On a longtemps eu lhabitude, à la Réunion, de différencier les "chapelles" hindoues, populaires, des "grands temples", plus tôt touchés par lévolution actuelle vers les pratiques de la caste brâhmanique apportées par les prêtres de Maurice et de lInde. Cette distinction, aujourdhui, nest plus forcément pertinente, même si lon peut retenir quelques traits particuliers.
Dans la répartition géographique tout dabord : les six "grands temples" de lîle se situent dans les principales villes du littoral : Saint-Denis, Saint-André, Saint-Benoît, Saint-Pierre, Saint-Louis et Saint-Paul. Les "chapelles" au contraire sont, à lorigine, essentiellement rurales, même si lurbanisation galopante de lenvironnement en a déjà rattrapé bon nombre.
Autre différence visible : les dimensions, souvent beaucoup plus modestes dans le cas des "chapelles", même si lenrichissement de certains propriétaires a permis récemment des constructions ou réfections imposantes. La disparité des pratiques cultuelles tend aussi à samenuiser, mais il apparaît que les sacrifices danimaux et les marches sur le feu nexistent plus désormais dans les grands coïlous urbains, alors que ceux-là et surtout celles-ci restent des moments essentiels dans la vie des "chapelles".
Lévolution des styles architecturaux et décoratifs conduit à une toute relative uniformisation. On sefforce, de nos jours, à bâtir ou rebâtir selon les canons quasi sacrés des shâstra, traités techniques des plus anciens. On sinspire plus précisément des modèles, drâvidiens, de lInde du Sud. Cest ainsi que lon voit de plus en plus fréquemment sélever dans le paysage réunionnais la silhouette caractéristique des gopuram. Il sagit de ces portes monumentales surmontées de plusieurs étages dégressifs richement sculptés et peints de couleurs vives : une représentation de la montagne divine, le Kaïlash, et de ses immortels habitants. Lorientation, le plan même des édifices récents, les dates choisies pour les travaux... retrouvent des principes anciens, complexes et symboliques : le temple entretient un rapport de communication et de représentation avec les mondes humain et divin, avec le cosmos. Cest ainsi par exemple que, dans sa forme la plus "classique", le temple et ses abords sont une enfilade conduisant des "pieds" - en principe le gopuram - à la "tête" - le sanctuaire abritant le dieu principal.
Sans doute les humbles chapelles construites par les premiers engagés, dans une sorte durgence religieuse, étaient-elles loin de respecter ces lois connues des seuls spécialistes - spécialistes que lon fait venir aujourdhui de la terre ancestrale. Les Malbars pendant des décennies ont bâti, agrandi et rebâti sans se fonder sur autre chose que leur foi et leur propre esthétique, façonnant ainsi un patrimoine culturel original que lon peut craindre de voir disparaître. Ce qui est certain, cest quils ont su spontanément retrouver le rôle fondamental du temple dans leur religion : celui dabriter, dans un saint des saints (a) modeste ou luxueux, les représentations des dieux, autant dire les dieux eux-mêmes. Car telle est bien la fonction essentielle du temple hindou qui, contrairement à léglise par exemple, nest pas conçu originellement comme un lieu de rassemblement pour les fidèles.
Remarquons toutefois quà la Réunion, peut-être sous linfluence des autres religions en présence, le principe de lassemblée lemporte de loin sur celui de la fréquentation individuelle, probablement plus répandu en Inde. Les Indo-Réunionnais vont au temple presque exclusivement pour des cérémonies, qui rassemblent des foules plus ou moins nombreuses. Bien souvent cest à lextérieur que lon est obligé de se regrouper, rares étant les construction comprenant un mandapa (b).
Les représentations et symboles des divinités (c) ainsi que les accessoires utilisés pour le culte relèvent de deux esthétiques. Lune que lon peut qualifier de populaire et qui prend par exemple la forme de peintures murales dun style, expressif, rappelant parfois les peintres naïfs. Lautre plus "académique" puisque conforme aux règles traditionnelles hindoues : cest le cas des statues importées directement de lInde. Cest dailleurs de ce même pays que viennent régulièrement les artisans actuellement chargés de la réfection de nombreux coïlous.
Bien des "chapelles" ne prennent vie quoccasionnellement, en fonction des marches sur le feu ou autres cérémonies qui sy déroulent au cours de lannée. Le poussari officie alors à la façon de ses aïeux, procédant notamment aux pûjâ, dont nous reparlerons. Dans les autres temples au contraire, les six principaux en particulier, un prêtre attitré, indien ou mauricien, accomplit quotidiennement son sacerdoce à partir de quatre heures du matin : préparation et purification personnelles, salut au Soleil ph88, culte à Ganesh - le dieu qui lève les obstacles - offrandes aux dieux que lon nourrit, que lon baigne et que lon orne, réception des fidèles qui se présentent... toute une série dactes consacrés qui se succèdent jusqu'à la fermeture des portes et à lextinction des lumières électriques, tandis que le sanctuaire restera éclairé par la flamme des seules lampes à huile, toute la nuit.
Quest-ce donc que la pûjâ ? En sanskrit, le mot signifie à peu près offrande, vénération, adoration. Il sagit dun complexe et antique rituel qui consiste à rendre perceptible par les sens la divinité qui sans cela leur est inaccessible. La mûrti, matérialisation du dieu ou de la déesse par une image ou une statue, est lobjet dun culte animant les sens, lesprit et les énergies de lêtre. Le prêtre use de ce qui est en lui et de ce qui lui est extérieur. Le pouvoir du contrôle du souffle, celui des mudrâ et des mantra, des éléments naturels... sont éveillés. Le rôle des accessoires et des ingrédients est impressionnant : objets de bronze (lampes à huile, brûloirs, mani...), parfums de camphre (karlpoulon) et dencens (samblani), cendres sacrées, fleurs et feuilles (de bétel, de basilic, de manguier...), aliments des hommes et des dieux (lait, ghee, miel, fruits, riz...)... chaque chose joue un rôle précis et efficient. Et si le fidèle ne saisit pas forcément le sens de chaque rouage de ce mécanisme sacré, au moins peut-il être sensible à sa beauté particulière.
Outre les temples et chapelles dont le nombre total doit largement dépasser la centaine, quatre ashrams sont aussi présents à la Réunion, lun au Port, deux autres à Saint-Louis et le plus récent à Sainte-Suzanne. Si leur architecture noffre pas les traits frappants caractéristiques des coïlous - il ne sagit finalement que de "cases" ("maisons") aménagées - que lon ne sen étonne pas : il faut y voir une volonté de sintégrer dans le "paysage" réunionnais. Un ashram est surtout un lieu de méditation, à comparer aux monastères occidentaux. On peut aussi sy instruire (en sanskrit, musique ou religion...), voire y être hébergé. Lashram du Gol à Saint-Louis est également le siège la Maison de lInde, avec notamment un fonds dinstruments de musique, statues, peintures et bibliothèque. Chaque ashram vit autour de la personne de son swâmî, un renonçant (d)... ou une renonçante, ayant suivi une formation en Inde et dont un des rôles doit être de montrer la voie spirituelle à ceux qui sen remettent à lui.
Appelons seulement de nos vux le jour où, transcendant le poids dhabitudes bien ancrées, Swâmîs, prêtres et poussaris sauront ensemble sengager dans laction harmonieuse et féconde que laissent entrevoir les enseignements les plus généreux de leur religion.
PHOTOSA lire aussi, l'interview de Florence Callandre, auteur de Koylou.
(a) Le monestarlon (voir aussi dans le lexique).
(b) Salle à colonnes prévue pour accueillir l'assemblée des fidèles.
(c) Voir le "Gros plan" consacré à ce sujet.
(d) Sannyâsin en sanskrit.
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