Antoinette Gamess :

"Mes ancêtres m’accompagnent où que j’aille et quoi que que j’écrive"

      
  

   Indes réunionnaises vous propose une nouvelle incursion aux Antilles françaises, en Martinique plus précisément, à la rencontre d'une figure attachante de la scène littéraire : Antoinette Gamess. Elle est l'auteur de plusieurs ouvrages inspirés du métissage de sa terre natale... un métissage où l'Inde a bien sût toute sa place. C'est ce qu'elle nous fait comprendre ici...


Interview  -  Extrait de roman  -  Poème


Interview

  • IR : Antoinette Gamess, pourriez-vous vous présenter à nos visiteurs ?

AG : Je m'appelle donc Antoinette Gamess, née Louis-Thérèse, au pied de la Montagne Pelée, dans la commune le plus haute de la Martinique, Morne Rouge, comme mon époux Yves Gamess. Nous avons constamment cheminé dès notre enfance. A l’école élémentaire et au lycée. J’ai été enseignante, surtout avec les très jeunes enfants pendant trente-neuf ans.

  • IR : Vous êtes écrivaine, dans des domaines aussi variés que la poésie, le roman, le théâtre. Comment vous est venu le goût de l’écriture et pourquoi ce choix de l'éclectisme concernant les genres littéraires que vous pratiquez ?

AG : Nous avons bâti ensemble mon époux et moi, un héritage qui prend en compte toutes les composantes aussi bien « ethniques » que culturelles. Pour moi, amérindiennes, européennes, africaines et peut-être indiennes. Pour lui, indiennes, africaines, amérindiennes. La rencontre avec les enfants et leurs fonctionnements m’ont amenée à écrire d’abord avec eux, puis, en extrapolant, j’ai profité de toutes les découvertes de nos imaginations et imaginaires communs pour construire des œuvres telles que des contes, des pièces de théâtre, de la poésie, des nouvelles, des romans pour les enfants et tous les publics. Cet éclectisme était indispensable pour devenir l’expression d’une plus grande diversité de sentiments, de réalités complexes, d’émotions. Le théâtre facilitait le travail sur le corps et la diction. Je ne peux faire de choix dans la pratique de l’écriture. Toutes les formes d’expression trouvent un écho en moi. Je travaille sur plusieurs ouvrages simultanément. Ainsi, j’ai pratiquement terminé un livre qui se veut un roman-essai, sur les femmes en politique. Je ne parle pas seulement de celles mon pays. Je cite celles d’ailleurs, de Cléopâtre à Indira Gandhi, jusqu’à celles d’aujourd’hui que j’ai bien du mal à rencontrer. J’ai aussi terminé un roman sur la vie de mon époux, à la demande de ses amis. J’y tiens une place importante. J’ai déjà fini un recueil de dix nouveaux contes sur Ti-jean, auquel j’ai adjoint un onzième, "Le Retour du nain Vamana", qui est la suite du "Huitième nain". Celui-ci revient donc à la Martinique pour demander au dieu Shiva qui réside dans la montagne Pelée de sauver la Martinique de la destruction. J’ai aussi, en attente d’éditeur, une cinquantaine de nouvelles. Enfin un cinquième recueil de poésie qui sera dédié à mon corps pour le remercier de m’avoir si bien accompagnée durant plus de trois quarts de siècles. Une autre pièce de théâtre attend, écrite en 1998, 500 ans déjà, remaniée depuis, qui ramène Christophe Colomb sur les lieux de sa « découverte », 500 ans après.

  • IR : A quels écrivains ou artistes, des Antilles ou d’ailleurs, va votre admiration la plus profonde ? Et pourquoi ?

AG : J’apprécie particulièrement les textes de Rabindranath Tagore et d’Aimé Césaire. Je lis aussi des auteurs d’autres régions du monde, de l’Afrique, d’Amérique, de l’Inde, d’Europe. Je connais quelques auteurs de la Réunion. Mon époux ayant été bibliothécaire à la Bibliothèque Schœlcher, à Fort-de-France, j’ai vécu environnée de livres et de journaux. Il laisse d’ailleurs une bibliothèque bien fournie sur la Caraïbe. Je pratique moi-même l’art sous diverses formes. J’avoue que mon goût me porte vers ce qu’on désigne comme le figuratif, Renoir, Hector charpentier. Gauguin et Van Gogh me plaisent également.

  • IR : Comme la grande majorité des Antillais, vous êtes ethniquement et culturellement métissée : sur le plan humain, vivez-vous ce métissage comme une difficulté ou comme une chance ?

AG : Lire des textes consacrés à la région des Caraïbes me mettait constamment en contact avec les peuples de plusieurs régions du monde dont mes ancêtres étaient originaires. Mes parents m’ont parlé de leurs propres grands-parents venus d’Europe, pour mon père. D’ailleurs, il ne m’a parlé que de ceux-ci. J’ai découvert plus tard, que ses ancêtres maternels étaient amérindiens et africains. Ma mère me racontait sa grand-mère paternelle, africaine dont le nom Kasocrock a quasiment disparu, son arrière-arrière-grand-mère amérindienne peut-être d’origine arawak, son ancêtre « mulâtre ». Donc, j’ai toujours entendu raconter ces « histoires » familiales où l’on passait d’un peuple à l’autre. Je n’ai jamais eu à me poser des questions sur mes origines ou plutôt, c’est parce que je m’interrogeais sur les particularités physiques de certains membres de la famille de mon père que j’ai compris sa filiation et la mienne. J’estime que j’ai eu la chance d’entrevoir dès mon enfance que mon monde était divers. Sans plus. Plus tard, j’ai éprouvé le besoin d’en savoir davantage et je cherche dans les archives et ailleurs. Mes ancêtres m’accompagnent où que j’aille et quoi que que j’écrive.

  • IR : Et sur le plan littéraire ?

AG : La Société d’Histoire m’a aidée à mieux me mouvoir dans mon histoire, au point que je ne pense maintenant qu’à la construction que nous élaborons pour nos descendants, d’un monde apaisé où ils seront considérés « également » pour leur valeurs propres et non pour la couleur de leur peau ou des titres sociaux qu’ils ont portés. J’incite mes petits-enfants et nos jeunes à devenir des « seigneurs » : des femmes et des hommes qui prennent de la hauteur et travaillent à bâtir une société universelle vivable. Je puise alternativement dans mes différentes cultures, sans que ces différentes appropriations me causent des problèmes. J’ai cependant constaté que d’autres ont des difficultés à comprendre cette espèce de culture «  mixée ». Il est vrai qu’en Inde, ils m’ont définie comme « mixt people ». Cela pouvait être également « mixed people ». Dans tous les cas, cela me définit comme une personne, peu importe le qualificatif choisi.

  • IR : Vous avez écrit plusieurs ouvrages mettant notamment à l’honneur la part indienne de la société martiniquaise…Vous n’êtes pourtant pas forcément d’ascendance indienne. Cela veut-il dire que vous avez pleinement intégré la part culturelle indienne incarnée par votre défunt époux ?

AG : Je ne suis apparemment pas une descendante indienne. Quoiqu’on me signale une branche dans ma famille maternelle. J’ai vécu mon enfance dans des communes où vivaient de nombreux descendants d’Indiens. Mon oncle avait épousé une de ces descendantes. Je me considère de par mon époux, mais aussi personnellement,  comme une héritière de ces cultures qui me passionnent autant les unes que les autres et j’ai accepté cet héritage. J’approfondis, dès que je le peux, les aspects de tous ces héritages et j’essaie de les partager avec les autres. C’est ainsi que je suis appelée à faire des exposés sur divers aspects des modes de vie en Inde. A la suite de mon époux, je me plie à cette obligation de transmission aux nouvelles générations. J’aide des jeunes de différentes écoles et des adultes à en saisir les aspects, l’histoire d’abord, les religions, les coutumes. Je puise pour cela dans les nombreux documents réunis par Yves Gamess. J’entretiens des relations avec des personnes ou associations qui s’intéressent à ces divers héritages.

  • IR : Pensez-vous que les descendants d’Indiens en Martinique et en Guadeloupe sont victimes, encore aujourd’hui, d’une forme de manque de reconnaissance ?

AG : Ma réponse concernant les descendants d’Indiens sera mitigée en ce qui les concerne. Je ne dirais pas qu’ils souffrent d’un manque de reconnaissance. Je crois qu’ils ont une réticence à trop s’ouvrir à ceux qui ne font pas l’effort de comprendre ce qu’ils sont, bien qu’ayant avec eux des points communs dans leur histoire. Leurs ancêtres ont aussi construit notre société. Or, il n’est question que de « nègres » et de « békés ». Il y a quelques années, on me déniait des ancêtres amérindiens dont l’existence est réelle. On les recherche, actuellement, les vestiges de ces civilisations détruites. Ces descendants d’Indiens, conscients de leurs apports, protègent les valeurs reçues de leurs ancêtres et les diffusent le moins possible. Figurez-vous qu’ils ont des noms authentiques de leurs civilisations, une religion, l’hindouisme pour la plupart, une langue, le tamoul, qui n’est plus parlée, et d’autres pratiques considérées comme du « magico-religieux » par une bonne partie de la population.

  • IR : Votre roman Ganesh, un homme indien de Calcutta, est-il une contribution, historique en quelque sorte, à cette reconnaissance ? Pouvez-vous rapidement évoquer pour nous le contenu de ce roman ?

AG : En écrivant seule - mon époux avait des réticences - Ganesh, un homme indien de Calcutta, j’ai souhaité, par cette contribution, inscrire un homme, Ganesh, devenu Joseph Gamess, une famille et sa lignée, dans le contexte de la Martinique. D’ailleurs, je dédie cet ouvrage à Aimé Césaire dont je reprends la parole « un homme hindou de Calcutta », seulement, je resitue ce dernier en « indien ». Ce roman relate le départ de Calcutta du grand-père de mon époux, le voyage qui a été long, sur un bateau britannique, le British Navy, en 1874. Mais aussi la grand-mère embarquée à Pondichéry. La réalité est un peu différente, parce que dans le roman qui, je l’espère, paraîtra bientôt, Yves, vers le Nirvana, je tiens compte davantage des données moins basées sur les récits de ceux qui ont connu le grand-père et sont encore vivants, suite à des recherches en généalogie et en histoire que j’effectue aux archives.

  • IR : Fifine et la déesse Lakshmi est une œuvre théâtrale qui apporte un éclairage différent, - peut-être faut-il  dire plus plus psychologique et poétique ? - à la thématique du métissage culturel et de sa composante indienne… Quelles ont été vos intentions en écrivant cette pièce ?

AG : Elle introduit un personnage inconnu dans notre société antillaise, la déesse. De ce fait, je n’ai pas encore trouvé un metteur en scène qui accepte d’en assurer la mise en scène, bien que j’aie une bonne pratique de cette activité et donc des relations dans ce milieu. Il y a de la réticence chez ceux qui ont essayé. Ils redoutent le verdict de notre société. C’est aussi le thème de la relation mère-fille. Un conte trilingue, « Ti-jean et les titiris », illustré par Raymond Sinamal, est le pendant de cette pièce. La déesse n’y figure plus, mais Ti-jean le petit garçon débrouillard connu dans de nombreuses sociétés au monde. Il rencontre aussi la déesse et le nain Vamana.

  • IR : Quant au recueil poétique Indes, Orient- Occident, il enrichit encore votre démarche métisse, évoquant tantôt Gandhi, tantôt l’Afrique ou le jazz, tantôt les Amérindiens… que faut-i comprendre dans cet arc-en-ciel culturel ?

AG : Ces poésies me permettent d’exprimer tout ce que ce multiple métissage me procure comme bonheur, mais me sert aussi à percevoir et peut-être à envoyer des messages.

  • IR : Dans ce recueil, un poème intitulé « Musique sacrée » semble revendiquer une sorte de syncrétisme ou d’universalisme religieux. Est-ce bien ainsi que l’on peut le lire ? Cela signifie-t-il un « métissage religieux » s’associant aux autres ?

AG : Je crois que la petite société à laquelle j’appartiens, en puisant dans celles dont sont originaires nos ancêtres, ne doit se priver d’aucune de ses richesses. Pourquoi ne pas cheminer progressivement vers une compréhension mutuelle qui permettrait, à certains moments, une interpénétration des pratiques religieuses. Mon époux parlait de syncrétisme religieux. Nous ne sommes plus ni amérindiens, ni européens, ni africains, ni indiens, ni chinois, mais tout cela. Edouard Glissant parlait de tout-monde. Faut-il au moins savoir ce que ce concept recouvre et nous donner les moyens de le réaliser.

  • IR : Que souhaiteriez-vous dire du roman cosigné par votre époux, De l’Inde à la Martinique - le droit d’exister ?

AG : Le livre cosigné par Roselyne Gamess et Yves Gamess est le livre d’histoire qui n’avait pas encore été rédigé pour une meilleure connaissance de l’immigration indienne. Il a plutôt une valeur pédagogique pour les adultes et les enfants.

  • IR : Avez-vous d’autres projets littéraires en cours ?

AG : Je continue à écrire sur tous les sujets : J’ai commencé un livre sur notre ville capitale, Fort-de-France, que je prévois de rebaptiser « Fort-de-Martinique » et un dernier, avec une équipe pluridisciplinaire, sur tous les Indiens arrivés à la Martinique de 1853 à 1884. Je ne sais pas si les années qui me restent me laisseront la possibilité d’encore écrire. Il y a tant de sujets passionnants dans notre histoire qui pourtant semble commencée récemment.
 

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