n septembre normalement, on célèbre
Karli. Cest ainsi quau Shri Maha Badra Karli Kovil de Saint-Pierre on consacre
à la déesse, ainsi quà Durgâ, Lakshmî et Sarasvatî, dix jours de cérémonies.
Lune delles permet même à ceux qui le souhaitent, en cette période de
rentrée, de faire bénir les "effets scolaires ou articles de bureau". Karli
est également la principale déesse pour laquelle on "coupe" le cabri. Ces
sacrifices sont controversés, pour des raisons religieuses, plus ou moins politiques ou
simplement sentimentalistes, par un nombre croissant de fidèles. Ils nen
constituent pas moins un fait traditionnel saillant. (Photo1,
photo2,
photo3,
photo4,
photo5,
photo6,
photo7).
Certains crieront à la barbarie primitive, dautres
répondront par lautorité de la référence védique... Impliqué dans une
civilisation où labattage et léquarrissage du bétail se font à grande
échelle, dans des conditions certes moins spectaculaires - mais dont on pourra douter
sil est possible de juger quelles sont "meilleures" - je me garderai
de formuler ici tout jugement de valeur !
Le
Pongal,
grande fête des moissons du riz en pays tamoul, y dure quatre jours. Lors du troisième,
le bétail est à lhonneur, on décore les bufs et, dans certaines villes, des
combats de taureaux sont organisés. Cest la fête qui marque en quelque sorte le
passage dune année agricole à la suivante. Le Pongal est aujourdhui moribond
dans une île où la base alimentaire favorite est entièrement importée. Ce véritable
"jour de lan" tamoul, début janvier, était jadis la fête majeure pour
lensemble de la communauté ; les grands propriétaires sucriers en prenaient les
frais à leur charge et distribuaient des rations alimentaires améliorées aux engagés.
Puis la célébration plus spectaculaire et valorisante de la marche sur le feu a
supplanté ce qui était un peu devenu localement la fête du maïs. (Photo8).
On observe au contraire un phénomène inverse de
véritable éclosion, récente, pour des célébrations telles que le Mahâ Shivarâtri
(a) et surtout le Dîpavalî
(b).
Cest linfluence des brâhmanes indiens officiant dans les grands temples qui a
en grande partie permis la mise à lhonneur de ces deux commémorations. (Photo9,
photo10).
Comme son nom le laisse deviner, le Shivarâtri est une
fête en lhonneur du Grand Dieu, Shiva. Tel que je lai vu célébré à la
Réunion, il consiste en une nuit de veille, au temple, de la part des fidèles, tandis
que des
pûjâ
se déroulent à plusieurs reprises, ponctuant ces heures nocturnes. Veiller, de la
tombée de la nuit au lever du jour, résister au sommeil, constitue en quelque sorte une
offrande de soi-même, une de ces "promesses" de la réalisation desquelles
dépendent la grâce divine et lobtention dune faveur. Que lon succombe
à lassoupissement, et le carême, dont cette nuit particulière est le
couronnement, perd automatiquement toute efficience.
Sil sagit là dune célébration peu
spectaculaire, toute de dévotion intériorisée, tel nest pas le cas du désormais
fameux Dîpavalî. La Fête de la Lumière, essentiellement familiale en Inde, prend à la
Réunion et plus particulièrement à Saint-André une toute autre tournure. Certains y
verront peut-être laffirmation la plus somptueuse de la vitalité culturelle
tamoule, tandis que dautres déploreront la dérive carnavalesque dune
manifestation "récupérée".
ais il serait faux de croire que la
religiosité de tous les Hindous de la Réunion sévanouit une fois la cérémonie
terminée, une fois franchie la sortie du temple. Si cela est certainement le cas pour un
nombre de fidèles difficile à évaluer, bien dautres, parfois inconsciemment,
vivent assidûment une foi sincère qui trouve quotidiennement des expressions assez
diverses. On est donc loin dune généralisation du "portrait simpliste"
que nous suggérions plus haut (page précédente). (Photo11).
Je ninsisterai pas sur linfluence de croyances
de type superstitieux déjà indiquées. On sait comment elles peuvent se répercuter sur
le comportement ordinaire - de même quun Français moyen évitera de passer sous
une échelle ou de poser une baguette de pain à lenvers - et plus subrepticement,
sur des schémas mentaux plus profonds.
Il me paraît autrement intéressant de souligner, par
exemple, la place déterminante des "promès" dans lexistence de bien des
Indo-Réunionnais, au moins dans certaines périodes décisives de leur vie. La
"promès" ("promesse") est un vu adressé secrètement et
directement à une divinité, une demande, pour soi ou pour un proche, formulée dans
lespoir de la résolution dun problème ou, plus rarement, du bénéfice
dune faveur divine.
Ce véritable contrat moral, comportemental et religieux
va peser, plus ou moins lourdement mais souvent pour des semaines ou des mois, sur la vie
du fidèle. Celui-ci offre à Marliémen, à Karli ou tout autre, une partie de soi-même
en quelque sorte, de ses pensées ou de son temps, de ses biens ou de ses actes. Il noue
ainsi un lien privilégié avec le monde divin, donnant ainsi à la
bhakti,
la dévotion personnelle, une dimension à la fois spirituelle et des plus concrètes.
Donner, offrir à Dieu, cest aussi au sens le plus
noble se sacrifier, conférer à ses actes et à soi-même une dimension plus sacrée. Le
sacrifice peut nêtre quune simple privation que lon simpose,
celle dun loisir apprécié par exemple, ou encore, fréquemment, une privation
alimentaire. Il peut sagir dune offrande effectuée au temple : des fruits, un
coq, un cabri... Les engagements les plus remarquables sont sans doute ceux qui seront
couronnés par la participation à la Fête des Dix Jours ou à la marche sur le feu.
Le succès de la "promès" donne lieu à un
fervent remerciement adressé à la divinité concernée, et ajoute à une foi déjà
confiante la force dune inébranlable reconnaissance. Si le vu aboutit à
léchec, ce qui est fort rare dit-on, on ne renonce pas et lon sengage
souvent au contraire dans une promesse plus contraignante, de manière à prendre plus
sûrement le dessus sur les forces hostiles qui ont empêché la réussite de
lopération.
Nous parlions de privations, dordre
alimentaire mais pas seulement: cest là un autre aspect, capital et dépassant
largement le cadre particulier des "promès", de linfluence du domaine
sacré sur la quotidienneté. Le carême est une des pratiques les plus typiques de la
culture religieuse chez les Malbars ; il est pratiqué par tout fidèle avant de
participer à une quelconque cérémonie. Acte de purification, il consiste en un ensemble
de comportements et surtout de restrictions.
Celui qui "fait carême", en principe pour un
minimum de trois jours, adopte un régime alimentaire strictement végétarien,
sastreint à une hygiène corporelle irréprochable, sabstient de tout rapport
sexuel et adopte une attitude mentale détournée des divertissements profanes, tournée
au contraire vers Dieu. Cette pratique est dautant plus ressentie comme une
nécessité à la Réunion que lon a bien conscience de l"impureté"
profonde du quotidien tel quil est vécu localement. Cest ainsi que le carême
des Indo-Réunionnais passe pour être particulièrement rigoureux. Plus que ne le sont,
par exemple, les pratiques ayant cours en Inde où la vie de tous les jours est
déjà imprégnée de sacralité : la purification ny a donc pas ce caractère
durgence et de gravité.
Si lon considère que certains Malbars participent
à des dizaines de cérémonies au cours dune année, et quils ne se limitent
pas forcément au minimum de trois jours dont nous avons parlé, il arrive donc que le
cumul des carêmes représente au total plusieurs mois!
Il est vrai, malgré tout, que les aînés déplorent
souvent de nos jours la déperdition de pratiques jugées un peu trop contraignantes par
les jeunes générations. Le carême se fait moins long, moins strict, moins
systématique...
On retiendra également que lenvironnement familier des Malbars est
jalonné de symboles religieux. Ils constituent autant de repères et de rappels, plaçant
sans cesse les sens et lâme devant lomniprésence divine. Guirlande de fleurs
bénie accrochée au rétroviseur de la voiture ou guirlandes de feuilles de manguier à
lentrée de la case. Usage protecteur de la couleur rouge ou de bijoux tels que le
thâli,
signe sacré du mariage... La liste pourrait en être encore longue.
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(a) Dont la célébration est très importante à l'île
Maurice.
(b) Voir la rubrique "Gros plans".
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