|
|
IR :
Vous avez publié en français un recueil de contes et un recueil de chansons
folkloriques de Pondichéry : quelles sont les caractéristiques et les
particularités de cette culture populaire pondichérienne ? Est-elle toujours
dynamique dans ce monde en évolution accélérée
? SM :
Trois livres ont été publiés : Contes et
Légendes de l’Inde, en 1985 (1),
Contes tamouls de Pondichéry, Inde du Sud, publiés par Karthala,
Paris, en 2003 (quelques-uns de ces contes ont eu le Prix d’Honneur de
Provence ; la maison d’éditions ne m’a pas encore payé le droit d’auteurs),
Les Chansons folkloriques de Pondichéry, en 1995.
Comment ai-je mis les pieds dans ce champ culturel ?
Une maison d’éditions a demandé à plusieurs personnes une traduction en
tamij du Petit Prince. La mienne a été choisie comme étant la
meilleure… Le Proviseur du Lycée Français de Pondichéry, M. D’Aquino, tout
aussitôt m’a chargée d’écrire un livre de contes tamijs en textes bilingues,
le premier livre tamij à visée pédagogique pour les élèves de Pondichéry qui
étaient bilingues. C’était un travail collectif. La maison
d’éditions Fleuves et Flammes, qui avait publié ce genre de travail avec les
contes de certains pays, s’est chargée des frais de la publication. Ce
Proviseur avait prévu un tome II (2).
Ce deuxième ouvrage fut le fruit d’un travail personnel.
Ce sont des contes que j’ai écoutés et enregistrés. Les conteurs étaient des
gens bien instruits. La poésie des poèmes antiques et celle des proverbes y
figurent. Il en reste encore (3)…
Les chansons folkloriques : c’est mon premier livre dans ma
collection du folklore. Il a été imprimé à mes frais. Voici le début de
l’introduction, assez élaborée d’ailleurs, qui figure dans le livre :
« J’étais encore au Lycée (1957) lorsqu’un exercice scolaire qui
nous demandait de traduire des berceuses tamoules que nous aurions
recueilles nous-mêmes m’a révélé le monde de la chanson. Je n’ai pas cessé
depuis lors de l’explorer, bénéficiant d’ailleurs de tout un travail qui
était entrain de se faire dans le Tamill nātu. Je n’étais pas la
première à découvrir ce fonds culturel si riche et si divers : des
anthologies en étaient publiées, des essais en traitaient, des étudiants
partaient à la chasse aux chansons avec leurs magnétophones, la radio
diffusion en récoltait région par région et faisait des émissions; le cinéma
les pillait avec plus ou moins de bonheur… Heureux mouvements de collecte,
de conservation et de divulgation d’un héritage, ici comme ailleurs,
gravement menacé et plus ou moins en voie de disparition ; car si nombreux
qu’ils soient, tous ces travaux de collecte sont limités et sporadiques ; et
des milliers de chansons de tous genres n’ont pas été recueillis, soit
qu’elles n’aient pas eu l’occasion d’être entendues, soit qu’on les ait
trouvées trop longues ou au contraire incomplètes et incohérentes, soit que,
enfin, elles soient déjà tombées dans l’oubli comme les chansons à piler les
gains…
Il restait donc beaucoup à faire et il me semblait d’autre part que cet
héritage de la culture populaire méritait aussi d’être connue hors de
l’Inde. S’il existait des traductions anglaises, il en existait assez peu en
français et c’est pourquoi au gré de mes lectures, de mes auditions et de
mes découvertes, je m’exerçais à en traduire dès 1961. J’avais publié
quelques berceuses dans le Trait-d’Union (journal publié à Pondichéry
en français qui a déjà l’âge d’un cycle indien : 60 ans), sans but précis un
peu comme hobby. »
Pour finir avec cette présentation, il
faudrait que je cite un personnage qui a travaillé avec moi comme dans les
coulisses, qui m’a lancée dans ce monde. C’est mon professeur de français,
Mme Marguerite ADICEAM, qui m’a stimulée en partant des berceuses.
Après cette présentation, je passe à la
collecte des chansons folkloriques tamijs.
Les caractéristiques de ces chansons sont d’abord différenciées par les
chanteurs. A vrai dire, tout le monde savait chanter (même maintenant, mais
c’est plutôt les chansons de cinéma) : les chanteurs que nous appellerons
bénévoles, qui chantent pour le plaisir, et les chanteurs professionnels
auxquels viennent s’ajouter les chanteurs de propagande politique. Il y a
des chansons de hautes castes qui sont souvent savantes et recherchées dans
les cérémonies, et de basses castes qui forment le vrai prolétariat.
Les gens de basses castes, après une journée harassante, le repas pris et
la ration d’alcool ou callou (jus fermenté de spathe de cocotier), les
hommes s’assemblent et chantent. L’on chante aussi en travaillant sur les
chantiers, dans les champs, seul ou en groupe… Les chansons sont diverses
suivant les métiers. La pêche, la picote, les marchands… toutes ces
dernières sont dans mon livre des Chansons folkloriques de Pondichéry.
Il faudrait ajouter que la grammaire la plus ancienne, de l’époque sangam,
nomme ce genre de chansons le pannatti. Depuis IIe siècle av. JC
jusqu'à l’époque contemporaine, ces dernières existent et on peut deviner
leur potentialité. Le cinéma est ou a été néfaste à ces dernières, qui sont
maintenant en voie de disparition
Il faudrait ajouter encore les chansons de la politique car, à
Pondichéry, il y a eu un gouvernement français et une lutte pour
l’indépendance… Le prolétariat s’en est servi avec plein d’ironie et aussi
d’obscénité. L’érotisme également se glisse partout. C’est ce qui va faire
les particularités des chansons de Pondichéry. C’est ce qui fait les
particularités des chansons folkloriques pondichériennes.
« Le témoin est un menteur
Le magicien est un menteur
L’astrologue est le plus gros menteur – ô Tankam( apostrophe à une femme =
l’or)
Le Pouçari (le brahmane qui fait les poudjas) est un menteur
Le poète est un menteur
L’Accâri (le précepteur spirituel) est un menteur qui ne se soumet pas. »
Cet extrait d'une chanson
folklorique suffit pour comprendre qu’un chanteur ne craint pas d’exprimer
la vérité ou sa pensée Je termine cette partie en évoquant une particularité
d’un chansonnier pondichérien.
Toute chanson commence par une invocation à Ganesh. Voici ce que
dit un chanteur villageois :
« Je ne sais pas chanter
Je ne suis pas instruit.
Je ne sais pas ce qu’est une école.
Viens t’installer sur ma langue
Et conduis-moi. »
Voici ce que dit un chanteur villageois :
« Je sais la chanson à fond.
Je sais bien la prosodie.
Si dans ta chanson la rime fait défaut
Tu écriras dans ma langue d’au fond
Je sais la lettre gravée sur la feuille (de palme)
Tu écriras dans ma langue.
Si je chante juste, c’est mon talent
Si je chante faux c’est toi qui en est le responsable. »
Cette exploration du folklore
tamij n’a pas de point final. Car la traduction du Roman de Sujatha, LES
FLEURS CENBAGAMS SUR TOUTE LA RIVE , n’est qu’une continuité.
(1)
J’avais commencé la collecte des contes en
pensant au tome II. Le fruit a été les contes tamijs de Pondichéry, publié
en France. Ce fut mon livre des Contes tamouls de Pondichéry.
(Retour au texte).
(2)
Une somme a été confiée au Proviseur pour les
auteurs et pour l’artiste. Le livre a été imprimé, mais nous n’avons rien
reçu pour ce labeur. Comme il n’y avait pas de contrat écrit, on n’a rien
pu faire pour réclamer nos droits d’auteur. Ensuite, les proviseurs sont des
oiseaux migrateurs qui ne reviennent pas. (Retour
au texte).
(3)
Cette impression également ne m’a rapporté aucun
bénéfice pécuniaire. C’était aussi un abus de confiance en flagrant délit de
la part de la maison d’éditions, très prestigieuse, Karthala. (Retour
au texte).

|