Conditions requises à l'accomplissement d'un sacrifice

      Pour que l'opération sacrificielle soit féconde, certaines conditions de réalisation s'avèrent essentielles. Le sacrifiant et les participants au sacrifice doivent, en premier lieu, suivre une préparation qui aidera le sacrifiant à s'introduire dans le monde des dieux : un jeûne et une abstinence sexuelle sont généralement respectés. La durée de cette préparation peut varier de quelques jours à plusieurs semaines selon la décision personnelle du sacrifiant.
     En deuxième lieu, le sacrifice doit se fonder sur un acte d'abandon, c'est-à-dire que le sacrifiant doit se départir de biens personnels en faveur des dieux. Cette offrande comprend, outre les honoraires à verser1 aux officiants du sacrifice (le prêtre et ses assistants), de la nourriture destinée aux divinités : riz cuit et animaux d'élevage (buffles, porcs, moutons, poules) qui seront ultérieurement sacrifiés.
     Un troisième point concerne le mode de mise à mort. Car en Inde, les castes supérieures ont hérité de l'aspect non-violent (offrandes végétariennes) du sacrifice, tandis que certaines castes inférieures prônaient une mise à mort violente2 de leurs victimes, par décapitation des animaux offerts aux divinités. Cet aspect violent du sacrifice peut sembler difficile à comprendre, mais les castes inférieures ont une conception particulière du sacrifice sanglant :
selon la croyance populaire, l'acte de décapitation, de par son insertion dans l'acte sacrificiel, acquiert un caractère sacré, car le sacrifice rend non-violent ce qui serait violent en dehors de lui.
     Cette forme violente de mise à mort semble tirer son origine de l'épopée du Mahabharata, où Krishna, accablé d'injures par un de ses cousins, le tue en lui tranchant la tête. L'épopée continue en ces termes :
         Les témoins racontent que, peu de temps après la mort, on a vu sortir de la victime, quelque chose qui pourrait s'apparenter à son énergie vitale, qui, par la suite, est allée se fondre dans le corps même de Krishna. (Mahabharata, 11(45): 25)
     Ces sacrifices font également intervenir le personnage du possédé par l'intermédiaire duquel ce n'est plus seulement un homme qui officie, mais un homme investi par la divinité et qui ne fait qu'accomplir la volonté de celle-ci. Les divinités présentes entretiennent, par ailleurs, de bonnes relations avec les divinités supérieures des hautes castes, et la violence inhérente à ce sacrifice est acceptée par tous.
     Enfin, un dernier point concerne le sort des animaux sacrifiés : le sacrifice étant, rappelons-le, nourriture des dieux, certaines parties de l'animal leur seront réservées et aucun humain ne sera autorisé à les consommer. Ces parties, la tête et les pattes avant de l'animal, seront déposées scrupuleusement aux pieds des divinités. Quant au reste, la chair, elle sera cuite sur le feu et consommée le jour même par les officiants et les participants. Ce repas communautaire où les victimes seront transformées en nourriture sacrée pour les êtres humains, constitue la dernière étape essentielle à l'obtention des faveurs demandées.
     Il est intéressant de noter déjà qu'une pratique rituelle analogue à celle décrite ici semble être encore en vigueur dans certains villages de l'Inde du Sud (Dumont : Une sous-caste de l'Inde du Sud, 1957 ; Gonda : Les Religions de l'Inde II,1965 ; Reiniche : Les Dieux et les Hommes (Etude des cultes d'un village du Tirunelveli, Inde du Sud), 1979).
     Un culte s'est ainsi construit autour du sacrifice, et ce sont des éléments de ce culte qui ont été importés par les «engagés », dans la deuxième moitié du XIXème siècle, aux Antilles françaises. De cette conception sacrificielle, l'essentiel semble avoir été préservé par les descendants des Tamouls aux Antilles françaises. Je pense notamment aux éléments matériels du sacrifice, à la musique tambourinée, aux rôles des acteurs cérémoniels, aux offrandes végétariennes, au sacrifice animal, à la possession du prêtre et aux divinités invoquées.

FIN      


                     

   1 - Selon Malamoud, la raison profonde de ce geste viendrait de la volonté du sacrifiant de conserver une certaine autonomie face au prêtre, lequel agit en son nom. (Retour au texte).

    2 - Biardeau et Malamoud (1976) font remonter l'origine de cette coutume à une période pré-aryenne et non védique où le principe de la non-violence était prohibé. (Retour au texte).


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