Regard du prêtre

Il insiste toujours sur quelques points essentiels: le nombre des marcheurs, qui doit être aussi grand que possible, le fait que tous aient "bien marché, c'est-à-dire qu'ils n'aient pas hésité, qu'ils n'aient pas manifesté de douleur, qu'ils ne se soient pas brûlés, et enfin la qualité du public qui assiste à la marche.  Il insiste aussi sur la diversité des origines des marcheurs : "des Cafres, des Blancs, pas seulement des Malbars".

Il ne donne pas nécessairement  d'explication du sens de la cérémonie à ceux qui y participent, sauf s'ils le lui demandent, et aussi, certains soirs, lorsqu'il parle du Mahabharata., mais le sens religieux des rituels est pour lui une évidence.  Le kap est une alliance avec la déesse, et à partir du moment où cette union est devenue formelle, l'homme qui l'a contractée doit demeurer chaste, et le rester jusqu'à sa sortie du cercle mythique, lorsque la rupture du kap marquera sa réintégration dans la vie de tous les jours. C'est le commencement de son carême, signe de son engagement envers la déesse et de celui du prêtre qui porte lui aussi le kap. Allégeance, sacrifice et offrande de la part du marcheur, protection de la part de la déesse "pour qui" l'on marche et qui peut être Druvédé, Kali ou Mariémin. Le rôle d'alliance du kappu est tout à fait analogue dans l'Inde du sud[8]. Utilisé dans nombre de cérémonies importantes, le kappu  isole du temps profane et fait entrer dans le temps sacré. "Une promesse religieuse est comme ratifiée par la pose du kappu. Elle signifie la protection contre les facteurs de trouble et la mise de la personne dans une position d'isolement. Mais elle contient aussi ce qui est impliqué dans les expressions être attaché à, et être contraint à faire "[9]. C'est pourquoi des objets de culte, ou des plantes peuvent être eux aussi entourés par un lien qui les attache au divin. Dans la fête de Pandyalé à la Réunion, si sa valeur de signe d'alliance avec la déesse n'est pas évidente aux yeux de tous les participants, elle l'est à ceux du prêtre qui la leur enseigne et l'ama-kap représente le pas  décisif, après lequel on ne peut revenir en arrière. La durée du port du kap dépend de la déesse à laquelle on s'unit. A Maurice, comme, selon certains informateurs, dans la Réunion d'autrefois, il est faut amarrer kap dix-huit jours avant la marche dans le feu lorsque c'est pour Pandyalé et dix jours pour Mariémin ou pour Kali, et ces simples différences soulignent bien qu'il s'agit là d'un lien direct avec les déesses.

Le sens religieux de la cérémonie s'exprime tout au long de sa préparation. Les représentations qui semblent théâtrales introduisent les dieux sur la scène du culte, scène qu'ils ne quitteront que lorsque la marche sera terminée. La marche dans le feu puise là sa caution divine :  elle s'inscrit au sein d'une série de réactualisations du mythe qui se succèdent durant toute cette période. Les agents actifs de ces rituels sont tous ceux, prêtres et marcheurs, qui, grâce au port du kap ne sont pas des acteurs profanes mais les membres d'un univers sacré. Chacun est lié à cet univers où le feu peut laisser indemne l'être qui est confronté à lui. Cette pénétration sans médiation dans le sacré ne s'accompagne pas de possession de la part des marcheurs. Seul le prêtre, à diverses reprises, sera possédé durant le cycle cérémoniel, c'est-à-dire qu'il rendra visite au divin, ou le recevra sur lui. Mais tout le cycle du théâtre sacré joue l'un des rôles essentiels qu'ont les possessions au cours des rituels religieux : attester de la présence réelle du divin. On ne représente pas ce qui va suivre (les combats, le mariage divin, l'ascension d'Arjuna sur l'Himalaya) : on le réincarne. Et c'est parce que la croyance en la présence réelle du divin est partagée, évidente, du moins pour le prêtre et lui donne son assurance que les marcheurs pourront entreprendre l'épreuve finale avec la protection divine. La participation au mariage de la déesse, relie à la victoire de Druvédé sur le feu, gage de la pureté que les ennemis lui avaient contestée.

Ainsi, tout est-il en place pour que ceux qui se sont insérés dans cette trajectoire mythique soient aussi invulnérables que les héros, et pour que la déesse les protège. Cela n'est jamais dit explicitement, mais le théâtre le montre, à tel point que cela se constitue en évidence.

Il en va ainsi jusqu'à la fin : casser les carlons, c'est la libération générale des divinités et des esprits qui ont été retenus dans le temple pendant la durée des fêtes.


[8] cf Beck, 1981, p 111. Mariadassou, (1937, p.13) désigne du nom de kappou le "poudjah pour se vouer à une divinité" et le décrit dans les termes suivants: "après un bain purificateur, prendre un linge teint d'une couleur chère à la divinité invoquée", et l'attacher au poignet droit . Comme avant la marche dans le feu, il faut "se garder de toute souillure conjugale, en évitant jusqu'au port du vêtement de tous les jours et le coucher dans son lit ordinaire"

[9] Diehl, 1956, p.252


    

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