourd'hui tout à fait anachronique (on se reportera à mon poème "Maître Valluvan, le maître à penser tamoul longtemps incompris", sur cette page : http://stateless.freehosting.net/Collection of Poems.htm ). J'ajouterai peut-être que les épopées tamoules annonçaient, avec plus d'un millénaire d'avance, le "réalisme magique" en vogue dans les actuels romans sud-américains et les romans indiens en anglais.


  • IR : And what do you think about the political situation : Does peace have a chance to last long in Sri Lanka ?
    Et que pensez-vous de la situation politique : la paix a-t-elle une chance de durer au Sri Lanka ?


    TW : “Peace” is an odd word. Can one define it ? I wonder. At best it’s relative. If you look at it from the point of view of the mainly Taoist Yijing (the ancient Chinese Book of Mutations), it is a myth. In other words, if you had eternal peace, life itself would disappear of its own accord. Besides, I would find it quite boring to vegetate in such a mythic state of existence even if some religions promise an eternal state of peace in the hereafter to those who profess blind faith in them. May the Heavens forbid it !
       And if we tried to look at it from the practical standpoint of politics (which is your question, of course), I’d say: “No, there’s hardly a chance Tamils and Sinhalese will ever see eye to eye and be content with their own separate destinies, that is, not until they realise that the stumbling block or beam in their eyes is the misconceptions they entertain of their religious affiliations and practices. The Great Gautama was the greatest Hindu who ever walked this earth, and he preached all that was necessary to tidy up the religious misconceptions of the day, a fact that both Tamils and Sinhalese –
    les frères ennemis : the Kaurava and the Pândava of the Mahâbhârata -- are still unable to accept and practice despite the Buddha’s continuous presence in the island from the times of the illustrious commoner Maurya dynasty of Asoka. Ethnicity in this case is not a bar. Aryans (Sinhalese) and Tamils (Dravidians) co-exist as they have always done in the Indian sub-continent.”

       Le mot "paix" est singulier. Saurait-on le définir ? J'en doute. Au mieux, disons qu'il est relatif. Si on l'envisage du point de vue du Yijing (l'antique Livre des Mutations des Chinois), essentiellement taoiste, ce n'est qu'un mythe. En d'autres termes, si l'on avait une paix éternelle, la vie elle-même disparaîtrait spontanément. En outre, il serait à mon goût tout à fait ennuyeux de végéter dans un tel état d'existence mythique, même si certaines religions promettent un état de paix éternelle dans l'au-delà pour ceux qu'habite une foi aveugle. Puissent les Cieux nous en préserver !
       Et si nous essayions de considérer la liberté du point de vue pratique de la politique (ce qui correspond bien sûr à votre question), je dirais ceci : "Non, il n'y a guère de chances que les Tamouls et les Cinghalais se regardent un jour les yeux dans les yeux, satisfaits de leurs destinées respectives ; cela n'arrivera pas avant qu'ils se rendent compte que ce qui fait obstacle dans leurs regards n'est autre que ces idées fausses qu'ils nourrissent sur leur appartenance et leurs pratiques religieuses. Le Grand Gautama fut le pluss grand hindou qui ait jamais foulé notre terre, et sa parole contient tout ce qui est nécessaire à une correction des idées fausses de l'époque, un fait que Tamouls et Cinghalais - les frères ennemis (en français) : les Kaurava et les Pândava du Mahâbhârata - sont toujours incapables de reconnaître et de pratiquer, malgré la présence ininterrompue du Bouddha dans l'île depuis le temps d'Ashoka, de l'illustre dynastie roturière Maurya.
    Dans le cas présent, ce n'est pas l'appartenance ethnique qui fait problème. Les Aryens (Cinghalais) et les Tamouls (Dravidiens) cohabitent comme ils l'ont toujours fait dans le sous-continent indien".

  • IR : Hinduism is a topic you know well. Are there Tamil specificities in Hinduism ? In Tamil Nadu, in Sri Lanka, or in places where the Tamil diaspora has settled down ?
    L'hindouisme est un sujet que vous connaissez bien. Existe-t-il des spécificités tamoules dans l'hindouisme, au Tamil Nadu, au Sri Lanka ou dans les diverses contrées où s'est installée la diaspora tamoule ?


    TW : In view of what I have already declared, your question would indeed amount to being over-generous. I’m certainly no expert on or of Hinduism. Having been born a Hindu – and allow me to remind you that no special merit attaches to such birth per se – I have always questioned the tenets and practices rife in the religion wherever I have been, and insofar as this might confer on me any rights to speak about the religion, I’d say that Tamils indeed, being a very proud people, having nurtured perhaps the oldest continuous traditions in the sub-continent naturally wish to re-possess by and large (and often succeed in doing so) the widely-grounded and accepted Hindu heritages of the region. The specificity of Siva worship (Saivism) which Tamils believe (a belief based on scant evidence) comes down to them from the Indus Valley (Mohenjo-Daro and Harrappa) civilisations, circa 3000 to 1500 B.C.E., if anything, stamps the Tamil conscience as their being the earliest – though hotly contested -- begetters of  the fundamental Hindu tradition of yogic meditation. This particular mentality characterises much of Sri Lankan Tamil and diaspora attitudes as well.

       Au vu de ce que j'ai déjà déclaré, on comprendra que je considère cette question comme plus que flatteuse. Je ne suis certes pas un expert de ou sur l'hindouisme. Etant né hindou - et permettez-moi de vous rappeler qu'aucun mérite particulier n'est lié en soi à cette origine - je me suis toujours posé des questions sur les principes et les pratiques ayant cours dans la religion, où que j'aie été ; et si cela me confère un quelconque droit de parler religion, je dirai que les Tamouls, qui sont des gens très fiers et qui ont perpétué de façon ininterrompue ce qui constitue peut-être les plus antiques traditions du sous-continent, souhaitent naturellement reprendre possession (ce qu'ils font souvent avec succès) du patrimoine hindou largement répandu dans la région. La spécificité du culte de Shiva (le shivaïsme) - dont les Tamouls sont convaincus (une conviction fondée sur une évidence fragile) qu'il provient des civilisations de la vallée de l'Indus (Mohenjo-Daro et Harrappa), environ 3000 à 1500 ans avant notre ère - est par excellence ce qui marque la conscience des Tamouls qui se considèrent en conséquence - bien que cela soit ardemment contesté - comme les plus anciens initiateurs de cette tradition hindoue fondamentale qu'est la méditation yoguique. Cette mentalité particulière est très caractéristique de l'attitude des Tamouls du Sri Lanka aussi bien que de la diaspora.


  • IR : Murugan is a very special god for the Tamil people. Could you please let us know more about him ?
    Muruga est un dieu particulièrement important pour les Tamouls. Pourriez-vous nous en dire plus à son sujet ?


    TW : Muruga(n), the Tamil God of beauty and youth is transformed mythically from the times of the Cankam period into a warlord wielding an all-powerful VEL (lance), and as the tutor and leader of warriors, the champion of Dravidians against the Aryans. Puranic imagination further substitutes Subramanya, the son of Siva (of the Hindu Trinity: Brahma-Vishnu-Siva) with Muruka, and the latter has carte blanche to usurp even the father’s role.  And “Muruka” with all the attendant legends fortified by the burgeoning bhakti (devotional) literature down from medieval times (it would be useful to remark here that Cankam literature, with the exception of one or two anthologies, such as Paripatal, was wholly secular) came to signify the Tamil ethos more than any school of thought or philosophy. It is therefore not surprising that the quality most appreciated by Tamils since classical times still remains that of the “fighting spirit”. In other words, Tamils were not defining by the arrogation of a distinctive God for themselves any reform movement of Hinduism such as may have amounted to the propagation of the Buddha’s teachings or the indoctrination of the non-violent Jainist disavowal of Hindu mainstream thought and practice.


       Muruga(n), le dieu tamoul de la beauté et de la jeunesse, a été mythologiquement transformé depuis l'époque des Sangam(s) en un dieu de la guerre brandissant le tout-puissant VEL (la lance), dirigeant et guidant les combattants, et véritable champion des Dravidiens contre les Aryens. L'imagination puranique a par la suite substitué Muruka à Subramanya, fils de Shiva (élément de la Trinité hindoue : Brahma-Vishnu-Shiva), et Muruka a eu carte blanche (en français) pour usurper jusqu'au rôle de son père. "Muruka", avec toute la cohorte de légendes qui l'entourent, fortifiées par la littérature dévotionnelle qui s'est développée depuis l'époque médiévale (il serait utile de noter ici que la littérature des Sangam(s), à l'exception d'un ou deux recueils tels que le Paripatal, était entièrement laïque), a fini par incarner le système de valeurs tamoul mieux que n'importe quelle idéologie ou philosophie. Il n'est donc pas surprenant que le trait de caractère le plus apprécié des Tamouls depuis les temps classiques demeure encore le "fighting spirit", l'esprit de combat. En d'autres termes, les Tamouls, en s'arrogeant un dieu pour eux-mêmes, ne
    définissaient pas un quelconque mouvement de réforme de l'hindouisme, tel qu'ont pu l'être la propagation des enseignements du Bouddha ou l'endoctrinement du mouvement non violent des jaïnistes, qui désavoue le courant de pensée et la doctrine hindous.

  • IR : In Reunion Island, many traditional religious practices from rural Tamil Nadu are still alive : fire-walking, animal sacrifices dedicated to Kali, cavadee dedicated to Muruga, the popular festival dedicated to Kama…Are all these traditions still alive in India ? Is Hinduism changing there ?
    A la Réunion, de nombreuses pratiques religieuses issues du Tamil Nadu rural sont toujours vivantes : la marche sur le feu, les sacrifices à Kali, le kavadi dédié à Murugan, la fête populaire dédiée à Kama... Ces traditions sont-elles aussi toujours vivantes en Inde ? L'hindouisme change-t-il dans ce pays ?


    TW : As far as I know, from my travels and attendance at conferences over there and elsewhere, the practices you describe are certainly still in vogue, but certain minor adaptations to the particular rites you mention may be noted in the customs and practices of the Tamil diaspora. These differences remain however quite insignificant in the overall picture of collective Tamil behaviour. It should not go unobserved however that the spread of Hindu migrant culture took specially delineated forms with the early – mainly nineteenth century -- passage of the Hindu indentured labour force into other lands. Please see “kaumara studies” in http://www.xlweb.com/heritage//asian/ .
       In the same way, one can assert that Hinduism has not as yet found the necessary socio-political and/or philosophical conditions (and this despite Periyar’s iconoclastic but essentially caste-instituted and based revolution) to usher in changes from the standpoint of overhauling its top-heavy ritualistic structure. To bring change to Hinduism, you have first to create the socio-economic conditions for the entire Hindu population which would serve to distance their regard over their own psyches. Until Hindus begin to see themselves for what they are worth as others more privileged in this sense see them right now, change is still as luxurious a word as “belief”.
       Do not forget, we are not living in an age (around the eighth and ninth centuries) when one man, Shankarâcharya, a Nambûdirî Brahmin from Kaladi (Chera kingdom) could tramp around India, as far as Benares, to convince kings and chieftains of the “futility” of following the teachings of Shankya, of Buddhism or of Jainism. Even the Mahatma who traversed the length and breadth of India in his attempt to preach understanding and peace between the estranged communities only managed to incur the hatred of those whom he sought to succour, with the exception of the Harijans, of course.

       Pour autant que je sache, d'après ce que j'ai connu à l'occasion de mes voyages ou des conférences auxquelles j'ai assisté ici et là, les pratiques que vous évoquez ont certainement encore cours, mais il faut noter qu'il existe diverses adaptations secondaires des rites particuliers que vous mentionnez, selon les usages et les pratiques de la diaspora tamoule. Toutefois, ces différences restent très insignifiantes dans l'image globale du comportement collectif tamoul. On ne doit cependant pas omettre d'observer que la diffusion de la culture migrante hindoue s'est particulièrement dessinée avec le début du déplacement de la main d'oeuvre hindoue engagée en terres étrangères - principalement au XIXème s.. On se reportera aux "kaumara studies" sur la page http://www.xlweb.com/heritage//asian/ .
       De la même manière, on peut affirmer que l'hindouisme n'a pas encore trouvé les conditions socio-politiques et/ou philosophiques (et ce en dépit de la révolution due à Periyar, iconoclastique mais fondamentalement fondée sur le système de castes) nécessaires à l'initiation de changements du point de vue d'une révision de sa structure ritualiste extrêmement pesante. Pour apporter des changements à l'hindouisme, il faut d'abord créer les conditions socio-économiques susceptibles de permettre à tous ceux qui constituent la population hindoue de distancier leur rapport à leur propre système mental. Tant que les hindous ne commenceront pas à se considérer à leur exacte valeur comme le font d'autres qui en ce sens sont aujourd'hui plus avantagés, le mot changement restera aussi vaniteux que le mot "foi".
       Ne l'oublions pas, nous ne vivons pas une de ces époques (je parle de la période du VIIIème et du IXème s.) où un homme, Shankarâcharya, un brahmane Nambûdirî de Kaladi (dans le royaume Chera) pouvait parcourir l'Inde, jusqu'à Bénarès, pour convaincre à lui seul rois et chefs de la "futilité" de suivre les enseignements du Shankya, du bouddhisme ou du jaïnisme. Même le Mahatma, qui a traversé l'Inde en long et en large pour tenter de prêcher la compréhension et la paix entre les communautés réciproquement hostiles, est seulement parvenu à s'attirer la haine de ceux qu'il cherchait à aider, à l'exception des Intouchables, bien sûr.


  • IR : Do you know anything about Tamil culture in Reunion Island ?
    Savez-vous quoi que ce soit sur la culture tamoule à la Réunion ?


    TW : “Anything” is as absolute as “nothing”, and therefore I might say my knowledge of Reunion Tamil culture hasn’t as yet evolved for the moment from its initial stage of total ignorance.

    En fait je ne connais strictement rien sur le sujet, et je peux dire que ma connaissance de la culture tamoule à la Réunion ne s'est pas encore détachée du stade initial d'une ignorance complète.


  • IR : Nowadays, the Tamil diaspora all over the world is numerous. Is Tamil culture spreading as well as people do, or are these people losing their culture as they settle down abroad ?
    Aujourd'hui, la diaspora tamoule est nombreuse, dans le monde entier. La culture tamoule se diffuse-t-elle de la même manière que les hommes, ou bien ceux-ci perdent-ils leur culture en s'établissant à l'étranger ?


    TW : This is not a particularly difficult question to tackle as it might appear at first. Tamils when subject to the rigorous conditions of re-settlement elsewhere care more for economic uplift rather than for the preservation of their indigenous cultures. Your question however doesn’t distinguish between Christian, Muslim, and Hindu Tamils, and yet, this is quite right. There are the various religious and cultural foundations to each faith, and there are the traditional Tamil and Tamil-Hindu heritages which are common to all Tamils, especially the language and classical Tamil literature and arts, such as, Bharata Natyam and Carnatic music. Now, once the promise of economic viability takes hold of the diaspora Tamil communities, the younger generations (not the parental initial migrant or settler generation) educated in the host countries’ language(s) and cultures (and including mannerisms) tend to adopt either a hybridised or semi-cultural half-hearted stance (that is, Tamil or variously religious and domestic but watered down cultures) or, if the parental control flags as is often the case among the third generation of settlers, they fall in step with the host-cultural traditions in as much as becoming even what is derogatively known as Black Europeans (a term first mooted by the Sri Lankan journalist, Tarzie Vitachi). The case is further exacerbated when the children of Tamil migrants fail to master their mother-tongue. And parents tend to overlook this drawback in view of their children’s wished-for overwhelming performance at school in English, French, German, Spanish, etc., as first or second languages. The dilemma cannot be resolved by the locally-born generation being constrained to acquire a language which has become “foreign” to them. In this sense, one might say the second and third generations of Tamils overseas are ‘losing their culture’ (and are acquiring by default what may rightly be considered a more vigorously modernistic  industrial and advanced technological metropolitan culture as opposed to their own probably less dynamic village agrarian ones.)

       Cette question n'est pas aussi difficile à traiter qu'il n'y paraît au premier abord. les Tamouls, lorsqu'ils se trouvent dans la situation difficile d'une réinstallation à l'étranger, sont plus soucieux de leur réussite économique que de la conservation de leurs culture originelle. Toutefois, votre question n'établit pas de différence entre Tamouls chrétiens, musulmans ou hindous ; et d'ailleurs, cela est tout à fait justifié. Il existe divers fondements religieux et culturels propres à chaque confession, et il existe des héritages traditionnels tamouls et tamouls hindous qui sont communs à l'ensemble des Tamouls, en particulier la langue, la littérature tamoule classique et les arts tels que le Bharata Natyam et la musique carnatique. Maintenant, à partir du moment où les communautés de la diaspora tamoule ont conscience de leur viabilité économique, les jeunes générations (et non la première  génération de migrants, celle des parents, des pionniers) éduquées dans la langue et la culture des pays hôtes (ce qui inclut aussi les particularités) tendent à adopter soit, à contre coeur, une position hybride, ou semi-culturelle (c'est à dire une culture tamoule ou des cultures religieuses et quotidiennes, mais affadies) soit, si le contrôle parental mollit - comme cela arrive souvent chez la troisième génération d'immigrés - ils se fondent dans les traditions culturelles du pays hôte jusqu'à devenir ce que l'on appelle péjorativement des Européens noirs, (un terme que, le premier, le journaliste sri lankais Tarzie Vitachi a utilisé). Le cas est plus grave encore lorsque les enfants d'immigrés tamouls ne maîtrisent pas leur langue maternelle. Et les parents ont tendance à fermer les yeux sur cet inconvénient lorsqu'ils constatent les résultats remarquables et tant espérés de leurs enfants à l'école, en anglais, en français, en allemand, en espagnol, etc., étudiés en première ou deuxième langue. Le dilemme ne peut trouver de solution au sein de la génération née sur place, obligée de faire l'apprentissage d'une langue qui leur est devenue "étrangère". Dans ce sens, on pourrait dire que la deuxième et la troisième générations de Tamouls émigrés outre-mer sont en train de "perdre leur culture" (et d'acquérir par défaut ce qui peut à juste titre être considéré comme une culture citadine plus vigoureusement moderne, industrielle et technologiquement avancée, par opposition à leurs propres cultures, rurales et villageoises, probablement moins dynamiques).

August 12, 2003
Le 12 août 2003

  Indes réunionnaises remercie M. Gérard RIERA pour sa contribution à la traduction française de cette interview.

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Contact

  • Adresse : Dr. T. Wignesan
    Centre de Recherches sur les Etudes Asiatiques [CREA],
    B.P. 90145,
    94004 Créteil,
    FRANCE

 


    

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