Nathacha
APPANAH-MOURIQUAND

Les Rochers de Poudre d'Or

   
  
   Jeune journaliste mauricienne free-lance installée à Lyon, Nathacha Appanah-Mouriquand a publié chez Gallimard en 2003 son premier roman, Les Rochers de Poude d'Or, qui lui a vallu le prix RFO du livre d'Outre-Mer et un "Coup de coeur" remarqué dans le cadre de l'émission de TF1 Vol de Nuit (Patrick Poivre d'Arvor). Son livre, fondé sur la réalité historique, retrace le parcours douloureux des engagés indiens, venus travailler sous contrat dans les plantations de canne à sucre de l'île Maurice à la suite des esclaves, il y a un siècle et demi...

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Interview

  • IR : Nathacha Appanah-Mouriquand, Les Rochers de Poudre d'Or est votre premier roman : pouvez-vous retracer sa genèse ? Qu'est-ce qui vous a donné l'idée ou l'envie d'écrire ce livre ?

    NAM : Les Rochers de Poudre d’Or est intimement lié à un tournant dans ma vie : j’avais quitté l’île Maurice, une situation professionnelle intéressante, mes amis, la famille pour me retrouver en France fin 1998 pour tout littéralement reprendre à zéro. J’ai beaucoup écrit à l’adolescence, puis pendant dix ans, je n’ai pas couché une ligne. L’exil, la distance et la nostalgie un peu, peut-être, ont conçu ce roman. J’ai été beaucoup soutenue par mon mari qui n’a pas cessé de m’encourager à me remettre à l’écriture. L’histoire des engagés indiens me paraissait tout à coup moins banale qu’elle ne l’était à Maurice, plus romanesque que jamais. Pour un premier roman, je trouvais que ce thème, qui finalement m’était familier, était parfait pour se jeter à l’eau !

  • IR : Votre roman se veut-il un simple témoignage historique et distancié sur l'engagisme, ou un véritable hommage à la première génération d'engagés recrutés à Maurice ?

    NAM :  J’ai un peu de mal à voir cet ouvrage comme un roman historique. C’est comme si on enlevait la part d’imaginaire que j’ai mise dans ce roman, et j’en ai mis énormément. J’ai d’abord et avant tout voulu raconter une histoire. A la rigueur un témoignage, mais d’autres avant l’ont fait mieux que moi. Je voulais donner un visage à ces gens-là, dire qu’ils avaient une vie avant et que personne n’était préparé à ce voyage, à cet exil, même ceux qui l’avaient choisi. Je pense que si je n’étais pas d’origine indienne, on aurait peut-être mieux remarqué le côté romanesque des Rochers de Poudre d’Or
  • IR : Aujourd'hui, la traite des esclaves africains est considérée comme un véritable crime contre l'humanité ; selon vous, le système de l'engagisme, qui a concerné des centaines de milliers d'Indiens, devrait-il être aussi reconnu comme tel ?

    NAM : Je refuse, à tous les points, toute comparaison avec l’esclavage. L’engagisme a suivi les sillons creusés par l’esclavage, certes, mais ce n’est pas la même chose. Les esclaves étaient enchaînés comme des bêtes, les Indiens ne l’étaient pas ; les Indiens signaient un contrat – si peu légal qu’il fût dans certains cas – mais il y avait une trace de leur engagement, les esclaves n’avaient rien de tel ; les Indiens pouvaient venir avec leur famille (beaucoup n’étaient pas au courant de cela), les esclaves étaient littéralement arrachés de leur village, vendus, troqués ; les Indiens étaient payés, les esclaves non… Ce sont des détails, peut-être que cela relève du symbole ou de l’anecdote, mais c’est très important. Ensuite, j’ai beaucoup de mal avec ce que j’appelle la revendication du malheur. Il y a comme une compétition pour savoir qui sont ceux qui ont eu les ancêtres les plus malheureux et on tire presque de la gloire à savoir qu’on descend d’un peuple qui a plus souffert que les autres. Est-ce que cela fait de nous des hommes et des femmes plus honnêtes ?
       Alors, pour moi,  rien ne changera si l’engagisme est reconnu ou pas comme crime contre l’humanité. Je ne suis pas de ceux qui luttent pour cela, je crois qu’il y a aujourd’hui, dans notre monde, des choses dont on devrait s’occuper maintenant, qu’on peut faire changer pendant qu’il est encore temps. Le présent, c’est tout aussi important.
  • IR : On tient assez souvent ce raisonnement : les actuels descendants d'engagés indiens (et vous en faites partie) sont finalement des privilégiés en comparaison de leurs "cousins" demeurés sur la terre ancestrale et vivant encore aujourd'hui dans des conditions pénibles... Est-ce aussi votre point de vue ?

    NAM :
    C’est une question à laquelle je ne peux pas répondre. Qui sait ce que je serais devenue ? On peut continuer longtemps sur les hypothèses ! Une paysanne peinant pour le minimum avec cinq enfants en bas âge, une prostituée séropositive dans les bas fonds de Mumbai ou une actrice de Bollywood se déhanchant sur dix films par an ?

  • IR : Pour en revenir à votre roman, pouvez-vous nous dire si sa préparation vous a conduite à une véritable enquête historique sur le terrain, en Inde et à Maurice ? Votre métier de journaliste a-t-il influencé celui de romancière ?


    NAM : Non, je n’ai fait aucun travail de terrain. J’ai lu un ouvrage d’une chercheuse qui a longtemps travaillé à Maurice sur les engagés indiens, ce qui m’a donné des pistes intéressantes sur la durée du voyage en bateau par exemple… Sinon, ma culture de l’oralité m’a beaucoup servi. J’ai entendu des histoires d’engagés toute mon enfance !

  • IR : Les différents personnages dont les destins convergents constituent la trame du livre ont probablement été conçus comme représentatifs de l'ensemble des engagés : comment les avez-vous "choisis" et créés ?

    NAM : C’était important pour moi de montrer qu’il n’y avait pas qu’un « modèle » d’engagé : le paysan miséreux qui s’était fait droguer et jeter sur un bateau. Il y a eu ceux qui voulaient fuir une vie dont ils ne voulaient plus, ceux qui rejoignaient un parent, ceux qui voulaient s’enrichir…Sans oublier les recruteurs qui étaient souvent des Indiens eux-mêmes ! Je les ai imaginés par petits bouts. Avec quelques infimes détails au départ. Le jeu de cartes pour Badri, la dette pour Chotty, la nostalgie pour Vythee, le crâne rasé de la princesse Ganga… J’ai identifié sur une grande et vieille carte de l’Inde, leur village respectif, le chemin qu’ils devaient parcourir… Après, ça fait partie de mon intimité d’écriture, je dirai…

  • IR : Personnellement, quel regard portez-vous sur la situation culturelle, sociale... des actuels - et nombreux - Indo-mauriciens ? De toutes les îles qui furent terres d'immigration pour les engagés (Réunion, Antilles...), Maurice est certainement la plus indienne : vous sentez-vous indienne ?
       Vous avez récemment rencontré la "communauté" indo-antillaise célébrant le cent cinquantième anniversaire du début de l'engagisme : quelles ont été vos impressions ? Quelles différences avez-vous perçues entre les situations antillaise et mauricienne concernant les descendants d'Indiens ? Que retenez-vous de vos rencontres avec Jean Samuel Sahai, observateur attentif de l'évolution de la situation des Antillais d'origine indienne, Camille Moutoussamy l'auteur d'Eclats d'Inde Raphaël Confiant (qui s'apprête à publier un roman sur un thème comparable au vôtre), le poussari Jocelyn Nagapin... ?

    NAM : Je répondrai aux deux questions en même temps. C’est en effet la première fois que je vais aux Antilles, où les Indo-antillais ont connu le même cheminement que ceux installés à Maurice ou à la Réunion. Je pensais trouver un peuple pacifié avec le métissage. Mais j’ai trouvé une communauté hindoue très revendicative de ses origines (perdues ?) et luttant à demi-mot contre la créolisation de la société. Moi, qui viens d’une société où les hindous sont majoritaires, où leur empreinte est très physique sur le pays – en effet, Maurice est restée très Indienne –, c’était très intéressant. Je pense personnellement que le métissage est une chance et que ça, Maurice ne l’a pas encore compris ou intégré. Je parle d’un métissage naturel bien sûr, pas forcé. Les Antilles l’ont, cette chance, ça se voit partout d’ailleurs, mais il y a encore beaucoup de blessures, apparemment. Je suis restée trop peu de temps en Guadeloupe pour avoir un avis plus approfondi.
       Tout ceci ramène à la question de l’identité et moi, à mesure que les années passent, je m’éloigne de plus en plus de cette problématique parce que l’identité est une vacherie qui induit le concept de l’étranger. Quand on s’identifie à quelque chose, une communauté, un peuple, un pays, une religion et qu’on fait cela de façon implacable, sans ouvertures, cela veut automatiquement dire que l’on se situe en opposition à un autre peuple, une autre communauté etc. L’identité est souvent aussi perçue comme étant quelque chose de statique. Je ne crois pas du tout à cela. Je ne me sentais pas à vingt ans comme je me sens aujourd’hui, à trente ans. L’identité se nourrit de vos origines certes, mais aussi de votre présent, du pays dans lequel vous vivez, de votre espace, de vos rencontres, de vos bonheurs et vos malheurs. Alors, la coolitude, très peu pour moi. Je pense que je vais lancer une mouvance que j’appellerai la littératitude. Ca me convient tout à fait.
       Quant à savoir si je me sens Indienne ou pas… Je veux la liberté, en effet, de me sentir Indienne quelque fois, Mauricienne d’autres jours, Française pas plus tard qu’aujourd’hui et si demain je m’installe au Pôle Nord, je serai Inuit aussi parfois…

  • IR : Avez-vous également une connaissance de la situation indo-réunionnaise ? Quel regard portez-vous sur "l'île soeur" et sur le milieu indo-réunionnais ?

    NAM : J’ai très peu de connaissance de la Réunion. Un ami ethnologue qui y travaille m’a dit que la communauté hindoue se retranchait un peu, comme à Maurice. On va chercher ailleurs des prêtres parce que c’est des ‘Made in India’, des maçons indiens qui vont faire des temples ‘Like in India’. Bientôt, nous femmes des îles n’aurons plus aucune chance chez nos hommes. Ils vont aller chercher des ‘Miss India’. Snif.

  • IR : Avez-vous d'autres projets littéraires ? Vont-ils, d'une manière ou d'une autre, vous conduire de nouveau sur les chemins d'une inspiration "indienne" ?


    NAM : Mon deuxième roman sort en janvier prochain, il s’intitule Blue Bay Palace. Je dirai qu’il est d’inspiration insulaire puisqu’il conte une histoire d’amour dans un village mangé par un hôtel cinq étoiles. Contrastes, contradictions, touristes, autochtones mais aussi une jeune femme qui va connaître l’amour-cinq étoiles et le désamour-bordel.

 

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