Nathacha
APPANAH-MOURIQUAND

Les Rochers de Poudre d'Or

    

 

   Pour qui connaît l'histoire, véritable, des engagés indiens, de Maurice comme de la Réunion ou des Antilles, le roman de Nathacha Appanah-Mouriquand est marqué du signe de l'évidence : car il est évident que c'est cela qu'il fallait écrire pour témoigner, pour tirer de l'ombre cette histoire tragique qui succède à celle de la traite des Noirs et la rejoint largement dans l'inhumanité. D'autres romans pourront - devront - être écrits sur le même thème, ils pourront être plus littéraires, plus pathétiques, plus profonds ou plus pittoresques, mais l'essentiel est déjà là !
   Le diptyque propose en un premier temps les évocations, parallèles et pourtant convergentes, du destin de quelques personnages finalement recrutés par les mestrys pour un voyage vers le mirage mauricien, à bord de l'Atlas. Il y a là Badri, le joueur de cartes un peu naïf, Vythee attiré par l'appel fraternel, l'étonnante Ganga, jeune et belle femme royale échappant au cruel sort réservé aux veuves de son rang, d'autres encore. L'Atlas vogue plusieurs semaines, semaines d'horreur, vers l'île à sucre ; et sa cargaison de "bois de banian", comme on parlait jadis de "bois d'ébène", doit affronter les affres de la maladie, de la promiscuité, de l''insalubrité, de la faim, de la mort, sous l'oeil éthylique et odieux du médecin de bord...
   

   Le second volet, sur la terre mauricienne, ne sera en fin de compte que la continuation catastrophique de cette traversée du kala pani. Nouveau bétail, nouvelle race d'esclaves, les "Malbars" triment pour les grands propriétaires français, aussi soucieux de justice et de bonté que de leur plus vieille chemise. Triment et souffrent, encore et toujours, jusqu'à l'humiliation, jusqu'au marronnage, jusqu'au suicide...
   L'écriture de N. Appanah-Mouriquand, parfois crue,  reste généralement sobre, signifiant par là le caractère suffisamment explicite des faits eux-mêmes. La structure narrative est fluide sans être monotone, à l'image d'un ensemble équilibré et sans lourdeurs inutiles... Bref, de la belle ouvrage, et une excellente introduction au monde de l'engagisme.
   Extrait du journal du médecin de bord, anglais, de l'Atlas :
« 22 mai
Il s'appelait Chotty Lall d'après le registre et avait quarante-trois ans. Il est mort dans la nuit et, contrairement aux autres morts, les Indiens ont tenu à le remonter sur le pont. Je ne vois pas ce qu'il a de si différent des autres. Il me semble bien qu'il avait quelque chose de propre sur lui - pas l'habituel dhoti sale que la plupart se trimballent. Ils ont psalmodié encore Ram Nam Satya Hai un nombre incalculable de fois jusqu'à ce que ça me donne mal au crâne. On dirait que ça les fait rentrer en transe. Ils étaient tous montés sur le pont, même les plus faibles. Ils ne sont plus qu'une centaine désormais, je crois. Chotty Lall est mort de diarrhée, comme les autres. Ils ont posé son corps un instant sur le pont, ont allumé de l'encens et Sainam a tourné autour de lui sept fois. Nous regardions ça avec intérêt. Pourquoi cette cérémonie, pourquoi lui ?
   Lall était torse nu et j'ai remarqué que son corps était zébré de grosses cicatrices épaisses, comme des anciennes brûlures ou des morsures de fouet. Les Indiens avaient marqué son front de rouge et mis quelque chose de vert dans sa bouche. Du bétel, je crois, cette feuille que les Indiens chiquent à longueur de journée. William, à côté de moi, a enlevé sa casquette en disant : "Ils essaient de lui faire une cérémonie de morts digne.
- Pourquoi lui ? ai-je demandé.
- Je ne sais pas. Il était un peu leur chef, je pense, ou un grand frère", m'a-t-il répondu.
   William ne m'a pas regardé une seule fois en parlant. Il semblait très intéressé par ce qui se passait devant nous et j'essayais de me souvenir de ce type. Il avait été la cause de cet incident au départ de Calcutta. Il serrait son baluchon comme s'il n'avait pas plus précieux sur terre. Je me souviens surtout de sa femme qui criait sur le port et lui qui pleurait, après.
   Durant le voyage, il a toujours été parmi ceux réquisitionnés pour nettoyer le pont ou transporter des personnes trop faibles. Je me souviens aussi de lui près du corps du vieux pêcheur.
»

 

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