Ravi Govender
Un artiste hindou sud-africain
Par Florence Callandre (texte et photographies)
Entretien en anglais et traduction de Florence Callandre

   Florence Callandre, bien connue dans le milieu indo-réunionnais pour son ouvrage de référence, Koylou, et interviewée par Indes réunionnaises en octobre 2003 (voir cette page) nous propose un article sur un intéressant artiste venu à la Réunion il y a quelques semaines.
   A ne surtout pas manquer : la galerie commentée...


      Ravi Udhandan Govender est né le 10 avril 1966 dans le Kwazulu-Natal, comme la petite fille du Mahatma Gandhi, Mme Ela Gandhi[1], qu’il a accompagnée à la Réunion à l’occasion du 137ème anniversaire de la naissance du Mahatma. Tous deux ont été invités par les associations « Oubli pa nout tradisyon tamoule » dont le Président est Jean-Luc Singaïny[2]de Saint-Gilles-les-Hauts, et « Maha badhra Kali » représentée par Julien Ramin de Saint Pierre ainsi que le « Comité pour la coopération » créé par Alain Mardaye du Portail.
   Dans ses conférences, Mme Gandhi a développé trois points importants concernant la philosophie de son grand-père qu’elle attribue d’ailleurs surtout à sa grand-mère, l’épouse du Mahatma, disant que Mohandas Gandhi, jeune, était possessif et jaloux et interdisait à sa femme de voir qui elle voulait. Elle aurait toujours résisté à cette forme de domination et d’après sa petite fille serait plus encore que son mari, à l’origine de la résistance passive aussi bien qu’ active, images de proue de la philosophie de M. Gandhi.
   Le premier point développé concernait la diversité dans la tolérance allant de la tolérance du phénotype, l’aspect physique, jusqu’à la tolérance culturelle et religieuse. « Mais cette tolérance-là ressemble à accepter l’autre sans aucune joie », dit-elle. Le deuxième point ajoutait que la tolérance devait être liée au respect. Et le troisième point soulevait l’idée de faire la différence entre ce qui est tolérable et ce qui ne l’est pas.
« Tolerance must go with respect. We should distinguate what is just and what is unjust. Nevertheless, we have to discriminate what we tolerate and what we can’t tolerate. »

 
Ravi Govender et Ela Gandhi devant la Chapelle Pointue.   

 

  
 

   Les racines de Ravi Govender se trouvent au Tamil Nadu. Ses grands parents se sont installés en Afrique du Sud vers 1860, mais ce qui compte le plus pour lui, c’est le Kwazulu-Natal, son pays, dit-il.
   Il a commencé à dessiner à l’âge de trois ou quatre ans : « Maman m’avait donné une feuille de papier, un crayon et un magazine, ‘Farmers weekly’. Ce magazine contient beaucoup de photos d’animaux. Je ne pense pas que Maman imaginait que j’allais copier les écritures plutôt que les images. Elle devait s’attendre à ce que je dessine… Quand elle est revenue, j’avais reproduit un animal, si bien que Maman a cru que je l’avais décalqué (I drew it and she thought I traced it) ; elle doute de moi, toujours aujourd’hui encore, d’ailleurs. N’en croyant pas ses yeux, elle m’a demandé de le refaire devant elle, et je lui ai répondu qu’on ne pouvait pas refaire deux fois le même dessin. À l’âge que j’avais, je lui ai répondu ça. C’est sûrement pour cette raison qu’elle ne me croit toujours pas aujourd’hui. ‘Farmers weekly’ proposait beaucoup de photos d’animaux, j’avais néanmoins une préférence pour les chevaux. »
   Ensuite, dès l’école primaire, R. Govender s’est tourné plutôt vers la peinture que vers le dessin. Puis il a mené plusieurs cycles d’études, dont un cycle d’arts avec un spécialiste des temples hindous, Tom Matthew qui appréciait vraiment son travail, dit-il, comme étant celui d’un artiste accompli.
« He commited a suicide and I missed him a lot. » Il a étudié aussi puis enseigné l’anglais et l’afrikaans.

 
 


R. Govender réalisant "fusion" dans la Chapelle Pointue. (Gouache sur textile 45 X 40)

  

Ravi Govender peint des symboles religieux sur des ciels nuageux, des atmosphères lourdes, chargées. Des tridents (trisoula) de la trinité hindoue (trimurti), des silhouettes diaphanes méconnaissables, au premier plan des toiles, comme pour malgré leur anonymat, bien marquer leur présence. La beauté des paysages sud-africains et une forte sensibilité spirituelle lui inspirent ses productions picturales qui portent d’ailleurs souvent le nom de « spiritual landscapes ».
   Jean Barbier, conservateur du Musée Villèle, et son équipe ont présenté treize œuvres de l’artiste, de format 45 x 40 cm environ, dans la Chapelle Pointue située à Saint-Gilles-les-Hauts, sur l’ancienne propriété de Mme Desbassayns. Ils ont partagé les toiles en deux parties : l’aile Ouest présentait les toiles aux dominantes de bleu, jaune et dérivés, celle de droite, l’aile Est était celle des toiles aux dominante de bleu, de rouge et tons dérivés plus chauds…
   Ce samedi 7 octobre 2006, R. Govender a réalisé dans cette chapelle pour la première fois une peinture sur toile.
« It’s the first time, I paint in a catholic church. » Quand je lui ai demandé quel titre il pensait donner à sa toile, il m’a répondu : «Why not ‘ fusion ‘ like the Reunion’s mixed society ? »  Cette production était plus colorée que ses treize toiles exposées autour de lui. Il pense que les couleurs du chariot malbar (tèl) de la Chapelle La Misère de la veille, lors de la procession en l’honneur de Gandhi, lui ont inspiré cette nouvelle réalisation polychrome. Jean Barbier trouve quelque similitude entre les fleurs placées sous la stèle de Saint Michel, dans la chapelle, et cette nouvelle toile.

 
 

   « It doesn’t matter to paint in a catholic church. What is important is to communicate with the divin, I feel spirits everywhere here around us. » précise l’artiste. Au cours d’une pause, il m’a montré une des photos réalisées la veille dans cette chapelle, sur son appareil numérique. On voyait un homme baigné d’une lumière blanche, éblouissante, comme un fantôme surgi de nulle part. Le « fantôme » se tenait juste au-dessus de la plaque de marbre de la tombe de Mme Desbassayns. Et ni Jean Barbier ni lui-même ne s’expliquaient ce phénomène. La représentation fortuite de ce fantôme est d’autant plus troublante que la tradition orale rapporte que lors d’un orage, le marbre du caveau placé sous la chapelle se serait fêlé et qu’une âme serait passée par cette fissure pour monter jusqu’au « pointu de la chapelle » et rejoindre les diables de l’Enfer du Piton de la Fournaise, le volcan réunionnais, actuellement très actif.
   R. Govender est déjà venu à La Réunion, invité par le musée Stella Matutina auquel il a offert deux toiles dont un « spiritual landscape ». Cette fois, à Saint-Gilles-les-Hauts, sa fonction n’était pas seulement culturelle. Il semble qu’il était là aussi pour veiller à la sécurité de Mme Ela Gandhi. Il n’était pas pour autant un « garde du corps »[3] ordinaire, puisqu’il a participé au cycle de conférences programmé à la Chapelle La Misère, le samedi 7 octobre 2006 à 17 heures, pour diffuser et commémorer la philosophie du Mahatma Gandhi, de Martin Luther King et celle de Nelson Mandela. Son éventail d’actions était bien chargé, à l’image de la citation de Martin Luther King qu’il a énoncée lors de son intervention ; « No pain, no gain. »
   On peut se dire qu’une conférencière, philosophe partisane de l’idéologie de son grand-père, à savoir la tolérance, la résistance au racisme et à l’exploitation, n’a pas besoin de garde du corps, mais ce serait oublier que le Mahatma Gandhi a été assassiné le 30 janvier 1948, qui plus est par un hindou…
   Ce dimanche matin, 8 octobre 2006, Ravi Govender a vérifié les alentours de la chapelle pendant que Mme Gandhi saluait les personnes qui allaient participer avec elle au débat. Il a fait la même chose avant qu’elle ne quitte la chapelle pour remonter dans la Mercedes blanche qui devait la conduire à Saint Pierre avec Daniel Tévanin-Singaïny, le « prèt tamoul », fondateur et servant de la chapelle la Misère, pour l’inauguration d’une nouvelle stèle à la mémoire du Mahatma. Pendant l’intervention d’Ela Gandhi, il a photographié à nouveau les personnes présentes.
   R. Govender présente la carte de visite suivante : « Deputy Manager, Corporate Strategy & Executive Support of Department of Arts, Culture & Tourism of Kwazulu-Natal.» Il est également dit-il, l’ancien conservateur du musée de Durban. Même si sa fonction principale est celle d’attaché culturel dans le gouvernement du Kwazulu-Natal, collaborateur du Ministre des Arts, de la culture et du tourisme, on pourrait dire que Ravi Govender représente la version « non-violente » de la protection rapprochée d’une personnalité, qu’il est un peintre de la communication avec l’au-delà ainsi qu’un prédicateur de la force de l’âme…
   L’entretien qu’il a bien voulu m’accorder nous permet de découvrir la complexité des fonctions d’un artiste qui malgré son foisonnement est en définitive cohérente. L’artiste met sa peinture au service de la philosophie de la « non violence » et de la religion, et son idéalisme au service de la démocratie.
   Les échanges entre les personnes qui ont participé aux conférences d’Ela Gandhi ont fait progresser l’interculturalité en faisant se rencontrer la non-violence du Mahatma, et le modèle réunionnais du dialogue des cultures.

 

[1]
ACCUEIL CHALEUREUX POUR LA PETITE-FILLE DU MAHATMA
Éla Gandhi salue le métissage culturel réunionnais

Publié dans l'édition du samedi 7 octobre 2006 de « Témoignages » (page 11)

 L’ancienne parlementaire de l’ANC en Afrique du Sud participe aux côtés de l’artiste sud-africain Ravi Govender aux manifestations organisées à La Réunion par plusieurs associations pour célébrer le 137ème anniversaire de Mahatma Gandhi.

   Arrivée hier en fin d’après-midi à Gillot, Éla Gandhi a été accueillie chaleureusement par plusieurs dizaines de personnes rassemblées dans la cour de Jean-Claude Brimbel à la ZAC Foucherolles du Moufia. La conférencière et petite-fille de “La Grande-âme” (Mahatma) était accompagnée de Ravi Govender, collaborateur du ministre des Arts, de la culture, de l’éducation et du tourisme du Kwazulu Natal, conférencier, ancien conservateur au musée de Durban et artiste peintre.
    Les deux personnalités sud-africaines ont été saluées par les représentants des trois associations qui ont organisé leur venue à La Réunion : Alain Mardaye pour le Comité pour la Coopération, Lupin et Daniel Singainy pour Obli pa not tradition tamoul Villèle, et Julien Ramin pour Maha Badra Karly de Saint-Pierre. D’autres Réunionnais leur ont également souhaité la bienvenue : Henri Chane-Tèf, Vice-président de la Fédération des associations culturelles chinoises de La Réunion, et Gino Ponin-Ballom, représentant du Conseil général.

Pour une société harmonieuse

Tous ces Réunionnais ont rendu hommage au combat de Gandhi pour la liberté et contre toutes les injustices. Ils ont souhaité que notre île s’inspire toujours davantage de sa philosophie en construisant une société harmonieuse et solidaire, bannissant toutes les formes d’inégalités et de communautarismes.
   Éla Gandhi a exprimé son bonheur d’être à La Réunion. Elle s’est présentée avant tout comme une militante au service des idées de son grand-père.
"En effet, dit-elle, quand on voit toutes ces violences dans le monde actuel, on se rend compte que l’humanité est menacée". C’est pourquoi la militante des droits humains se bat pour promouvoir partout les grands principes de Gandhi, comme la “Satyagraha” (non-violence). Ce sera d’ailleurs l’un des thèmes de ses conférences.
   La militante politique - depuis l’âge de 12 ans, elle a combattu le régime de l’apartheid dans son pays - a également prôné le respect de la diversité culturelle dans le monde et la recherche de l’unité. Dans cet esprit, elle a salué
"le métissage culturel réunionnais, qui peut servir d’exemple dans le monde". L. B.

 

Rappel du programme

o Samedi 7 octobre :

- 7 heures : Installation du peintre Ravi Govender et exposition.
- 17 heures 30 : Conférence débat par Éla Gandhi et Ravi Govender sur “Gandhi’s idea of Satyagraha” et “Gandhi and Martin Luther King the champions of non violence” à la Chapelle la Misère de Villèle. Traduction française assurée.

o Dimanche 8 octobre

- 7 heures 45 : Ouverture par Éla Gandhi de la conférence-débat sur la tolérance, avec des intervenants réunionnais.
- 9 heures 30 : Inauguration de la stèle de Mahatma Gandhi à Saint-Pierre (intersection des rues Mahatma Gandhi et Albert Luthuli).
- 18 heures : spectacle Mélanz Nation à Villèle.

o Lundi 9 octobre

- 15 heures : Exposition de Ravi Govender au Conservatoire national de région (CNR) à Saint-Pierre.
- 17 heures 30 : Conférence-débat avec Éla Gandhi et Ravi Govender au CNR de Saint-Pierre sur “Gandhi’s idea of Satyagraha” et “Gandhi and Martin Luther King the champions of non violence”.

[2] Jean-Luc ou « Lupin » est également le sculpteur de la statue de Gandhi placée devant la chapelle à l’occasion des conférences.

[3] La protection du pape Jean-Paul II était assurée par un cardinal.

 

Galerie commentée

                             
              
                             
         
   

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