Pour nous parler de cet art martial typique du Kerala, nous avons interrogé M. Mathieu le Moal, de la compagnie Prana.

Introduction     Le Silambam      Le Varma Kalai

   Autres formes           Page pratique


Interview

  • IR : Que sait-on sur les origines et l'histoire du kalaripayatt ?

    MlM : Le kalaripayatt est sûrement une des plus vieilles pratiques martiales existant à notre époque. Cet art puise son origine dans l’art de la guerre antique de l’Inde (Dhanurveda) et la médecine traditionnelle indienne (Ayurveda).
       La croyance veut que le dieu Parasurama, fondateur légendaire de la région du Kérala (sud-ouest de l’Inde), un des avatars de Vishnu, pour protéger son peuple et veiller à son évolution, ait enseigné l’art du Kalaripayatt à vingt et un gurus.
       Les statues de certains temples attestent d’une pratique martiale dans le sud de l’Inde dès le IVème siècle, mais le Kalaripayatt a vraisemblablement été élaboré sous sa forme actuelle entre le XIIème et le XIVème siècles. La caste guerrière des Nayars  obtint le droit exclusif de la pratique des armes et de l’entraînement guerrier dès les XIème et XIIème siècles.
       L’association des termes kalari (« lieu de pratique ») et payattu (« exercices ») n’est pas si ancienne et regroupe différentes écoles, styles et traditions. On retrouve aujourd’hui ces écoles classées en trois styles : le style du Nord (côte de Malabar), le style du Sud, plus proche de la tradition tamoule, autrefois désigné sous l’appellation varma ati (« attaque des points vitaux »), et un style « du centre », proche des deux autres styles. En fonction des écoles, les termes employés sont en malayalam (la langue du Kérala), en tamoul et parfois même en sanskrit. Le kalaripayatt est issu de différentes traditions d’origines sanskrites et dravidiennes.
       Comme en attestent certains écrits européens de la fin du XVème siècle, le Kalaripayatt s’est mis à jouer progressivement un rôle socio-politique important.
       L’arrivée en Inde des Portugais et des différents pouvoirs coloniaux (hollandais, français et anglais), de missionnaires, de soldats, ainsi que l’introduction des armes à feu, vont changer la donne et le Kalaripayatt va perdre de son prestige. Certaines familles Nayars vont alors cesser leur pratique traditionnelle.
       L’interdiction de la pratique par les Anglais va obliger le Kalaripayatt à se cacher et presque à disparaître. Mais le Kalaripayatt va réapparaître sous l’influence de C.V.Narayanan Nayar et de son professeur, dans les années 30.


  • IR : Le kalaripayatt est-il aujourd'hui largement pratiqué en Inde ? Culturellement, socialement, quelle est sa place ?

    MlM : Le Kalaripayatt n’est, pour ainsi dire, pratiqué qu’au Kérala. Il existe néanmoins quelques écoles au Tamil Nadu et au Karnataka.
       Malgré des tentatives de fédérer, organiser, voire uniformiser toutes ces écoles si riches de leurs différences, on ne connaît pas le nombre exact de kalaris ou de pratiquants en Inde. On estime toutefois à plus de 600 le nombre de kalaris.
       Le Kalaripayatt est devenu au cours des siècles, un symbole de tradition et de savoir-faire de l’identité kéralaise.
       Malgré ce statut prestigieux, il devient aussi un art désuet, image du passé médiéval du Kérala. Les jeunes Indiens lui préfèrent aujourd’hui le Karaté ou le Kung-fu (Wu-shu) qui les font rêver depuis les salles de cinéma, qui projettent films bollywoodiens et hong-kongais.
       Aujourd’hui, le Kalaripayatt, qui faisait partie intégrante de l’éducation des jeunes Nayars, est ouvert à toutes les castes et religions. Garçons et filles commencent  généralement la pratique entre 6 et 10 ans. Les filles s’arrêtent souvent de pratiquer au moment de la puberté. Les garçons attendent quant à eux d’avoir 20/25 ans et cessent leur entraînement lorsqu’ils fondent un foyer ou se mettent à travailler.
       Certains passionnés poursuivent leur formation jusqu’à atteindre le plus haut niveau et parfois enseigner à leur tour. On commence aussi à voir dans les kalaris des adultes qui débutent et pratiquent le Kalaripayatt comme « loisir ».
       Les maîtres du kalaripayatt gardent de toute manière un statut privilégié puisqu’ils sont les dépositaires de secrets ancestraux empreints de tradition et de mysticisme.
       Il est à noter qu’ils vivent souvent de la pratique de la médecine ayur-védique et de massages traditionnels et non pas du kalaripayatt.
       Cette voie martiale qui tend aujourd’hui à disparaître se voit flattée de l’intérêt grandissant de pratiquants occidentaux.

  • IR : Dans les grandes lignes, en quoi consiste cet art martial ?

    MlM : Tout d’abord, en Inde, on commence par préparer le corps à la pratique par le biais de massages ayur-védiques typiques du kalaripayatt (kal uliccil). Mais la pratique du Kalaripayatt à proprement parler, commence - après différentes salutations plus ou moins élaborées et variées en fonction des kalaris - par des lancés de jambes : on fait des aller-retours en lançant les jambes l’une après l’autre selon un système de balancier. Cet exercice sert à assouplir le corps et développer l’enracinement et le lâcher-prise, mais il tient lieu aussi d’échauffement. On pratique ensuite des enchaînements tels que les meypayatt (« exercices du corps »), combinaisons de frappes, sauts et déplacements. Un autre exercice permet d’enchaîner les postures, inspirées des animaux (ajta vadivu), mais il existe dans certaines écoles d’autres enchaînements tels que les caïkuttipayatt (esquives, travail du souffle et frappes au sol…), les chumattadi (techniques de défenses et d’attaques répétées dans les quatre directions) ; ou des enchaînements à deux.
       Vient ensuite le travail des armes : bâtons longs et courts, couteaux et dagues (le kattaram, qui se tient comme un « poing américain », la lame dans le prolongement de l’avant-bras), puis enfin le sabre et le bouclier ou la lance. Les écoles de Kalaripayatt travaillent aussi des armes diverses telles que l’otta (arme en bois incurvée à la manière d’une défense d’éléphant), des massues ou des arbalètes, et surtout l’urimi, considérée comme l’arme des maîtres ; c’est une sorte d’épée dont la lame est flexible, sa manipulation difficile la rend très dangereuse.
       Suite à cette formation, à la connaissance et maîtrise des nombreux enchaînements et « combats » codifiés (il n’y a pas vraiment d’improvisation possible avec ces techniques prévues pour tuer), l’élève apprend à « toucher » les points sensibles du corps ; il aborde alors la partie médicinale du Kalaripayatt et apprend à son tour à masser, voire à soigner.


  • IR : Pour des internautes qui peut-être connaissent mieux les arts martiaux d'Extrême-Orient, qu'y a-t-il de comparable entre ceux-ci et le kalaripayatt ?

    MlM : Certains spécialistes racontent que, venant d’Inde, Boddhidarma aurait enseigné un art martial aux moines bouddhistes de Shaolin (Chine), donnant naissance aux nombreuses écoles de Wu-shu, elles-mêmes à l’origine du Karaté ; mais cela reste une légende.
       A mon avis, le Kalaripayatt n’est pas le père de tous les arts martiaux asiatiques. Il est néanmoins une des rares pratiques de combat à avoir été si peu modifiée.
       Comme dans la plupart des « arts martiaux » asiatiques, le Kalaripayatt comporte des « rituels » , salutations au kalari (équivalent du Dojo japonais), au maître, à ses ancêtres, mais aussi aux divinités, d’autre part, le respect qui unit le maître et l’élève est primordial.
       Par ailleurs, on prépare le corps à la pratique et au combat, par le biais d’assouplissements, de sauts, de travail d’endurcissement des avants bras à la manière des Koté-kitaï d’Okinawa et du Kat-sam-sing de la boxe chinoise ; on peut même voir devant certains kalaris des pratiquants travailler sur des palmiers, ce qui n’est pas sans rappeler le « mannequin de bois » chinois ou le makiwara japonais. Cette préparation est renforcée par le travail de la respiration, tantôt silencieux, tantôt sonore, et toujours en relation avec le mouvement et l’énergie.
       Les nombreux enchaînements pratiqués sont aussi une constante dans les arts martiaux d’Extrême-Orient (les fameux Kata japonais et autres Tao-lu, Quyens, Poom-see ou Lanka).
       On retrouve aussi ailleurs (Birmanie, Chine ou Indonésie) la pratique de postures et techniques inspirées des animaux (les zoomorphies). Certaines positions font penser au Zen-kutsu du Karaté ou au Ma-bo du Kung-fu Wu-shu.
       Si certaines armes sont typiques au Kalaripayatt, d’autres se rapprochent d’armes plus connues. La lance, dont le manche est relativement souple, est très proche de celle utilisée dans de nombreuses écoles chinoises par exemple. On retrouve aussi l’utilisation de bâtons, plus ou moins longs, plus ou moins souples et plus ou moins lourds dans presque toutes les traditions martiales. Il faut noter aussi l’utilisation du cottaccan, sorte de « poignée » dépassant légèrement de chaque côté du poing pour frapper les « points vitaux », que l’on retrouve en Pencak-silat et dans l’Arnis philippin.

  • IR : Le kalaripayatt a-t-il une dimension spirituelle ?

    MlM : Aujourd’hui, l’art ancestral et guerrier du Kérala n’a plus une destination guerrière, mais est devenu une méthode de contrôle de soi et d’accomplissement personnel ; c’est aussi une méthode de bien être. Bien que la nécessité d’avoir un esprit prêt à affronter la mort et toutes sortes d’épreuves n’existe plus, le Kalaripayatt conserve une dimension spirituelle certaine. Les exercices pratiqués aident à rendre le corps plus souple, tonifier les muscles et développer l’énergie interne afin de rendre l’esprit plus fort. Le Kalaripayatt n’est pas seulement une méthode d’autodéfense ou un art ancestral, il implique une hygiène de vie, un engagement du corps et de l’esprit. Le Kalaripayatt partage de nombreux principes avec la médecine ayur-védique, mais aussi avec le yoga. La pratique a pour but, à partir de la forme externe, de découvrir la face interne de la pratique et de développer notre énergie subtile et profonde ; or il apparaît difficile, en particulier en Extrême-Orient, de parler d’énergie lorsqu’il s’agit de l’être humain, sans parler de mental et de spiritualité.

  • IR : Peut-on pratiquer le kalaripayatt en France, à la Réunion ? Quelles sont les structures à contacter si l'on souhaite s'initier ?

    MlM : On peut pratiquer le Kalaripayatt en France, à ma connaissance en région parisienne et à Rennes. Des stages sont aussi régulièrement organisés dans d’autres villes, souvent pour un public issu de la danse, du théâtre ou du cirque.
       Pour s’initier en France vous devez contacter :
    - Michel Lestréhan, avec qui je pratique depuis 5 ans, et moi-même à la Cie Prana (11, Av. Chardonnet – 35000 Rennes - +33 (0)2 23 20 09 51) par mail : [email protected] ;
    - Srinivas (Studio One Step, rue Faubourg du temple (Métro :république)) qui est lui aussi un élève de P.K. Balan Gurukkal au 06 80 16 71 76.
    - Mais aussi Phillipe Colinet ([email protected]) ou Cécile Gordon (+33 (0)1 48 18 75 66) à Montreuil.
       Quant à la Réunion, je n’ai aucune information concernant ce qu’il y existe, mais ce serait avec plaisir que nous nous déplacerions pour enseigner et démontrer le Kalaripayatt à la Réunion.

  • IR : Personnellement, quels sont vos projets, vos actions, vos espoirs concernant le kalaripayatt ?

    MlM : Tout d’abord, pour l’année en cours, nous avons plusieurs stages de prévus, dont deux avec M.R.Reghu (assistant de P.K.Balan Gurukkal en Inde) à Rennes (35) et à Granville (50), ainsi que des interventions au centre Tapovan à Paris.
       Nous aimerions aussi lancer une démonstration de Kalaripayatt avec des pratiquants indiens et français que nous pourrions présenter par exemple lors des différents spectacles d’arts martiaux qui se multiplient en France.
       Nous souhaitons aussi animer des séminaires autour de la pratique de l’Uliccil à partir de cette saison.
       Cet été, nous allons à nouveau nous former en Inde (Michel Lestréhan s’entraîne tous les ans plusieurs mois en Inde depuis de nombreuses années).
       Nous espérons que le Kalaripayatt ne soit plus un art inconnu, qu’il se développe sans perdre de son essence et qu’un intérêt grandissant de la part d’occidentaux puisse permettre à cet art de survivre en Inde où le désintérêt des jeunes rend son enseignement difficile.

 

Haut de page


   

Retour à la page précédente

SOMMAIRE