Les TAMOULS

du SRI LANKA

 
  


Frise en haut relief d'un temple hindou de Colombo - PhotoãPh. Pratx

  
Les Malbars de la Réunion sont, on le sait, pour la plupart d'origine tamoule. Il m'a paru intéressant de me pencher sur le cas d'une autre île de l'Océan Indien, largement méconnue des Réunionnais, et où la polpulation tamoule occupe une place importante : l'ancienne Ceylan, aujourd'hui Sri Lanka. Une situation bien différente de celle du DOM Réunion. Au-delà l'évocation du conflit entre minorité tamoule et pouvoir cinghalais, occasionnellement médiatisé et peut-être en passe de trouver une issue heureuse, nous nous attacherons à parler de l'histoire de la présence tamoule au Sri Lanka ainsi que des traits culturels de deux groupes humains tamouls assez largement distinct.

 

Une histoire deux fois millénaire

 
        On n'a pas de certitude sur la période exacte de l'arrivée des premiers Tamouls sur l'île aujourd'hui appelée Sri Lanka. On fait remonter à environ 500 av. J.-C. la présence des Cinghalais, peuple aryen probablement en provenance du nord-ouest de l'Inde. Ils s'imposèrent facilement aux tribus aborigènes, les Veddas, dont quelques poignées de descendants survivent encore dans le centre du pays. Il est probable que des pêcheurs, puis des commerçants tamouls fréquentèrent le nord de l'île - à portée de rame, de voile et de regard - très tôt. D'aucuns prétendent qu'ils l'auraient fait avant même les Cinghalais. Et c'est probablement vers le IVème ou le IIIème s. av. J.-C. que des agriculteurs tamouls vinrent s'istaller de façon sédentaire sur certaines parties du littoral pour y cultiver le riz.

     La monumentale chronique historique rédigée par des moines bouddhistes de l'île au Vème s., le Mahâvamsa, permet par ailleurs de savoir que l'un des premiers souverains connus du pays fut le Tamoul Elâra, qui régna une quarantaine d'années (204-161 av. J.-C.) avant d'être vaincu par un Cinghalais, Duttagâmanî. Elâra avait la réputation d'être un monarque droit et juste, ainsi qu'un excellent administrateur, ce qui lui valut de nombreux soutiens parmi les Cinghalais eux-mêmes. Il s'ensuivra une période de longs siècles où les rivalités et affrontements entre les deux peuples ou leurs chefs furent récurrents.

 

    


PhotoãPh. Pratx
Statue de Shiva en Nataraja, retrouvée à Polonnâruwâ et exposée au musée de Colombo. Ce sont les Tamouls, hindous, qui firent de cette cité la capitale du pays.

  
     Toutefois, la prééminence cinghalaise ne fut pas réellement contestée, ce qui permit le développement d'une capitale grandiose, Anurâdhapura, où s'élevèrent d'imposants monuments à la gloire du bouddhisme : les dagobas. La prospérité du royaume, qui s'étendait essentiellement des plaines arides de la moitié nord de l'île, reposait principalement sur un réseau d'irrigation remarquable.

   Curieusement, c'est souvent à des interventions sud-indiennes que les Cinghalais eurent recours lors des problèmes de succession à la tête du royaume. Mais lorsque les dynasties de l'actuel Tamil Nadu gagnèrent en puissance - notamment du Vème au VIIIème s. - l'île fut souvent menacée, d'autant que les autochtones tamouls établis depuis des siècles pouvaient constituer un appui aux Chola, Pândya et autres Pallava visant à soumettre le pays. Toujours est-il qu'une culture tamoule se développa, notamment dans la péninsule de Jaffna, distincte de la culture cinghalaise sur les plan linguistique, religieux et social.

     Ennemis puis alliés des Pândya, les Cinghalais furent confrontés, dès le début du XIème s., à la puissance de l'empire tamoul de la vieille dynastie Chola. Le roi Mahinda V fut fait prisonnier et les nouveaux maîtres établirent leur capitale à Polonnâruwâ. Pendant environ soixante-quinze ans, avec notamment le règne de Rajaraja le Grand, Ceylan fut alors une province de l'empire chola. En 1070, le roi cinghalais Vijaya Bâhu Ier parvient à chasser l'occupant, mais la communauté tamoule reste bien évidemment implantée dans ses zones traditionnelles, en particulier tout au nord. Un Etat ayant pour capitale Jaffna s'établira d'ailleurs, de façon indépendante, à partir de 1215, il sera florissant et, un siècle plus tard environ, tentera vainement de soumettre la partie cinghalaise de l'île.

     Les XIVème-XVème s. marquèrent le début de nouvelles vagues d'arrivants, à commencer par des commerçants arabes, les Moors, c'est-à-dire les "Maures" (on fait parfois remonter leur présence à partir du VIIIème s. !) Il eurent surtout des rapports privilégiés avec la communauté tamoule, dont ils adoptèrent la langue. Les musulmans sri lankais d'aujourd'hui sont d'ailleurs toujours tamoulophones. Ce fut ensuite le tour des Portugais, qui dominèrent l'essentiel de lîle à partir de 1505, mais durent attendre 1619 pour parvenir à s'emparer de Jaffna. Entre temps, les Hollandais avaient déjà montré le bout de leur nez, et ils finirent par supplanter les Lusitaniens. L'ère coloniale battait son plein, économiquement fondée sur le négoce des épices. Anglais, Danois et Français manifestèrent des velléités d'établissement. Ainsi le port de Trincomalee fut entre les mains françaises jusqu'en 1795, année où les Britanniques le leur ravirent. Ces mêmes Britanniques affirmèrent peu à peu leurs prétentions et finirent par être les premiers Européens à soumettre entièrement l'île, en s'emparant en 1815 du centre et son royaume de Kandy. Il est à noter qu'en 1739, on avait fait appel à une dynastie originaire d'Inde du sud pour régner à Kandy : les Nayakkars.

     Sous la colonisation britannique fut maintenue la séparation géographique entre zones tamoule et cinghalaise, et les autorités s'ingénièrent souvent à favoriser d'une certaine façon les minorités musulmane et tamoule... ce qui se paierait très cher des décennies plus tard. Autre fait capital : l'économie subit de profondes transformations, avec notamment l'introduction du système de plantations. Ce fut d'abord le café, à partir des années 1830. Pour la récolte, on faisait appel à des travailleurs saisonniers, Tamouls de basses castes ou parias de l'Inde du sud. Mais le fragile café succomba aux maladies et, dans les années 1880, on dut le remplacer par le thé et l'hévéa. Pour ces cultures, la main-d'oeuvre devait être en permanence sur place, et ces "Tamouls indiens" restèrent donc à demeure, utilisés pour toutes sortes de travaux pénibles tels que la construction des routes et des voies ferrées. Un prolétariat misérable occupait ainsi une nouvelle place dans la société de l'île, en particulier dans la région des Hautes Terres.

     L'histoire du XXème s. fut d'abord marquée par la montée du nationalisme cinghalais, qui s'exprima en particulier en 1915 par des émeutes et des attaques contre la communauté des Moors, accusée de collaboration. Le colonisateur réprima fermement cette poussée de violence. C'est finalement le 4 février 1948 que l'indépendance fut proclamée et, en 1972, Ceylan devint Sri Lanka. On était alors déjà sur la voie d'un autre long et sanglant épisode, celui de la guerre civile (à lire ici).

 


Quelques repères chronologiques

IVe-IIIe s. av. J.-C.

Installation de Tamouls riziculteirs sur les côtes. Ils avaient sans doute été précédés par des pêcheurs et des commerçants.

1215

Début d'une période de domination des Tamouls sur le nord où va être fondé un Etat de Jaffna, qui tentera la conquête du sud en 1325.

204-161  av. J.-C.

Règne du roi tamoul Elâra sur l'île. Il sera vaincu par Duttagâmanî.

1505

Début de la domination des Portugais ; mais le nord reste aux mains des Tamouls jusqu'en 1619.

480

Les Tamouls sont chassés de l'île.

1602

Installation importante des Hollandais.

VIIe s.

Luttes entres cinghalais et rois Pândya du sud de l'Inde.

1815

Le royaume de Kandy, dernier bastion de l'indépendance, est soumis par les Britanniques.

772-777

Nouvelles invasions tamoules.

XIXe s.

Des milliers de Tamouls de basses castes viennent travailler dans les plantations de café puis, après 1880-90, de thé et d'hévéas.

993

Conquête par les Chola du sud de l'Inde, qui déplacent la capitale à Polonnâruwâ.

1948

Indépendance de Ceylan.

1070

Vijaya Bâhu Ier,  chasse les Chola. Des attaques Chola continueront toutefois jusque au XIVe s.

1983

Début "officiel" de la guerre civile, mais les tensions et les tueries avaient commencé depuis plusieurs années.

 

 

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