Le karmon ou carnaval tamoul


  Le karmon, appelé aussi carnaval malbar, se perpétue principalement à Saint-Louis, actuellement dans deux temples différents (au Gol et à l'Etang-du-Gol) ; il est du reste prévisible qu’il connaisse un regain d’intérêt, ne serait-ce qu'en raison du dynamisme engendré par le renouveau culturel tamoul et l'envie de retrouver racines et traditions, ou, de façon moins avouable, pour les petits bénéfices pécuniaires qu’il peut engendrer !... Le karmon puise ses racines dans une tradition villageoise du Tamil Nâdu : le kamandi ou kaman pandigaï.

   Au cours d’une fête profane qui peut durer quinze jours, à partir de la nouvelle lune, en période pascale, on installe un arasânikâl, symbole de mariage, planté en terre. Autour de celui-ci vont danser tous les soirs une jeune fille et un jeune homme : Karmon (ou Malmoudènn, dont le nom vient du tamoul Manmadhan) et Laadi (ou Rady), fille de Shiva. Ils seront bientôt rejoints par une troupe de personnages déguisés et masqués, représentant les invités du mariage.

   La danse elle-même est de forme élémentaire et, pour les "invités", se traduit surtout par des courses circulaires chaotiques accompagnées de contorsions et de coups de sifflets, le tout sur fond de percussions traditionnelles. Pour qui a assisté à des manifestations carnavalesques en pays créole, il y a là de frappantes ressemblances. Un récitant intervient de temps à autre pour rappeler les épisodes la légende sur laquelle est fondée le karmon.

   Le dernier soir, le feu sera mis à l’arasânikâl au moyen d’une corde descendant d’un édifice voisin, sur laquelle glissera une figurine enflammée : évocation d’un épisode mythologique au cours duquel Shiva (ici sous le nom d’Isplin), tiré de sa méditation par le jeune marié, incendia ce dernier de son regard. La danse durera toute la nuit, les personnages masqués symbolisant désormais les maux et mauvais présages, l’approche du chaos. Au matin, on part en procession vers les eaux purificatrices de la rivière, afin de restaurer l’ordre cosmique. La jeune veuve sera noyée... Plus tard le couple ressuscitera, ce que symbolisera l'acte de verser, sur le bûcher refroidi, du miel et du lait au lendemain de la noyade de Laadi.

   Le mot karmon vient de Kâma, le Cupidon hindou, fils de Vishnou et Lakshmî.  Florence Callandre (a) évoque avec précision cette fête et la légende qui la sous-tend (Extrait sonore et version de la légende). Il faut préciser que cette coutume est l'héritière directe d'une fête hindoue appelée Holi dans le nord de l'Inde et Kâmadahana dans le sud. Comme pour toutes les fêtes hindoues, il existe des explications variables aux origines de Holi et de Kâmadahana. Holi fut à l'origine une fête de la plus basse des quatre castes, celle des shudras (paysans). Une des légendes fondatrices prétend que Holi tire son nom du démon Holika qui, ayant pris une forme féminine, voulut tuer l'enfant Krishna en le nourrissant de son sein enduit d'un produit intoxicant. Bien évidemment, l'enfant divin triompha du démon. Une autre légende affirme que Holika terrorisait une région - indéterminée - en enlevant et dévorant les enfants... jusqu'au jour où il fut capturé et brûlé.
   Une autre légende enfin, la plus célèbre, est relative à une Holika, sœur du roi démon Hiranya Kashyapu... qui avait un fils, Prahlada, dévot de Vishnu. Le père de Prahlada, jaloux de la dévotion de son fils, voulut le tuer avec la complicité de Holika : protégée par un pouvoir contre le feu, celle-ci devait entrer dans un brasier en tenant Prahlada dans ses bras pour le faire périr. Mais le pouvoir de Holika, utilisé de si méchante façon, ne la protégea pas des brûlures fatales... tandis que Prahlada sortit indemne du brasier !
   Chez les Tamouls, la fête de Kâmadahana repose sur le mythe suivant, sensiblement différent de la version qui sous-tend le carnaval tamoul réunionnais : la fille du roi des Himalayas, Pârvati, faisait pénitence pour obtenir la main du Seigneur Shiva. Celui-ce, de son côté, méditait profondément, insensible au monde extérieur. Le dieu Kâma voulut aider Pârvati et décocha sa flèche contre Shiva. Celui-ci, dérangé dans sa méditation, ouvrit son terrible troisième œil qui incendia Kâma se tenant face à lui. Depuis lors, Kâma n'est plus qu'un esprit immatériel. Shiva épousa ensuite Pârvati...

   L'esprit carnavalesque existe bel et bien dans la tradition indienne elle-même : on célèbre Holi en aspergeant les voisins et les passants d'eau colorée ou  de poudre rouge (couleur de l'amour charnel), certains boivent de l'alcool ou consomment du cannabis, pour mieux renverser les barrières sociales, les oppositions de castes, d'âges, de sexes, de fortunes sont oubliées le temps de la fête... qui se situe au moment où débute en Inde le printemps, le renouveau des forces vives et de la fertilité.
   Mais il existe aussi, bien sûr, une dimension spirituelle - il est vrai oubliée de la plupart des gens ! Le feu qui brûle Kâma ou Holika est un symbole du yajna, le sacrifice rituel hindou : il s'agit de sacrifier les désirs physiques à la flamme purificatrice de la spiritualité qui brille au fond de notre âme.

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(a) Dans son livre Koylou.

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