Interview
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IR
: Monsieur Hubert Laot, pouvez-vous tout d'abord vous présenter à nos
visiteurs ?
HL : En quelques mots. J’assume la
direction artistique de l’auditorium du musée Guimet, le musée national
des arts asiatiques, c'est-à-dire que j’ai la responsabilité de la
programmation et du fonctionnement de cette salle de spectacles.
L’auditorium propose de septembre à juin des spectacles de musique ou de
danse, des cycles de films, des conférences ou colloques. La salle compte
près de 300 places et l’endroit, particulièrement intime et chaleureux,
est très apprécié des spectateurs parisiens.
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IR
: Pourriez-vous retracer les étapes essentielles de l'historique du
Musée Guimet ?
HL : Le musée Guimet est né
du grand projet d’un industriel lyonnais, Émile Guimet (1836-1918), de
créer un musée des religions de l’Égypte, de l’antiquité classique et des
pays d’Asie. Des voyages en Égypte, en Grèce, puis un tour du monde en
1876, avec des étapes au Japon, en Chine et en Inde lui
permirent de réunir d’importantes collections
qu’il présenta à Lyon à partir de 1879. Il devait par la suite transférer
ses collections dans un musée qu’il fit construire à Paris et qui fut
inauguré en 1889. Le musée fut rattaché à la Direction des musées de
France en 1927 et les collections « non asiatiques » furent transférées au
Louvre. Totalement restauré à la fin des années 90, le musée a rouvert ses
portes en 2001, doté notamment d’un nouveau théâtre : l’auditorium. Le
musée Guimet est considéré aujourd’hui comme le plus grand musée d’art
asiatique en Europe, voire en occident.
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IR
: Quelle place occupent l'Inde et la sphère culturelle indienne au Musée ?
Que peut-on découvrir ?
HL : Les collections indiennes sont extrêmement
présentes. Elles sont constituées d’une part, de sculptures (terre cuite,
pierre, bronze et bois) s’échelonnant du IIIe millénaire avant
notre ère jusqu’aux XVIII-XIXes siècles de notre ère, et
d’autre part, de peintures mobiles ou miniatures, du XVe au XIXe
siècle. Viennent s’y ajouter, depuis la donation Krishna Riboud, les
textiles indiens provenant, ainsi qu’un des plus beaux ensembles d’objets
d’art et de bijoux de l’Inde des XVIIe et XIXe
siècles jamais réunis par une seule et même personne. Par ailleurs,
l’auditorium présente très régulièrement des spectacles indiens et un
festival de films annuels, l’Eté indien.
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IR
: Qu'en est-il de cette manifestation particulière qu'est l'"Été indien" ?
Et pour commencer, quelle est sa genèse, si l'on remonte à sa première
édition ?
HL : L’Été indien est né de notre collaboration avec Martine Armand.
Martine est réalisatrice et a notamment été l’assistante de Satyajit Ray,
le plus grand cinéaste classique indien, sur ses trois derniers longs
métrages. Mais elle a aussi tourné avec d’autres réalisateurs indiens et
connaît parfaitement le cinéma indien, la plus grande production
cinématographique au monde. L’Été indien est donc au départ un
« festival » de films indiens sur une thématique donnée que nous
choisissons chaque année. En 2007, quatrième édition annuelle de l’Été
indien, le 60ème anniversaire de l’indépendance de l’Inde nous
imposait le choix du thème. Les années précédentes nous avions traité des
différentes régions, cultures et langues de l’Inde (1ère
édition), du cinéma bengali (2ème édition), puis des cinéastes
NRI (c'est-à-dire des cinéastes indiens ne résidant pas en Inde). Mais l’Eté
indiens ce sont aussi des spectacles indiens et des conférences sur
l’Inde.
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IR : L'"Été
indien" de cette année 2007 est-il particulier, à l'occasion du
soixantième anniversaire de l'indépendance ?
HL :
Nous avons appelé cette édition « L’Inde vers
son indépendance », c'est-à-dire que le programme traite de la période
historique qui va de la révolte des cipayes en 1857 jusqu’à l’Indépendance
de 1947 et à la partition. 19 films sont projetés dont 11 totalement
inédits en France. Nous avons du réaliser le sous-titrage de plusieurs
d’entre eux. Au moment où je vous réponds, Martine Armand vient de
terminer l’adaptation de « La maison et le monde », un chef d’œuvre de
Satyajit Ray d’après Tagore. Côté spectacles : danse Manipuri, chant
carnatique, qawwali du Rajasthan et chant hindoustani. Que du bonheur ! Je
signale que l’Ambassade de l’Inde nous a particulièrement aidé cette année
pour faire venir tous ces chefs d’œuvre inédits.
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IR
: Pouvez-vous souligner les temps forts de cette édition ?
HL : Tous les héros de l’histoire de l’Indépendance seront à l’écran :
Nehru, Bose et bien entendu, Gandhi. J’ai du mal à choisir parmi tous ces
films. Les quatre Satyajit Ray sont bien entendu incontournables, mais
pourquoi se priver du très long documentaire de Shyam Benegal sur Nehru ou
du « Making of Mahatma » sur la jeunesse de Gandhi. Ce dernier film sera
d’ailleurs présenté deux fois à l’occasion de la clôture, raison de plus
pour venir deux fois plus nombreux.
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IR
: Comment envisagez-vous l'avenir de cette manifestation à moyen et
long termes ?
HL : A court terme, nous travaillons déjà sur la cinquième édition (septembre-octobre
2008), mais je préfère ne pas en dévoiler la thématique trop tôt. A plus
long terme, le cinéma indien paraît inépuisable et nous serons sans doute
plus vite épuisés que lui. J’imagine très bien un développement de ce
festival, pourquoi pas avec des reprises en régions, voire outremer. Tout
est envisageable à condition de trouver les partenaires. Seuls, il nous
est difficile de faire plus que ce que nous réalisons déjà aujourd’hui.
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IR :
Personnellement, quel regard portez-vous sur les cultures indiennes ?
Quels aspects retiennent plus particulièrement votre attention ? Quelles
réflexions vous inspirent-elles ?
HL :
Je suis passionné par l’Inde. J’ai découvert
ce pays récemment en prenant la responsabilité de l’auditorium. Je suis
fasciné par la multiplicité des cultures, des langues, des paysages. La
musique et la danse sont omniprésentes tant dans la vie qu’au cinéma. Au
regard de l’histoire difficile qu’ont vécu les indiens depuis le milieu du
XIXème siècle, cette joie de vivre, cette force d’expression sont presque
incompréhensibles pour nous autres occidentaux et pourtant bien des choses
nous rapprochent. Il existe manifestement une vrai culture indo-européenne
et c’est sans doute ce qui nous rend si rapidement accessibles les arts
classiques indiens.
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IR
: Et que pensez-vous de la place accordée aux cultures indiennes en France
? Le public français vous semble-t-il ouvert et connaisseur ?
HL : Aujourd’hui, les cultures indiennes sont omniprésentes en France,
mais il me semble qu’il s’agit d’un phénomène relativement récent. Aux
delà d’un public extrêmement pointu qui venait déjà écouter et voir Ravi
Shankar au musée Guimet dans les années 50, le public français a découvert
l’Inde plus récemment grâce à la popularité soudaine du cinéma Bollywood.
Ce genre populaire, d’accès facile, a progressivement conduit ce nouveau
public vers les salles de spectacle et vers le cinéma d’auteur.
Aujourd’hui, le public « connaisseur » s’est démultiplié.
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IR : Pensez-vous
que les cultures indo-réunionnaises ou indo-créoles plus généralement
puissent un jour trouver une place au Musée Guimet ?
HL :
Dans la mesure où il s’agit effectivement de
cultures d’origine indienne bien entendu. J’ai d’ailleurs accueilli
récemment à l’auditorium, le joueur de tabla réunionnais Subhash
Dhunoohchand. A suivre…
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