nfin me reprocherait-on, sans doute, de
laisser ce chapitre se refermer sans que quelques lignes au moins y aient été
consacrées à ce qui a fait la part la plus internationalement connue, la plus attrayante
de lhindouisme aux yeux de beaucoup : sa spiritualité. Encore faut-il, je crois,
distinguer spiritualité et religion. Si la seconde se fonde sur une foi partagée et sur
des pratiques rituelles souvent collectives, la première est avant tout affaire de
discipline individuelle fondée sur des méthodes millénaires. On ne saurait toutefois
tracer de frontières entre mondes religieux et spirituel. Le but ultime nest-il
dailleurs pas identique: la Libération ?
Les ouvrages consacrés aux méthodes évoquées sont
légion, aussi me limiterai-je à quelques rappels. Nous nétonnerons personne en
débutant par la discipline la plus connue : je veux parler bien sûr du yoga. A la
Réunion, les Catholiques les plus méfiants sentent autour de celui-ci une odeur de
soufre ! Par ailleurs, il est souvent perçu, par les Occidentaux en mal de bien-être
facile, comme une simple batterie de postures corporelles et de techniques respiratoires
dont la seule utilité serait de combattre un stress rebelle. Pourtant le yoga - ou
préférablement devrait-on utiliser le pluriel puisquil en existe plusieurs formes,
parfois très différentes - va bien au-delà: il constitue une philosophie ou un art de
vivre, dira-t-on un peu facilement, plutôt la voie dune quête...
Ce quécrit Alain Daniélou
(a)
sur le yoga et une autre des grandes disciplines spirituelles hindoues, le sâmkhya,
constitue un excellent résumé : "Parallèlement au Sâmkhya qui cherche à
comprendre les lois qui régissent lunivers, les secrets de lHomme-Universel,
le Yoga sefforce dexplorer lêtre humain, le microcosme, et de
découvrir, dans cet univers particulier que forme chaque être vivant les application de
ces mêmes lois.
Lhomme ne peut comprendre le monde sans se comprendre lui-même, et
il ne peut se connaître lui-même que par rapport aux structures universelles, à son
rôle, à sa raison dêtre, à sa place dans le jeu de la création."
Ce même auteur cite encore les quatre autres
"Approches", ou moyens de Connaissance spirituelle : dune part le
Vaïsheshika et le Nyâya, démarches à dimensions scientifiques et logiques ;
dautre part les deux Mîmâmsâ, approches intuitives à forte coloration rituelle
et mystique, que lon retrouve par exemple dans le tantrisme. Il sagit dans ce
cas dentrer en contact "avec le monde des puissances subtiles représentant les
divers niveaux de conscience dans la hiérarchie du créé et que nous appelons des
esprits ou des dieux".
Mentionnons enfin les multiples techniques de méditation,
celle-ci ne devant surtout pas être confondue avec la notion de réflexion intense
(signification généralement donnée au mot méditation par les Occidentaux). Au sens
hindou ou bouddhiste, méditer cest principalement acquérir la maîtrise parfaite
de son ego, de manière à pouvoir le dominer et y renoncer. Ne demeure plus alors que la
communion de lâme individuelle - âtman - et du Brahman suprême : on reconnaît
là le chemin vers le but de la Libération ultime. La réflexion, émanation du mental et
donc du moi, nest donc pas à proprement parler une pratique méditative.
Faut-il voir dans la spiritualité un trait
caractéristique de la culture indo-réunionnaise? Probablement pas davantage quelle
ne lest pour nimporte quelle culture de type occidental. Ici comme ailleurs
les cours de yoga ont leur petit succès, et leur "clientèle" nest guère
différente, tant pour ce qui est du profil que des motivations, de celle que lon
rencontrerait en Métropole. Sans doute les ashrams peuvent-ils constituer des pôles
spirituels, mais remarquons quils sont largement fréquentés par des représentants
de cultures bien diverses, les Malbars nétant pas forcément majoritaires. Restent
les démarches individuelles, engagées et poursuivies dans lombre... On comprendra
la difficulté den parler et de juger de leur poids culturel.
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(a) Dans Le Destin du Monde, d'après la tradition
shivaïte".
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