autre point délicat, source de
polémiques et quil serait difficilement admis de passer sous silence: les
accointances prétendues ou réelles entre les Malbars et la sorcellerie. Cette dernière
a toujours attisé les curiosités et, à la Réunion en particulier, a toujours su, entre
occulte et spectaculaire, conserver une place de choix. Disons-le demblée : il
existe des sorciers malbars comme il en existe de cafres ou de créoles blancs
Le
Pape effectuant un Chemin de Croix lors des célébrations pascales, les flagellants
chiites lors de la fête du martyr Hussein
peuvent-ils, davantage ou moins que les
participants à la "Fête des dix jours", être taxés de sorcellerie ? La
sorcellerie est à la religion "tamoule" ce quelle est aussi à la
religion chrétienne : elles sinterpénètrent, salimentent et se
combattent réciproquement, et si lune ne saurait se situer quen marge de
lautre, il est toujours des individus pour la placer au contraire au centre de leurs
préoccupations ou du débat sur les croyances.
Plusieurs de mes informateurs ont insisté sur un aspect
psychosociologique de la sorcellerie, à savoir son utilisation par certains dans le but
dacquérir ou dasseoir une quelconque autorité, par le biais de
manifestations à même dimpressionner les caractères influençables. Les
manifestations en question sont, pour la plupart, bien connues. Certaines sont
dailleurs dessence vraiment religieuse. Pas question de sorcellerie par
exemple, pour la cérémonie de la marche sur le feu
où daucuns, pourtant,
savent seulement voir la "performance surhumaine" dont se montrent capables les
acteurs
et qui a de quoi frapper les esprits.
Il existe dautres pratiques qui ont plus mauvaise
presse. Cest le cas du "service poule noire". Ici aussi, cependant et
malgré le mystère et les rumeurs qui lentourent, il semblerait que ce sacrifice
dune poule pondeuse noire ne soit quune cérémonie religieuse. Il sagit
dattirer les faveurs et la protection de la déesse Pétiaye
(a)
et du monde des ancêtres sur les enfants de la famille.
Plus proches de la magie sont les différentes formes
dexorcismes et autres rites de purification ou dexpulsion. Lorsque les maux
frappant un individu sont interprétés comme le fruit dune jalousie, dun
envoûtement, du contact avec un objet maléfique, de la possession par une
"bébête"
(b)
il devient nécessaire de recourir à un exorcisme. Celui-ci peut prendre diverses formes,
dont une des plus connues est le "service croisée". Il aboutit à une offrande
nocturne, comportant notamment un poulet, que lon dépose sur un van, à un
carrefour. On ma aussi affirmé que ce "service" se faisait dans
lintention damadouer de malfaisantes divinités féminines résidant aux
croisées de chemins, de même quen Inde on apaise les mauvais esprits des
forêts
Dautres façons de procéder sont plus violentes, comme celle qui
consiste à frapper la personne possédée jusquà labdication du Mal.
Quoi quil en soit, si les Malbars sont peut-être les plus renommés
pour lefficacité de leurs pouvoirs, ils nont pas le monopole de la magie,
nous lavons dit. Malbars sorciers, tisaneurs, devineurs et autres guérisseurs font
parfois trop oublier une religion dune richesse, dune profondeur extrêmes. On
comprend en tout cas que les promoteurs du "renouveau tamoul" déplorent que
lhindouisme local, populaire et de ce fait très marqué par les croyances aux
démons ou autres mauvais esprits, soit entaché dune réputation si peu
avantageuse. Sans doute nuit-elle en effet à ceux qui trouvent ou cherchent dans cette
religion des valeurs autrement nobles et positives. Pourtant, comme me le rappelait un
swami, lhindouisme part de lanimisme des peuples dits primitifs et va
jusquau monisme absolu. Gardons-nous donc de mesurer les errances dautrui à
laune de notre élévation desprit... qui nest en somme quune
étroitesse desprit tenue en meilleure estime !